Depuis le 1er janvier 2018, les indépendants en personne physique qui perçoivent des bénéfices ont, eux aussi, la possibilité d’opter pour un forfait de frais professionnels, alors qu’ils étaient jusque là obligés, à l’exception des professions libérales, de prouver leurs frais réels. Dès l’exercice d’imposition 2019 (revenus 2018), les indépendants pourront ainsi déduire 30% de leurs revenus professionnels au titre de charges professionnelles (hors cotisations sociales et achat de marchandises), avec un maximum fixé à 4.720 euros pour l’exercice d’imposition 2019. Cela représente une économie pouvant atteindre 2.360 euros avec un taux marginal d’imposition de 50% (lire l’exemple en encadré). Cette mesure, portée par le ministre des Indépendants Denis Ducarme (MR), a été budgétée à hauteur de 6,6 millions d’euros.
Pour qui?
Jean-Luc Gelders, conseil fiscal au sein du groupe Sogenam, estime que le forfait a des chances de séduire typiquement les indépendants complémentaires dont les frais réels sont inférieurs. Selon l’avocat fiscaliste Jérome Havet, "cette nouvelle règle s’adresse aux indépendants qui ne peuvent facilement justifier de frais professionnels ou les petits indépendants qui développent une activité modeste et qui n’ont pas envie de tenir une comptabilité fastidieuse".
Exemple
Zéro frais, maxi effet!
Caroline est salariée et exerce la profession de coach "Zéro déchet" en tant qu’indépendante complémentaire. Son activité, qui marche du tonnerre, génère 45.000 euros de bénéfices bruts par an. Elle paie des cotisations sociales annuelles pour 3.500 euros et achète des marchandises destinées à la revente (bacs de compost, serpillères qui nettoient sans produit, billes de lave-linge, boîtes de conservation en verre, sacs de vrac en tissu, etc.) pour 25.000 euros par an.
Son calcul (en euros):
Base de calcul du forfait: 45.000 – (3.500 + 25.000) = 16.500
Frais forfaitaires: 16.500 * 30% = 4.950 limités à 4.720
Total des frais déductibles: 3.500 + 25.000 + 4.720 = 33.120
Caroline, qui ne postulait auparavant pas d’autres frais que ses cotisations sociales et ses achats de marchandises, peut donc par ce forfait économiser jusque 2.360 euros d’impôts par an.
De fait, pour prouver ses frais réels, l’indépendant doit consciencieusement consigner toutes les preuves des dépenses qu’il a engagées au cours de l’année pour obtenir des revenus professionnels (tickets de restaurant, factures, reçus, etc. ). " Il existe aussi de nombreux indépendants qui exercent leur activité au sein d’entreprises ou exclusivement au service d’une entreprise qui mettent tout ce dont ils ont besoin à leur disposition et qui ne peuvent pas réellement justifier de frais professionnels importants", poursuit-il.
Mais de manière générale, "le forfait demeure relativement modeste et peut être vite dépassé par les dépenses courantes qu’un indépendant réalise pour son activité. A mon sens, ce forfait aura peu d’impact", estime Jérôme Havet.
Patricia Raquet, expert comptable et chargée de cours à l’Ifapme, souligne également que la limite de 4.720 euros n’est pas très élevée. "Il suffit que l’indépendant ait une longue distance entre son domicile et son travail, un peu de frais d’électricité, un peu de matériel de bureau, et on dépasse le forfait. On y est vite, explique-t-elle. Pour les indépendants complémentaires, ce sera du cas par cas".
"Si la distance entre le lieu de travail de l’indépendant et son domicile est longue, on arrive vite à la limite de 4.720 euros fixée par le forfait."
Frais réels
Il faudra donc dans tous les cas déterminer si le total des frais professionnels annuels est plus élevé que le montant correspondant à 30% des revenus, avec un plafond de 4.720 euros (cotisations sociales et achat de marchandises non inclus).
Pour être acceptées par le fisc comme déductibles, les dépenses doivent avoir été réellement payées et avoir permis à l’indépendant d’acquérir ses revenus professionnels. Comme l’explique Jean-Luc Gelders, "on prend souvent comme critère la réponse à cette question: aurais-je effectué cette dépense si je n’avais pas exercé cette activité?".
Le trajet domicile-travail est un critère déterminant. En effet, un indépendant peut déduire 0,15 euro par kilomètre parcouru dans ce cadre. S’il se rend environ 230 fois par an à son travail et que son bureau est à 50 kilomètres de son domicile, il peut donc déjà postuler 3.450 euros de frais réels.
Harmonisation partielle
Toutes les professions avaient jusqu’ici droit à un forfait de frais, sauf les indépendants en personne physique du secteur marchand, industriel et agricole. Cette inégalité n’existe plus. Mais les forfaits restent différents selon les régimes de travail (exercice d’imposition 2019).
- Salarié ou indépendant (hors profession libérale): 30% des revenus, avec un maximum de 4.720 euros
- Dirigeants d’entreprise: 3% des revenus, avec un maximum de 2.490 euros
- Conjoints aidant: 5% des revenus, avec un maximum de 4.150 euros
- Professions libérales: pourcentage dégressif en fonction des tranches de revenus, avec un maximum de 4.150 euros.
Le mode de calcul de la déductibilité des frais de voiture a changé cette année (exercice d’imposition 2019). La base reste la même: vous additionnez tous vos frais (amortissement du véhicule, assurance, taxes de mise en circulation et de roulage, frais d’entretien, de car wash, etc.). Vous déterminez ensuite la quote-part de l’utilisation professionnelle de votre véhicule en vous basant sur votre kilométrage annuel, dont vous retirez les kilomètres parcourus pour des raisons privées ou pour le trajet domicile-lieu de travail (étant donné qu’ils sont spécifiquement déduits à hauteur de 0,15 euro du kilomètre). Le montant déductible correspond aux frais totaux, proratisés en fonction du pourcentage de l’utilisation professionnelle.
Si votre véhicule a été acheté avant 2018, ce montant est déductible à hauteur de 75%. S’il a été acheté après le 1er janvier 2018, le taux de déductibilité varie en fonction de son émission CO2, dans une fourchette située entre 50 et 120%. Ainsi, si vous avez 10.000 euros de frais de voiture, que vous l’utilisez 60% du temps pour votre activité d’indépendant et que vous l’avez achetée en 2017, vous pouvez déduire 4.500 euros de frais.
On a beaucoup parlé des frais de restaurant récemment, car le secteur craignait que le fisc ne commence à rejeter des dépenses qui n’auraient pas été prouvées au moyen de tickets TVA valables, c’est-à-dire émis par les caisses enregistreuses intelligentes. Cependant, comme l’explique Jérôme Havet, "il n’existe pas d’autre condition à la déduction de frais professionnels que celles fixées dans l’article 49 et qui sont: des dépenses qui ont (1) un lien avec l’activité professionnelle (2) qui se rattachent avec l’exercice d’imposition (3) exposées en vue d’acquérir des revenus professionnels et (4) dont le contribuable peut prouver la réalité au moyen de documents probants. Or une souche TVA permet parfaitement de prouver la réalité de la dépense. Par ailleurs, il existe des catégories de restaurateurs qui ne doivent pas installer cette caisse si leur chiffre d’affaire ne dépasse pas 25.000 euros, or il est impossible pour le client de vérifier si ce seuil est atteint".
Les frais immobiliers liés à l’exercice de l’activité indépendante (intérêts d’un crédit, loyer, consommations, entretien, etc. ) sont déductibles à 100%. Pour les immeubles mixtes, il faut déterminer la quote-part professionnelle et la quote-part privée, au moyen des m² destinés à l’activité professionnelle par rapport à la surface de l’habitation de l’indépendant.
Les autres frais déductibles sont par exemple le matériel de bureau, le téléphone, l’abonnement télécom, les conseils, le comptable, les assurances, les frais de publicité, les voyages et congrès à l’étranger, les cadeaux d’affaires et de représentation (50%), etc.
Le fisc plus regardant?
"L’administration fait toujours attention à certains frais professionnels qui ont tendance à faire l’objet d’exagération: frais de restaurant, de réception, cadeaux d’affaire, etc."
En optant pour le forfait de frais, l’indépendant se prémunit d’un risque: celui de voir certaines de ses dépenses rejetées par le fisc car il estime qu’elles ne sont pas raisonnables ou qu’elles n’ont pas de sens économique. En bref, qu’il y a eu de l’abus. "Je n’ai pas remarqué de durcissement de la part de l’administration au cours de ces dernières semaines (mois), mais il me semble que l’administration fait toujours attention à certains frais professionnels qui ont tendance à faire l’objet d’exagérations: on peut penser aux frais de restaurant, de réception, les cadeaux d’affaire, les frais de déplacement à l’étranger, la déduction des frais de l’habitation, etc. Le contribuable prudent se ménagera une preuve du caractère professionnel de ces dépenses en y annexant la confirmation d’un rendez-vous par exemple", explique Jérôme Havet.
Pour Patricia Raquet, le fisc n’est pas devenu plus regardant. Mais ce qui est certain, c’est que le "petit indépendant" est plus vulnérable que le gros, ou qu’une société… "Quand un petit indépendant rend très peu de factures, elles seront passées au crible par le fisc", prévient-elle. Mieux vaut donc rester raisonnable et ne pas jouer avec les nerfs du contrôleur…
Quid des frais de salarié?
Les indépendants complémentaires peuvent opter pour le forfait de frais de leur activité de salarié et pour le forfait de frais de leur activité d’indépendant (4.720 euros dans les deux cas). Comme l’explique Jean-Luc Gelders, conseil fiscal, "l’indépendant complémentaire peut aussi opter pour les frais réels dans l’une de ses catégories de revenus et pour les frais forfaitaires dans l’autre". Mais attention. "S’il déclare par exemple ses frais réels en tant qu’indépendant, le fisc va vérifier que les dépenses ne sont pas déjà couvertes par le forfait de frais de son activité de salarié. Si oui, le fisc demandera que la dépense réelle soit proratisée".