" J'ai déjà refusé un candidat qui avait des liens avec un criminel. Je le tenais de sources sûres, de la police elle-même. " Voici l'un des témoignages marquants livrés par l'enquête de " Vacature Magazine " parue mercredi dernier. 413 cadres supérieurs, employés IT et RH néerlandophones ont été interrogés. D'après leurs réponses, 36 % des employeurs contrôlent " parfois à régulièrement " les e-mails de leur personnel et 46 % d'entre eux agissent de la sorte par rapport au comportement sur le Web.
La ministre de l'Emploi, Monica De Coninck (sp.a), a déjà fait savoir qu'elle estimait ces chiffres particulièrement élevés et qu'elle allait analyser la question de plus près. Mais ces contrôles sont-ils légaux ?
1. Voitures de société
L'une des manœuvres d'espionnage les plus récentes sur le lieu de travail concerne le suivi des voitures. D'après l'enquête de " Vacature ", pas moins d'une voiture de société sur dix est aujourd'hui ‘trackée’ par l'employeur, de façon plus ou moins constante. " Si l'employé visé en est clairement informé, vous avez en principe le droit d'installer ce genre de technologie sur les voitures ", confie Herman Craeninckx, spécialiste en droit du travail au sein du bureau d'avocats Stibbe. " Mais les employeurs ne peuvent toutefois exercer ce droit de surveillance que durant les heures de travail. " Le contrôle continu est donc interdit.
2. E-mails et sites Web
En principe, un employeur ne peut pas épier les sites Web que visite son personnel. Cependant, la Commission vie privée l'autorise dans certains cas. Pour clarifier les zones d'ombres, les exceptions ont fait l'objet d'une CCT (n° 81) en 2002.
" Une des conditions essentielles est que les chefs d'entreprise informent leurs travailleurs lorsqu'ils envisagent d'instaurer un système de contrôle en ligne, précise Craeninckx. Lors du conseil d'entreprise, mais aussi individuellement. "
Mais même après, l'employeur ne peut contrôler à sa guise les sites visités par son personnel. S'il souhaite utiliser les informations compromettantes ainsi recueillies (en cas de licenciement pour raison impérieuse, par exemple), il doit pouvoir démontrer qu'il avait une bonne raison d'espionner son travailleur. Sont acceptées comme bonnes raisons la protection des données économiques et financières ainsi que toute atteinte au bon fonctionnement de l'entreprise.
Mais tout n’est pas si simple, comme l’a montré un procès intenté par une entreprise qui souhaitait licencier une employée sur la base d'un e-mail. " Elle ne s'était pas présentée au travail, explique Craeninckx, et son employeur en avait profité pour aller contrôler ses e-mails. Il avait ainsi découvert qu'elle prévoyait de lancer sa propre activité parallèle. " Mais l'entreprise a perdu le procès. " L'e-mail incriminant datait de plusieurs mois et l'entreprise n'avait aucune raison de consulter de tels e-mails. "
Mieux vaut donc d'abord bien lire les détails de la CCT avant de s'immiscer dans la correspondance de son employé. " Mais la meilleure manière d'empêcher ses employés de visiter certains sites est tout simplement de les bloquer, estime Craeninckx. À ce niveau-là, vous avez carte blanche, ou presque. Dans de nombreuses entreprises, les sites des réseaux sociaux, mais également ceux d'agences de voyage ainsi que celui de la Loterie Nationale sont bloqués. "
3. Caméras
Les caméras sur le lieu de travail ont la cote depuis quelque temps. Les chiffres de la Commission vie privée en témoignent : en 2011, près de dix fois plus de demandes d’autorisation concernant les caméras sur le lieu de travail ont été introduites par rapport à 2007. Bien qu'ici aussi une CCT (n° 86) existe depuis longtemps, il arrive fréquemment que des tribunaux rendent des décisions contradictoires.
Quatre raisons établies peuvent justifier l'installation d'une caméra par un employeur : la sécurité et la santé au travail, la protection des biens de l'entreprise, le contrôle du processus de production et le contrôle au travail. Pour chacune de ces raisons, les travailleurs doivent ici aussi avoir été informés collectivement et individuellement du nombre, de l'emplacement et de l'utilisation de ces caméras. Si leur objectif est de contrôler le travail, la réglementation est encore plus stricte.
En général, retenons que, dans ce dernier cas, un employeur doit avoir de bonnes raisons de consulter ces images, comme un vol par exemple. ‘Espionner’ en permanence et sans raison démontrable n'est donc pas permis.
4. Dossier médical
L'enquête de " Vacature " révèle que 8 % des employeurs ont déjà contacté le médecin d'un membre de leur personnel afin d'obtenir des informations médicales. " C'est illégal ", insiste Craeninckx. Les informations médicales sont considérées par la loi comme des ‘informations privées sensibles’ et ne peuvent en aucun cas être demandées par l'employeur. Demander de consulter le dossier médical est tout autant interdit. Sauf dans certains secteurs, comme dans les cas des pilotes, l'employeur peut exiger une visite médicale. Mais même dans ce cas, les médecins ne peuvent communiquer à l'entreprise que les informations pertinentes.
En général
" Les entreprises ont tout intérêt à mener une politique dans laquelle elles expliquent clairement quand et comment l'employeur peut contrôler ses employés ", précise Tom De Cordier, expert en vie privée au bureau d'avocats Allen&Overy. Mais sa recommandation s'accompagne d'un appel. " Les règles actuelles en matière de vie privée sont complexes et dépassées. Il est temps de les adapter à l'état actuel de la technologie et à ce qui est aujourd'hui accepté dans la société. "