carte blanche

La Wallonie se meurt sous l'emprise syndicale et le clientélisme politique

Professeur à l'ULB et à l'UCL, membre de l'Académie royale de Belgique

"Même si la lenteur de la reconversion wallonne peut être partiellement expliquée par un contexte socio-culturel qui trouve ses racines dans la tradition industrielle du XIXe siècle, les années septante, c’était il y a presque un demi-siècle. Cinquante ans, c’est le temps qui a suffi à la plupart des miracles économiques (Allemagne, Japon, Corée, etc.) pour s’épanouir."

Par Bruno Colmant | Docteur en économie appliquée - ULB, membre de l'Académie royale de Belgique.

Autrefois une des régions les plus prospères d’Europe, la Wallonie est affectée d’une sous-activité et d’un chômage endémiques. Même si des signes évidents de redressement sont incontestables, notamment grâce aux pôles de compétitivité, la nécessité d’un soutien public à l’entreprise est, en tant que tel, l’illustration que la Wallonie s’inscrit dans un contexte d’économie mixte.

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Ce n’est pas critiquable: les pouvoirs régionaux ont joué leur rôle de manière optimale puisque certains fleurons wallons sont caractérisés par un actionnariat public alors qu’ils sont des opérateurs d’envergure mondiale. De nombreuses entreprises bénéficient aussi d’un extraordinaire maillage auquel la Sowalfin et les invests ressortissent. C’est un écosystème performant et exemplatif qui doit être amplifié.

Il n’empêche que la situation de l’emploi reste faible, quelle que soit la métrique utilisée. Au niveau belge, le taux de chômage wallon est quasiment le double de celui qui frappe la Flandre. Les statistiques sont également moroses en termes de taux de croissance et d’activité, de nombre d’indépendants, de capacité fiscale, etc.

Enfer social et désertification économique

Bien sûr, on argumentera que ce sont essentiellement les anciens bassins industriels qui sont affectés et que la Wallonie, dont le déclin commença dans les années 30, a plus souffert que la Flandre de la mutation industrielle qui atteignit son paroxysme dans les années septante.

Pendant cette décennie maudite, le modèle wallon perdit toute lucidité. À l’époque, l’économie se traitait par prétérition, en supposant naïvement que la croissance des Trente Glorieuses (1944-1974) se maintiendrait. La Wallonie était dans une ligne de fracture et ses caricaturaux dirigeants politiques et syndicaux furent aveuglés. D’un paradis social dans une opulence économique, ils firent de la Wallonie un enfer social dans une désertification économique. De surcroît, la reconversion wallonne fut écartée par de piètres politiciens qui troquèrent la régionalisation flamande contre l’éphémère soutien à des secteurs nationaux qui furent balayés en moins d’une décennie.

Mais ces indéniables constats n’expliquent pas les difficultés wallonnes contemporaines. Même si la lenteur de la reconversion wallonne peut être partiellement expliquée par un contexte socio-culturel qui trouve ses racines dans la tradition industrielle du XIXe siècle, les années septante, c’était il y a presque un demi-siècle. Cinquante ans, c’est le temps qui a suffi à la plupart des miracles économiques (Allemagne, Japon, Corée, etc.) pour s’épanouir.

Immanquablement, la question se pose de savoir comment deux régions connexes à la Wallonie, à savoir le Grand-Duché de Luxembourg et l’Allemagne, peuvent, de manière résiliente, démontrer des taux de croissance et des performances en matière d’emploi qui sont stupéfiants.

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Là aussi, on avancera, à juste titre, que les situations ne sont pas comparables sous de nombreux angles géographiques, historiques, culturels, religieux, socio-économiques, etc. Mais, en moins de vingt ans et sans ressources naturelles dans une géographie enclavée, le Luxembourg est devenu un des principaux centres financiers du monde. L’Allemagne a bâti un Mittelstand, c’est-à-dire un maillage d’entreprises, souvent familiales, qui s’inscrivent dans une logique de cocréation avec de grands groupes dans un modèle de partenariat et d’équilibres des représentations patronales et syndicales. Quelle différence avec la Belgique qui, contrairement à l’exigence bismarckienne de productivité élevée dans un contexte de monnaie forte et disciplinant, n’a pas pris l’ampleur des changements économiques en devenant le passager clandestin d’autres pays!

Qu’est-ce qui ne fonctionne pas?

Il serait hasardeux d’appliquer des causalités et des corrélations à des phénomènes complexes dont les causes se juxtaposent dans la longue histoire. Je crois qu’il y a néanmoins une question d’ethos, c’est-à-dire de trame morale qui inhibe la Wallonie à dépasser les réflexes anciens pour épouser la fluidité et la flexibilité du XXIe siècle.

Sans devoir trancher entre le pragmatisme du capitalisme anglo-saxon et le dogmatisme du modèle rhénan, il y a un choix de modèle: une économie ne prend son destin en mains que dans le cadre d’une logique de marché, certes régulée et tempérée, mais qui promeut la prospérité individuelle et donc collective. Une économie doit, pour partie, être spontanée. Ceci ne peut se concevoir que dans le respect du succès financier de l’entreprise individuelle. Il ne s’agit donc pas de promouvoir le succès financier comme un aboutissement absolu, mais plutôt comme une contribution indispensable à la prospérité collective.

On peut, bien sûr, imaginer des structurations politiques isolationnistes et des colères sociales qui entretiennent l’idée d’un Etat-providentiel, mais elles sont vaines à l’échelle d’une région de 4 millions d’habitants.

L’économie contemporaine est gyroscopique. Elle est fondée sur des flux digitaux et non plus sur des modèles industriels traditionnels. Cette économie est versatile car les centres de décisions d’investissements sont fluents. Cela signifie que si la Wallonie emprunte une orientation politique qui s’écarte résolument de l’économie de marché, l’isolationnisme wallon va entretenir sa propre dynamique, d’autant que, dans moins de dix ans, certains transferts se tariront et que toute la Belgique sera confrontée à un gigantesque problème de vieillissement de la population et de financement des retraites qui risquent d’engloutir les finances publiques.

La fiction du tropisme économique wallon

Bien sûr, l’expression démocratique prévaut. Mais peut-on raisonnablement espérer constituer une terre de grands développements économiques si l’empreinte communiste se confirme sous l’angle politique? Bien sûr que non!

Le tropisme économique wallon est une fiction et le radicalisme gauchiste est un sabotage. Et malheureusement, je crains que ce tournant politique s’accentue par le déplacement des gisements de croissance vers d’autres contrées dans un contexte sociologique où la mondialisation est perçue, en Wallonie, comme une source d’inquiétude.

Pourtant, il ne faut se faire aucune illusion. Si, comme certains le préconisent désormais, la Wallonie doit adopter un modèle d’extrême gauche, ou influencé par celui-ci, ses pourvoyeurs de capitaux quitteront cette région sur la pointe des pieds, comme ses cerveaux.

Suis-je en train d’agiter le spectre de la mobilité des hommes et des capitaux? Évidemment, et à raison: les tendances globales reflètent une multitude de décisions microéconomiques. Et ce mouvement a déjà commencé. De nombreux Wallons se délocalisent et les entreprises qui quittent Bruxelles vont vers la Flandre. À nouveau, j’entends les revendications politiques qui exigent des sanctions, mais c’est vain. Totalement dérisoire.

Économie schizophrénique

Je suis conscient que la formulation d’un message d’économie de marché dans un contexte de déflation et de récession est complexe. Après tout, ce capitalisme a failli en 2008. Et, comme l’écrivait l’essayiste Michel Albert, le monde est un conglomérat schizophrénique de sous-ensembles paranoïaques. L’économie mondiale est schizophrénique car elle n’a pas d’unité de pensée. En même temps, chaque pays, chaque région est frappée de paranoïa, croyant à la supériorité de son modèle malgré l’interdépendance des économies.

Au-delà des gigantesques défis institutionnels qui vont conditionner les prochaines années, la Wallonie est donc devant un choix historique. Son mouvement social s’exprime actuellement par opposition à une tutelle supérieure, qui est le niveau fédéral. Mais, bientôt, elle devra prendre son destin financier en mains, de manière extravertie.

L’ennemi ne sera plus celui de l’étranger, mais les démons wallons eux-mêmes. Les orientations politiques devront s’exprimer de manière autonome et non plus par contestation ou différence, avec un risque que l’absence de croissance entraîne sa perpétuation.

C’est donc maintenant que des choix visionnaires doivent être faits. C’est maintenant que les partis traditionnels doivent se préparer à une union sacrée pour affronter la période la plus dure de l’histoire de la Wallonie depuis l’indépendance du pays.

Si l’emprise syndicale et ce scandaleux clientélisme politique perdurent, cette région est morte. Le choix se situera entre un naufrage isolationniste ou une jouvence politique que, comme Wallon, j’appelle de tous mes vœux.

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