Et si on payait l'agence de publicité sur la valeur qu'elle crée?
Dans un monde anxiogène, Coca-Cola nous montre la voie du bonheur et de l'optimisme. Dans un monde vieillissant, Evian nous offre un elixir de jeunesse...
L'Occident va mal. Au-delà de la crise financière de 2008, puis de la crise des dettes souveraines de l'année dernière, notre monde vit, depuis le 11 septembre 2001, la fin d'une hégémonie perçue, tout autant que le déclin d'une suprématie économique.
Tout cela provoque, chez nos citoyens, une remise en cause d'un modèle de domination presque séculaire (et, avec elle, la montée des angoisses devant l'avenir, incertain si ce n'est sombre), ainsi que des défiances devant tous les systèmes de responsabilités. Des systèmes qui ont failli, par le mensonge, la dissimulation, mais aussi en n'assumant pas leurs responsabilités, dans le respect des citoyens, et tout en galvaudant le principe d'autorité.
Pouvoir politiques, pouvoirs syndicaux, organismes financiers, leaders d'entreprises, toutes les formes de responsabilités ont failli.
Nouveaux repères
Paradoxalement, et même si elles ne sont pas exemptes de tout reproche, les marques servent bien souvent de nouveaux repères à un monde qui n'en a plus. Qui porte les valeurs d'espérance, qui fait avancer le monde, qui définit les nouvelles croyances et les nouvelles idéologies qui déplacent les peuples, si ce ne sont les marques?
Dans un monde, où l'on se bat pour survivre, Nike nous dit "Write the future" dans son magnifique film primé à Cannes, et nous invite à prendre en main notre destin.
Dans un monde anxiogène, Coca-Cola nous offre les portes de son "happiness factory" et nous montre la voie du bonheur et de l'optimisme. Dans un monde dont on nous dit, tous les jours, qu'il est vieillissant et que le problème du financement des retraites est le grand problème de nos sociétés occidentales, Evian nous offre un élixir de jeunesse avec ses bébés rollers et son "Live young".
L'émergence de ces marques se traduit par la place de plus en plus forte qu'elles occupent, exprimant un déplacement de la valeur dans l'économie marchande. Autrefois, on valorisait principalement ce qui était matériel: les produits, les matériaux, les machines. Désormais, à l'ère où Facebook vaut presque deux fois Boeing, les actifs intangibles, au premier rang desquels les marques, constituent une des valeurs principales de l'entreprise.
La valeur financière de ces marques augmente chaque année. Or, qui crée de la valeur de marque si ce ne sont les hommes du marketing et de la communication, tant chez l'annonceur que chez ses partenaires d'agence? Dans ce contexte, jumelé à l'impératif de créativité pour émerger dans un univers de sur-communication et d'explosion des contenus, jamais les annonceurs n'ont eu autant besoin de leurs agences.
Cette nouvelle relation doit révolutionner le mode de rémunération des agences. Jadis indexée sur les dépenses publicitaires, la rémunération a évolué vers la couverture du temps qui a été passé. Il faut désormais changer de logiciel et rémunérer les agences sur la valeur créée pour les marques.
La valeur de la créativité
Depuis 15 ans, la productivité de notre métier a plus augmenté que celle de l'industrie. Nous sommes désormais à un seuil qui rend impossible la progression de nos marges quand la valeur de notre travail lui progresse. Par ailleurs, les prix de nos prestations sont 3 à 5 fois inférieurs à ceux des métiers du conseil. Leur valeur est réelle, mais la nôtre ne l'est pas moins. Il faut donc changer cela urgemment sous peine de suicide collectif de notre industrie et d'érosion des marques, vrai capital intangible des entreprises.
Dans ce cadre, il faut aussi poser le problème de la protection intellectuelle, car celle-ci est au coeur de la valeur que nous créons, sous une forme créative originale. Nul débat sur le fait qu'à terme l'annonceur soit le propriétaire des créations, mais nous devons monnayer la propriété de l'idée, de ses moyens de diffusion et d'exploitation, là encore pas sur le temps passé, mais sur une estimation de la valeur.
On estime aujourd'hui que la part de la rémunération des agences liées à leur contribution est de moins de 1%. Il reste donc du chemin! Dans ce combat déterminant pour l'avenir de notre métier mais aussi des marques, les annonceurs doivent travailler main dans la main avec les agences à des modèles d'objectivation de la valeur créée par la communication, qui dépasse bien sûr les ventes à court terme, dont l'effet est pervers, mais intègre la contribution durable de la marque à l'actif de l'entreprise.
En étant mieux rémunérées et sur la valeur créée, les agences deviendront de fait les vrais alliées des annonceurs car elles créeront davantage de valeur et augmenteront la qualité de leur service, mettant fin à l'instabilité chronique du couple agence/ annonceur et à la multiplication des appels d'offre qui polluent le marché.
Par Christian De la Villehuchet
CEO EURO RSCG Europe
Les plus lus
- 1 Gouvernement fédéral: tensions au sein de l'Arizona autour du budget de l'Inami
- 2 Durant des années, Didier Reynders a dépassé la limite de dépôts en cash à la Loterie
- 3 Wallonie: Ecolo accuse le gouvernement Dolimont d'abandonner la cause sociale et environnementale
- 4 IBA: une nouvelle génération de cadres renforce sa participation dans l'actionnariat
- 5 Pierre Voineau (Stellantis Belux) estime que l'hémorragie de Peugeot, Opel, Citroën et cie est finie