Dès le 25 janvier, les notaires pourront s’appuyer sur une nouvelle table pour calculer la valorisation de l’usufruit lors de la conversion de l’usufruit du conjoint (ou du cohabitant légal) survivant. Ces nouvelles tables sont seulement supplétives, ce qui signifie que la valorisation de l’usufruit pourra toujours être effectuée via les tables existantes: celle de l’article 147 des droits d’enregistrements, qui date de 1920, ou la table Ledoux, plus récente et largement utilisée.
Ces tables servent à déterminer, pour chaque âge entre 0 et 120 ans, la valeur d’un usufruit sur un bien donné (immobilier, portefeuille de titres, etc.) Plus l’usufruitier est jeune, plus la valeur de l’usufruit est élevée. Par exemple, l’usufruit que pourrait avoir un homme de 85 ans sur la maison familiale au décès de son épouse vaudra bien moins que l’usufruit sur la même maison si le veuf n’a que 50 ans. Plus il lui reste de temps à vivre, plus la valeur que représente son usufruit est élevée. L’allongement de l’espérance de vie a donc poussé à la création d’une nouvelle table de calcul, les anciennes étant moins adaptées à la réalité. Il est également tenu compte de la faiblesse des taux d’intérêts dans ces nouvelles tables. Car moins ils sont élevés, moins la valeur de l’usufruit est élevée, le bien "sous jacent" rapportant moins qu’en période de taux élevés.
Scénario 1
Paul (66 ans) et Paulette sont mariés sous le régime de la communauté des biens. Ils ont un fils, Jean. Paulette décède. Paul vend la villa familiale (500.000 euros) pour acheter un appartement plus petit. Comment partager le produit de la vente équitablement entre père et fils, en sachant que Paul dispose de l’usufruit sur la maison? Voici les résultats, en fonction des tables actuellement disponibles.
Valeur de l’usufruit de Paul
- Selon l’article 47 du Code de l’enregistrement => 80.000 euros (32% de 250.000 euros)
- Tables Ledoux => 82.225 euros (32,89% de 250.000 euros)
- Selon la nouvelle table de l’arrêté royal du 15/01/2015 => 86.950 euros (37,78% de 250.000 euros)
On le voit, la table la plus récente donne une valeur plus élevée à l’usufruit de Paul. Elle tient en effet compte de l’allongement de la durée de vie (or, plus il reste de temps à vivre à Paul, plus la valeur de son usufruit est élevée). Notons que la nouvelle table tient également compte de la faiblesse des taux (plus ils sont bas, plus la valeur de l’usufruit est faible).
Combien toucheront respectivement Jean et Paul du produit de la vente, selon la nouvelle table?
- Paul (papa) 336.950 euros
- Jean (fils) 163.050 euros
Scénario 2
Même scénario, mais Paulette était seule propriétaire du bien, et Paul et Paulette étaient mariés sous le régime de la séparation des biens.
- Paul (papa) 188.900 euros (valeur de l’usufruit)
- Jean (fils) 311.100 euros (le reste)
Situation sensible…
Lors d’un décès, le conjoint survivant obtient en général l’usufruit sur la totalité de la succession du défunt. Lorsqu’il y a des enfants, la situation la plus fréquente est celle d’un parent usufruitier et des enfants nus-propriétaires. Pour éviter ces situations parfois encombrantes, les enfants ou le conjoint survivant peuvent demander de convertir cet usufruit, soit en pleine propriété soit en capital. Lorsque la famille s’entend bien, un accord à l’amiable est souvent trouvé, le conjoint survivant pouvant même aller jusqu’à renoncer totalement à son usufruit.
… surtout dans les familles recomposées
Dans les familles recomposées, convertir un usufruit est souvent une opération méchamment sensible.
Mais dans les familles recomposées, "convertir un usufruit est souvent une opération méchamment sensible", indique le notaire Gaëtan Bleeckx. En deux mots, si des enfants perdent leur père qui s’est remarié cinq ans avant son décès, ils ne peuvent potentiellement rien faire de la succession, étant donné qu’ils ne sont que nus-propriétaires. Si des garde-fous existent pour éviter cette situation -dans le contrat de mariage ou dans un testament — il arrive que les enfants demandent la conversion de l’usufruit pour pouvoir jouir des biens mobiliers et immobiliers. C’est dans ces situations que les disputes sur la valeur de l’usufruit sont les plus violentes. Dans ce cadre, la nouvelle table va permettre de faciliter le travail des notaires, étant donné que c’est celle qui prévaudra en cas de désaccord.
Discriminant
Toutefois, le notaire Olivier de Clippele s’étonne du fait que la nouvelle loi prévoit deux tables différentes selon le sexe, en raison des tables de mortalité différentes pour les hommes et les femmes. Or, "la discrimination en fonction du sexe est interdite", relève le notaire, qui est étonné que l’arrêté royal n’ait pas remédié à cette anomalie…