S’il est impossible de connaître la durée du confinement actuellement, une chose est certaine, il impactera inévitablement le revenu des ménages belges et particulièrement celui des indépendants. "C’est donc le moment de faire un bilan patrimonial, en commençant par dresser l’inventaire de sa situation dans lequel on recense à la fois ses avoirs, ses dettes, ses dépenses et ses revenus", conseille le Nicolas Cellières, planificateur financier et fondateur d’Optivy, "à partir de là, on peut examiner chacune des composantes du patrimoine et savoir comment limiter la casse". Voici plusieurs pistes afin de protéger au maximum vos avoirs:
1. Sauvegarder la solvabilité de votre entreprise
Pour tenter de maintenir le bateau à flot, l’État fédéral est les Régions ont mis à disposition une série de mesures de soutien comme la prime de nuisance, le report, la dispense ou la réduction de cotisations sociales, l’assouplissement du droit de passerelle… Faire appel aux aides auxquelles vous pouvez prétendre fait donc partie des premières dispositions à prendre pour préserver votre activité d’indépendant. Vous trouverez toutes les infos relatives à ces aides dans cet article.
Vous pouvez également tenter de réduire au maximum vos frais. Si votre activité est amoindrie, il est possible de mettre une partie ou la totalité de votre personnel – si l’entreprise est totalement fermée – au chômage économique. "Certains frais fixes sont sans doute devenus non indispensables, je pense par exemple aux frais de télécommunications, à l’énergie, aux assurances auto…", cite Nicolas Cellières, qui suggère de revoir votre forfait télécoms à la baisse si certains points d’exploitation sont vides, ou encore de changer de fournisseur d’énergie – Lampiris a par exemple décidé de passer les consommations d’électricité au tarif de nuit pour un mois. "Nombreux sont les véhicules qui ne bougent plus, il serait sans doute intéressant de revoir les assurances auto à la baisse temporairement, voire de les supprimer. Cela peut vous permettre d’économiser quelques milliers d’euros. C’est aussi le moment de revoir différents contrats d’assurance, vos contrats avec vos fournisseurs, etc.", indique encore le planificateur financier, qui rappelle qu’il existe des consultants appelés "cost killers" pour vous aiguiller dans ces démarches.
2. Travailler sous forme de société
Si vous êtes indépendant en personne physique, il n’y a pas de séparation entre le patrimoine privé et professionnel, "votre patrimoine privé est donc plus exposé, ce qui comporte des risques", prévient Nicolas Cellières. "Travailler sous forme de société permet, pour autant que cette société prévoie une responsabilité limitée aux apports, de scinder les patrimoines privé et professionnel."
"Travailler sous forme de société permet, pour autant que cette société prévoit une responsabilité limitée aux apports, de scinder les patrimoines privé et professionnel."
Par exemple, si un kinésithérapeute qui travaille en personne physique a des créanciers qui réclament leur dû, ces derniers pourraient ponctionner son patrimoine privé, autrement dit son appartement, ses meubles, son épargne… En créant une structure sociétaire, il protège son patrimoine privé et les créanciers ne pourront exercer un recours qu’à concurrence des biens de la société elle-même.
"Mais attention, dans certains cas, un administrateur de société peut également avoir une responsabilité personnelle. Dès lors, il peut être poursuivi personnellement et son patrimoine privé peut être mis en risque", alerte le spécialiste qui recommande alors de souscrire à une assurance administrateurs (RC administrateurs). La prime de ce type d’assurance dépend entre autres de la situation financière, de la taille, des activités de l’entreprise et des montants pour lesquels elle décide d’assurer la RC de ses responsables.
Pour les indépendants qui sont déjà en société, le fait de souscrire à une RC administrateurs peut s’avérer une bonne solution. "Dans le contexte actuel, cela pourrait s’avérer plus judicieux qu’une assurance auto en termes de choix budgétaire", appuie Nicolas Cellières.
3. Scinder l'exploitation et l’immobilier
Si vous exercez déjà en société, celle-ci peut avoir des actifs immobiliers et mobiliers. En ce qui concerne les immeubles, "il est recommandé de scinder l’immobilier du risque d’exploitation. Le but étant d’éviter qu’on ne saisisse l’immobilier, qui est souvent l’outil de travail et constitue très souvent pour le dirigeant une part importante de son futur capital pension. Les actifs meubles comme des réserves de trésorerie disponibles peuvent être externalisés", conseille le planificateur financier.
"Il est recommandé de scinder l’immobilier du risque d’exploitation. Le but étant d’éviter qu’on ne saisisse l’immobilier."
En reprenant l’exemple du kinésithérapeute, si sa société dispose de 150.000 euros en trésorerie, il peut verser une partie de ce montant dans un EIP (engagement individuel de pension). "En externalisant ce capital dans un EIP, il devient insaisissable pour les créanciers", indique le spécialiste. Concrètement, l’EIP s’adresse aux dirigeants d’entreprise. Il s’agit d’une pension complémentaire dont les cotisations sont payées par la société et qui est fiscalement avantageuse. "Il est possible de procéder aussi à un back service, c’est-à-dire de payer une prime de rattrapage pour les années durant lesquelles on n’a pas cotisé. Il est possible de récupérer jusqu’à 10 ans en arrière." La prime est néanmoins toujours plafonnée par la règle dite des 80% (soit grosso modo 80% de la rémunération du dirigeant à laquelle l’on applique des coefficients).
Il est important toutefois de noter que ce capital sera d’office bloqué jusqu’à votre pension. Si vous souhaitiez l’investir à court terme, cela ne sera pas possible.
4. Faire une déclaration d'insaisissabilité
Vous pouvez également faire une déclaration d’insaisissabilité pour votre immeuble d’habitation. Il faudra alors passer chez un notaire pour faire cette déclaration qui a un coût qui peut varier, pour un dossier basique, de 1.300 euros à 1.500 euros. Elle rend alors votre logement (dont vous êtes propriétaire) insaisissable.
"Il existe une limite: il ne peut pas y avoir de pratique abusive. Si les créances existent déjà avant la déclaration, ça ne sert à rien d’aller vite chez le notaire, la déclaration n’aura pas d’effet. Il ne doit pas y avoir de créance douteuse au moment de la procédure. Il s’agit d’une démarche proactive de mise à l’abri", prévient Nicolas Cellières.
5. Mettre votre épargne dans une assurance-vie
"Beaucoup de gens ne le savent pas, mais transférer son épargne dans une assurance-vie permet de la protéger de ses créanciers."
"Beaucoup de gens ne le savent pas, mais transférer son épargne dans une assurance-vie permet de la protéger de ses créanciers."
Un contrat d’assurance-vie se traite avec une compagnie d’assurance: vous confiez votre argent à la compagnie qui devient elle-même créancière à votre égard en vertu du contrat d’assurance pour lequel vous avez des droits, comme le droit de rachat sur la police d’assurance et tous les droits inhérents à la gestion elle-même de la police. " Dans le contrat, il y a plusieurs parties prenantes: il peut y avoir un ou deux preneurs, un ou plusieurs assurés, et des bénéficiaires en cas de vie et en cas de décès. Le contrat doit avoir un terme, mais il peut avoir une durée de type vie entière", explique Nicolas Cellières.
Dans notre exemple, si le kinésithérapeute indépendant possède 100.000 euros sur son compte d'épargne ou un autre compte en banque (compte à vue, compte-titres…) et si ses créanciers le poursuivent, ils peuvent ponctionner ce compte. "Un créancier peut saisir les avoirs sur un compte bancaire pour honorer une créance. Pour protéger son épargne, le kinésithérapeute devra alors la transférer sur un contrat d’assurance-vie, la rendant insaisissable", conseille le planificateur financier, qui indique que "cet argent ne pourra plus être utilisé à court terme. Vous vous privez alors d’une trésorerie, mais protégez votre patrimoine".
Si vous procédez plus tard à un rachat, le créancier peut alors toujours saisir le montant, sauf si la créance s’est éteinte entre-temps.
6. Revoir la gestion des risques du ménage
Il pourrait également s’avérer pertinent de faire le point sur l’ensemble des risques du ménage, car souvent, la situation a évolué sans que la gestion des risques n’ait été considérée de manière globale. Vous pourriez par exemple faire le point sur les aspects suivants:
• Sur quel(s) revenu(s) pourrez-vous compter si vous tombez malade et ne pouvez plus travailler? Vos assurances "incapacité de travail" sont-elles toujours "à jour"? Suffiront-elles pour couvrir toutes vos dépenses en cas de maladie?
• En cas de décès, vos proches sont-ils suffisamment protégés financièrement? Vos crédits sont-ils correctement couverts? Votre famille pourra-t-elle poursuivre une vie décente?
• Avez-vous prévu un fonds d’urgence? Avez-vous suffisamment diversifié la nature de vos revenus?
En répondant à ces quelques questions, vous pourriez être amené à prendre des dispositions telles que souscrire à une assurance revenu garanti, une assurance décès, ou, au contraire, réaliser de nouvelles économies si les couvertures actuelles s’avèrent superflues.
7. Planifier
Notre kit de survie du confinement
- Que puis-je encore faire?
- La vie en entreprise
- Tout savoir sur le chômage économique
- Je travaille dans l’alimentation, dans un supermarché, en pharmacie…
- Je suis indépendant
- Je dois voyager
- Je m'occupe de mes enfants et je cherche des idées d'occupation
- Je vends/J’achète un bien
- Je télétravaille
- Combien de cas en Belgique?
- Tout savoir sur le virus
- Une playlist pour se détendre
Planifier votre patrimoine familial est également judicieux en cette période chaotique. Votre contrat de mariage vous permettra en tant qu’indépendant, dans certains cas, de sauver les meubles.
"Si vous êtes marié en séparation de biens, cela permet de limiter l’action des créanciers au seul patrimoine propre du conjoint défaillant et de sauver le patrimoine de l’autre conjoint. Au niveau de la séparation des patrimoines, pour les couples qui ne sont pas mariés, la cohabitation légale se rapproche du régime de séparation de biens", indique Nicolas Cellières.
Si vous êtes marié sous le régime de la communauté (régime légal), ce qui est acquis pendant le mariage est réputé appartenir à la communauté, indépendamment du niveau de revenus de l’un et de l’autre. Les créanciers ont donc directement accès au patrimoine commun, ce qui n’est pas le cas dans le régime de séparation de biens.
"On peut même aller plus loin si vous êtes marié sous le régime de séparation de biens: il est toujours possible de réaliser une donation entre époux. Notre kinésithérapeute peut donner son épargne de 100.000 euros à son épouse pour se déposséder et protéger son patrimoine. Ces 100.000 euros ne pourront pas être saisis puisqu’ils appartiennent désormais à l’épouse. Si la donation est réalisée en dehors du contrat de mariage, elle est toujours révocable de manière unilatérale. C’est-à-dire que s’ils divorcent quatre ou cinq ans plus tard, la donation peut être révoquée par Monsieur et il peut le faire seul sans le consentement de Madame."
Si vous êtes mariés sous le régime légal, il est possible de dissoudre la communauté et de passer au régime séparation de biens. Il faudra alors repasser devant le notaire, ce qui engendre des coûts.
"Chaque cas est unique et la stratégie ne sera pas la même pour tout le monde. Il faut un examen spécifique à la situation", rappelle Nicolas Cellières d’Optivy, "toutes ces pistes sont valables et possibles dès lors qu’il n’y a pas encore de créance douteuse. Sinon, cela s’assimile à une pratique abusive qui revient à organiser son insolvabilité, ce qui est condamnable."