Le défi des pensions est énorme, on le sait. Fin 2013, le consultant Roland Berger avait jeté un pavé dans la mare en annonçant une facture de 304 milliards d’euros à l’horizon 2060 pour absorber le surcoût, pour la sécurité sociale, du vieillissement de la population belge. Il revient sur la question, mais cette fois avec des solutions.
"Nous avons cherché une solution solidaire et équilibrée au coût du vieillissement au sens large, dans le respect des équilibres sociaux et à paramètres inchangés", explique Bruno Colmant (Roland Berger, UCL, Vlerick). Et cela, en jouant sur quatre tableaux: la TVA, les contributions à la sécurité sociale, le niveau des pensions et l’âge (effectif) de la pension. "Prise séparément, chacune de ces solutions permettant le maintien de notre système de pensions serait parfaitement inacceptable, tant sur le plan social qu’économique, souligne l’économiste. Nous avons donc cherché l’optimum, le mix de mesures le plus acceptable".
Selon les données rassemblées par le Conseil supérieur des Finances, le coût du vieillissement de la population passera de 26% du PIB aujourd’hui à 32% en 2050, essentiellement à cause des dépenses de pensions, qui passeront de 11 à 15% du PIB.
A savoir
Pour absorber le surcoût du vieillissement de la population (218% du PIB au total d’ici 2060), on pourrait jouer sur quatre tableaux (TVA, cotisations, âge de la pension et montant de la pension).
Aucun de ces leviers d’action ne peut à lui seul assurer le financement des pensions.
En revanche, un mix de ces quatre mesures serait socialement et économiquement plus acceptable.
1.Réduire le montant des pensions
Pour maintenir l’enveloppe des pensions à 11% du PIB, on pourrait tout simplement réduire graduellement les prestations, explique Frederick Van Gysegem (Roland Berger, Université de Gand). Mais en ne retenant que ce levier d’action, il faudrait abaisser les pensions de 8% en 2020, 32% en 2030 et 44% en 2050… Autant dire que la potion serait imbuvable. Une variante de cette solution consisterait à fixer un objectif à long terme qui impliquerait, en moyenne, une amputation des pensions à hauteur de 28% à partir de 2025.
2.Augmenter les cotisations
Autre solution: jouer sur les recettes, c’est-à-dire sur les cotisations sociales. Le taux d’imposition des ménages est de 26% en moyenne, auquel s’ajoute une contribution moyenne de 9%. Autrement dit, les ménages disposent de 65% de leurs revenus.
Pour maintenir le système des pensions tel que nous le connaissons, il faudrait porter le taux d’imposition à 32% en 2030 et même 36% en 2050. En d’autres termes, on amputerait le salaire net de 9% et 16% respectivement, un coup (très) dur pour le pouvoir d’achat et l’économie.
3.Augmenter la TVA
Troisième levier possible: la taxe sur la consommation. Aujourd’hui, compte tenu des différents régimes de taux réduits, la TVA est en moyenne de 14% en Belgique.
Il faudrait porter ce taux à 20% d’ici 2030 et même à… 24% en 2050 pour financer le vieillissement de la population. Même impact catastrophique d’une telle mesure pour l’économie, en plus d’être inéquitable (au désavantage des bas revenus) et de peser sur l’index et les coûts du travail.
4.Travailler plus longtemps
Enfin, l’étude propose de travailler sur un quatrième et incontournable levier: augmenter l’âge de la pension.
Ce type de mesure, largement débattue (et prise) un peu partout en Europe, présente le double avantage d’à la fois retarder le versement des pensions et de prolonger le versement des cotisations.
Selon les calculs des deux économistes, même en relevant fortement (de 4 ans en moyenne) le taux d’activité des 55-64 ans, on ne gagnerait que 1% du PIB sur les dépenses (28% en 2030 au lieu de 29% et 31% en 2050 au lieu de 30%).
Plus drastique: porter l’âge légal de la pension à 70 ans dès 2015, ce qui impliquerait forcément de mettre les 65-70 ans au travail et qu’ils rejoignent le niveau d’activité des 59-64 ans à partir de 2020.
Le coût de la sécurité sociale baisserait alors de 29% à 25% du PIB en 2030 et de 31% à 27% en 2050. Mais encore faut-il être capable de travailler à cet âge avancé…
5.La quadrithérapie optimale
Autant dire qu’aucune de ces quatre solutions extrêmes n’est acceptable prise isolément. Pour faire face à la hausse du coût du vieillissement, qui se monte au total à 218% du PIB sur la période 2015-2060, les deux économistes proposent un mix modéré de ces mesures.
A savoir: un, augmenter progressivement d’un point le taux moyen de la TVA (à 15%); deux, faire passer, essentiellement à partir de 2030 pour ne pas gêner la convalescence de l’économie, les cotisations sociales de 35% aujourd’hui à 36% en 2030 et 39% en 2050; trois, ne pas indexer totalement les pensions entre 2016 et 2025 (retirer 1% de l’inflation, du moins sur les grosses pensions car les petites, par souci d’équité, seraient maintenues telles quelles), puis reprendre l’indexation à partir de 2025; et quatre, enfin, augmenter progressivement le taux d’activité des 55-64 ans et surtout des 65-69 ans jusqu’à 50% à partir de 2030.
Cette dernière mesure implique de relever l’âge légal de la pension à 70 ans mais Bruno Colmant pense "plutôt à des bonus fiscaux pour inciter cette tranche d’âge au travail".
"Comme on le voit, régler le problème des pensions n’est pas infaisable. En fait, on décalerait tout de 5 ans endéans les 15 prochaines années. Mais pour cela, il faut rendre possible le travail jusque 69 ans et l’inciter fiscalement, conclut Bruno Colmant. (…) On réalise que notre système de pensions est entièrement basé sur la hausse démographique et de la productivité, ce qui est propre à une société industrielle des années 1960 et 1970. Mais la productivité a chuté depuis lors et a subitement ramené à aujourd’hui les problèmes qu’on pensait devoir se poser dans 20 ans."