Le gouvernement fédéral a décidé de contrer l’érosion des versements anticipés. Mardi, le Moniteur belge a publié une modification législative qui permettra au fisc, dès l’an prochain, de calculer les majorations d’impôt à un taux deux fois plus élevé qu’actuellement. Ces suppléments d’impôts s’appliquent lorsque des indépendants ou des sociétés effectuent trop peu de versements anticipés au cours de l’année de perception de leurs revenus: ils doivent alors payer l’impôt manquant l’année suivante, augmenté d’une majoration calculée à l’aide d’un taux de référence.
Les versements anticipés en bref
Contrairement aux salariés et aux fonctionnaires, les indépendants et les sociétés ne sont pas soumis au précompte professionnel, cette retenue à la source qui permet aux travailleurs sous contrat et à ceux qui travaillent dans la fonction publique d’acquitter leur impôt au moment de la perception de leur salaire, ce dernier étant dès lors net d’impôt. Les indépendants et les sociétés bénéficient toutefois d’un système analogue: sans y être contraints, ils peuvent effectuer des versements anticipés (VA) durant l’année de la perception de leurs revenus.
La loi les encourage à payer ainsi leurs impôts de manière anticipée: en cas d’insuffisance ou d’absence de VA, des majorations d’impôts s’appliquent (c’est le bâton) et chaque VA donne droit à une bonification (c’est la carotte). Cette dernière est dégressive au fil de l’année: le taux pour calculer la bonification est plus élevé pour les VA réalisés au premier trimestre; il est plus faible au deuxième trimestre, et ainsi de suite. La moyenne des taux des bonifications des quatre trimestres correspond au taux appliqué pour calculer la majoration d’impôt. Ainsi, cette année, le taux de bonification moyen est de 1,125%.
Il passera à 2,25% l’an prochain. L’État sera donc plus sévère en appliquant des majorations plus fortes mais aussi plus généreux en prévoyant des bonifications plus élevées.
Jusqu’à présent, la législation fiscale liait ce taux de référence au taux d’intérêt des prêts au jour le jour de la Banque centrale européenne (BCE).
Mais ce taux de la BCE a nettement diminué au cours des dernières années: alors qu’il se situait à 5% au début de l’année 2008, il a baissé à 3% un an plus tard puis a continué à se contracter jusqu’à passer en dessous de 1% fin 2013.
La loi prévoyait d’arrondir le taux de référence pour le calcul des majorations d’impôts à l’unité inférieure, ce qui aurait alors conduit à une absence de majoration, puisqu’un taux inférieur à 1% devait être arrondi à… 0%. Mais la réglementation permet aussi au gouvernement de déroger à cette règle d’arrondi pour adapter le taux en fonction de la situation sur les marchés financiers.
Ce qui fut fait: en 2014, le taux de référence pour le calcul des majorations d’impôts a été fixé à 0,75%. Il a ensuite été abaissé à 0,50% pour les années 2015 et 2016.
Recettes en baisse
Seulement, ces derniers temps, le gouvernement fédéral a constaté que les versements anticipés ne suivaient plus ses anticipations. D’après le rapport annuel du Service public fédéral des Finances, les recettes des anticipés de l’an dernier ont manqué leur objectif à concurrence de plus de 350 millions d’euros. Les dernières statistiques relatives aux recettes fiscales du pouvoir fédéral montrent qu’à la fin du mois de juin 2016, les versements anticipés ne représentaient que 39,2% de l’objectif budgétaire fixé en début d’année, alors qu’il était déjà de 44,7% à ce stade un an plus tôt. Ce qui équivaut à un trou de quelque 600 millions d’euros.
En réaction, l’exécutif fédéral a jugé utile de revoir le calcul des majorations d’impôts en cas d’insuffisance ou d’absence de versements anticipés. À partir de 2017, le taux de référence pour calculer les majorations d’impôts sera de 1% minimum. Soit le double du taux applicable cette année.
"Pour le Trésor, le bénéfice sera important puisque les majorations seront deux fois plus élevées", constate Jeff Wellens, fiscaliste chez Wolters Kluwer. Il faut toutefois aussi tenir compte de l’augmentation des bonifications au profit des contribuables qui font des versements anticipés (voir encadré). Jef Wellens est moins sûr de l’effet incitatif sur les indépendants: "Dans la crainte de l’impôt futur à payer, certains feront sans doute leurs versements anticipés plus tôt mais d’aucuns feront un autre calcul."
"Pas cher payé"
En l’occurrence, pour calculer la majoration fiscale qui sera due en cas d’insuffisance de versement anticipé, il faut appliquer à l’impôt dû le taux de référence (0,50% actuellement mais 1% dès l’an prochain) multiplié par un coefficient de 2,25. Ce qui veut dire qu’actuellement, la majoration d’impôt représente 1,125% de l’impôt dû et qu’elle passera à 2,25% en 2017.
"À 1,125%, les entrepreneurs se disent que ça ne fait pas de différence. Au-dessus de 2%, ils commencent à réfléchir."
"Je ne sais pas si, avec un taux de 2,25%, la motivation sera assez forte, indique Jef Wellens. Prenons le cas d’un indépendant qui touche des revenus en janvier 2017. Soit il verse des anticipés début avril. Soit il attend et ne déclare ses revenus qu’en juin 2018. Il faudra alors encore attendre probablement la fin 2018 pour recevoir l’avertissement-extrait de rôle et payer la majoration d’impôt. En tout, l’indépendant abandonne donc 2,25% mais sur un an et demi à deux ans. Il pourrait considérer que ce n’est pas cher payé, surtout s’il parvient à diriger ses revenus vers une solution d’épargne offrant un bon rendement."
Pour Pierre-François Coppens, juriste et conseil fiscal, la mesure pourrait avoir un effet sur les versements anticipés: "À 1,125%, les entrepreneurs se disent que ce n’est pas ça qui fait la différence. Mais au-dessus de 2%, c’est un niveau où on commence à réfléchir. Mais ceux qui disposent d’une trésorerie suffisante préféreront peut-être placer l’argent plus opportunément. D’autres préfèrent jouer la carte de la prudence. C’est à analyser au cas par cas.