Lorsqu’on évoque l’échange de biens immobiliers, on pense à une formule sympa pour les vacances. Je troque ma maison face à la Meuse à Namur contre un appartement à New York pour quinze jours. Je réalise ainsi une belle économie sur le poste "logement" puisqu’il est gratuit. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit, en l’occurrence.
Dans le cas qui nous occupe, voici un scénario favorable: la villa familiale de Pierre et Francine est devenue trop grande et trop lourde à entretenir depuis le départ de leurs enfants. De leur côté, leur fils Olivier et sa compagne Sophie, propriétaires d’un petit appartement en ville se sentent à l’étroit dans leur appartement. Ils ont besoin d’une chambre en plus pour leur bébé et rêvent d’un jardin. Vous voyez où ils pourraient en venir…? Et si au lieu de vendre chacun leur bien, les parents et le jeune couple procédaient simplement à un échange?
Des actes de ce type, les notaires en ont comptabilisé 1.411 l’an dernier. C’est peu. "Cela correspond à l’activité annuelle de deux études moyennes", relativise Gilles Carnoy, avocat spécialisé en immobilier, précisant que jusqu’il y a peu, cette technique était fréquemment utilisée pour certains types d’opérations (lire l’encadré plus bas).
Bien que confidentiel, l’échange définitif de biens immobiliers ne manque pas d’attrait. N’importe quel propriétaire peut théoriquement y recourir… pourvu que les parties se "trouvent" et y trouvent leur compte. "Dans les campagnes, l’échange de terres et de parcelles est assez répandu entre communes ou entre particuliers, par exemple pour rectifier le tir d’un mauvais découpage", commente le notaire Olivier Neyrinck. Lequel rapporte aussi le cas de "deux propriétaires qui ont échangé leurs appartements respectifs, au rez et au 6e étage d’un même immeuble, juste pour changer de cadre de vie".
Mais en dehors du cadre familial ou d’opportunités dont on serait averti via le bouche à oreilles, reconnaissons qu’il n’est pas évident de dénicher une contrepartie idéale "ex-nihilo". En France, une poignée de sites qui proposent des échanges immobiliers définitifs a vu le jour ces dernières années, mais chez nous, rien de tel n’existe (encore?). "Vu l’évolution rapide des tendances actuelles, je ne serais cependant pas étonné que des annonces pour des d’échanges apparaissent tôt ou tard", commente le notaire bruxellois.
Modalités pratiques
"Pour que l’opération soit valable, elle doit évidemment porter sur des biens de valeur équivalente. Soit les parties s’entendent sur le prix, soit, et c’est préférable pour éviter toute éventuelle contestation future, elles font appel à un expert", explique Olivier Neyrinck. Si un des immeubles a davantage de valeur, la différence peut être versée sous forme d’argent (la soulte).
L’échange immobilier est assimilé à une double vente, mais ne nécessite qu’un seul acte à passer devant notaire, ce qui offre les mêmes garanties de sécurité qu’une vente ordinaire.
Par contre les frais divers de l’acte (coût des recherches administratives, coûts fixes) sont plus élevés puisqu’ils portent sur deux immeubles. Ils sont supportés pour moitié par chacune des parties ou partagés proportionnellement à la valeur des immeubles.
Les parties doivent aussi supporter un droit d’enregistrement, identique à celui à payer pour une vente (12,5% à Bruxelles et en Wallonie, 10% en Flandre), mais il n’est calculé que sur la valeur d’un seul bien (le plus cher des deux, le cas échéant). Si l’échange porte sur des biens situés dans deux Régions différentes, la situation se complique un peu. Quelle fiscalité s’appliquera? "La réponse se trouve dans la loi de financement de l’État et des Régions: on se basera sur le RC. Imaginons un échange entre un chalet dans les Ardennes qui vaut 100.000 euros mais dont le RC est de 3.500 euros et un appartement à la Côte d’une valeur de 150.000 euros mais dont le RC est de 2.500 euros: les droits d’enregistrements devront être payés à la Région wallonne (12,5%)", indique l’avocat Gilles Carnoy.
Attention, l’avantage disparaît si l’échange porte sur deux biens neufs (puisqu’il s’agit de deux livraisons réciproques dont chacune est en principe soumise à la TVA) ou sur un bien neuf (soumis à la TVA) et un ancien (soumis au droit d’enregistrement).
Si l’un des immeubles est hypothéqué, rien ne peut se faire sans l’accord du créancier. La solution la plus simple et peu coûteuse sera de proposer un transfert d’hypothèque.
Une technique jadis prisée par les promoteurs à la Côte
"À l’origine, l’échange de biens immobiliers se pratiquait notamment dans le cadre d’un remembrement ou d’un rehaussement, explique l’avocat Gilles Carnoy. L’exemple type était celui du promoteur qui convoitait un pâté de maisons pour disposer d’un site cohérent sur lequel il comptait tout raser avant de reconstruire. Plutôt que de financer l’acquisition des biens convoités, il proposait aux propriétaires de les échanger contre une maison/un appartement dans son futur lotissement. Cette technique qui était très répandue à la Côte où des petites maisons et villas en front de mer étaient achetées pour construire de grandes tours d’immeubles. Les propriétaires recevaient en contrepartie les appartements des deux étages supérieurs".
Loi Breyne
Mais le coup d’arrêt a été porté en 2012 lorsque la Cour d’appel d’Anvers a jugé la technique illégale au regard de la Loi Breyne (qui protège les futurs acquéreurs). "Celle-ci stipule en effet notamment que, dans le cadre d’une construction sur plan, l’acquéreur ne peut pas payer plus de 5% d’acompte. Il fallait dès lors considérer qu’un propriétaire qui échangeait sa maison fut-elle ancienne, contre deux appartements à construire s’acquittait d’un’acompte’bien supérieur. La technique a donc été abandonnée au profit de la renonciation au droit d’accession qui respecte la Loi Breyne."