Le banquier et son client patient
Tout comme on cherche, chez son médecin, non pas un médicament déterminé mais un diagnostic, puis une ordonnance, quand on a "mal à son argent" on ne va pas demander à son banquier précisément tel ou tel produit, mais une analyse de sa situation financière, puis une recommandation... La banque est-elle en mesure d’établir pareille relation de confiance?
Par Carl-Alexandre Robyn, associé fondateur du cabinet Valoro, spécialiste en amélioration de la relation client.
Les banquiers inquiets des ravages de la dernière crise financière sur le fonctionnement du système bancaire et par voie de conséquence sur la confiance des clients envers l’institution "banque" ont compris qu’il était temps de redoubler d’effort et d’investir davantage dans la relation avec les clients.
Ayant recensé les principaux griefs de leurs clients, ils comptent restaurer la confiance de ces derniers en apprenant à mieux les connaître. Une meilleure connaissance de la clientèle devant permettre aux banquiers de mieux anticiper ses besoins. Une meilleure anticipation permettra aux banquiers de fournir à leurs clients des réponses plus rapides et plus pertinentes. Les investissements porteront surtout sur des programmes de gestion informatisée de la relation client, sur la constitution d’entrepôts de données ("data warehouses") et le traitement intelligent de celles-ci ("data mining"), et plus accessoirement, sur la formation du personnel.
Investissement réciproque
Les banques continuent donc à investir dans l’amélioration de la satisfaction de leurs clients, mais elles estiment que ceux-ci doivent également s’impliquer davantage dans la relation et apprendre à s’informer et à mieux formuler leurs attentes et besoins. En effet, les banquiers ont constaté que la majorité des Belges, même s’ils considèrent que la plupart des produits bancaires et financiers sont trop complexes, n’ont ni l’envie, ni le temps de rechercher les informations adéquates et/ou de comparer les produits et services bancaires.
Cependant, il est très probable que le client ne s’impliquera pas facilement, en tout cas pas plus qu’il ne se forme ou s’informe sur les médicaments lorsqu’il va consulter son médecin. Tout comme le patient va chercher chez son médecin, non pas un médicament déterminé, mais un diagnostic, puis une ordonnance, de la même façon, le client qui a "mal à son argent" ne vient pas demander à son banquier précisément tel ou tel produit, mais une analyse de sa situation financière, puis une recommandation. D’ailleurs, il n’y a pas, à proprement parler, de demande de produits bancaires spécifiques. Il est ainsi très remarquable que la plupart des usagers des banques ne connaissent pas le nom des produits dont ils sont titulaires. En fait, d’une certaine manière, les produits bancaires n’existent pas aux yeux de la clientèle qui ne perçoit, en définitive, que la qualité de la prestation de service et la fiabilité des conseils donnés.
En outre, il est difficile de s’intéresser à des produits qui entrent dans le cadre d’une relation "obligée" (l’ouverture d’un compte en banque est rarement quelque chose dont on rêve, c’est souvent une contrainte administrative, en particulier le versement des premiers salaires, qui en provoque l’ouverture) et dont les occasions d’achat restent exceptionnelles. La durée de vie des produits bancaires est assez longue, ainsi, un client moyen ouvrira de deux à trois comptes d’épargne dans sa vie bancaire, un ou deux crédits immobiliers, et peut-être un crédit auto tous les quatre ou cinq ans…
Casse-tête
Si le client fait peu d’efforts, c’est peut-être aussi qu’il a le préjugé tenace et que, pour lui, toutes les banques se valent. Ainsi, les banques commerciales exploitent toutes à peu près la même chose et presque au même prix. Le client aguerri a appris, au fil des campagnes publicitaires parfois agressives, que le "gratuit" du langage bancaire veut dire payant dans la réalité, et que la "transparence", en matière de coûts et de tarifs, signifie labyrinthes des conditions d’application de ceux-ci. Il n’est donc plus dupe.
Peut-on lui reprocher ce préjugé, alors même que les intentions de transparence des banques ne trouvent pas facilement leurs chemins dans la réalité, malgré le discours officiel et les récents efforts de la corporation bancaire? L’objectif des banques n’est probablement pas de dissimuler des frais, mais la comparaison est rendue presque impossible pour le client. Il lui est difficile de comprendre les dépliants tarifaires. Ces derniers utilisent une terminologie peu claire, sont incomplets et posent souvent des problèmes d’interprétation (cf. le fonctionnement des frais sur découvert). De plus, toutes les banques n’utilisent pas le même vocabulaire, ce qui ajoute encore à la confusion. Choisir parmi diverses formules émanant de différentes banques, dont les documents sont à chaque fois rédigés dans un vocabulaire maison et truffés de notes de renvoi (en petits caractères) aux ramifications kafkaïennes, est un vrai casse-tête.
Maladresses
Par ailleurs, si les préjugés du public persistent, c’est bien que les stratégies de différenciation qu’entreprennent les banques sont toujours inopérantes. Après plus d’une décennie de surinvestissements en stratégies et tactiques relationnelles, notamment en gestion informatisée de la relation client (le fameux GRC ou CRM en anglais, acronyme de Customer Relationship Management), les résultats tardent toujours à arriver.
En réalité, les banques ont surtout sous-investi dans la relation avec leurs propres employés, notamment avec le personnel en contact avec la clientèle, celui-là même qui, aux yeux des clients, incarne la qualité du service de la banque.
Des maladresses dans leur communication interne ont parfois véritablement miné une relation tout aussi précieuse que celle avec le client.
Un exemple: depuis l’instauration et la généralisation du "scoring" (terme qui désigne la grille d’appréciation établie par l’ordinateur), le personnel a été aux premières loges pour constater que les banques ont, depuis longtemps, renoncé à injecter de l’intervention humaine dans l’évaluation des dossiers de crédit. Maintenant, on demande aux collaborateurs en contact avec la clientèle de bien vouloir alimenter en informations ces entrepôts de données des systèmes automatisés de gestion de la relation client, moins faillibles, moins chers, plus efficaces… qu’eux-mêmes.
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