Le livre de la semaine | "La dictature des identités" - Laurent Dubreuil
Les Métamorphoses d’Ovide proscrites des cursus en raison de ses scènes de viols, les Blancs interdits de parler du drame des Noirs etc.
Professeur à l’université Cornell aux États-Unis, l’auteur est aux premières loges pour observer la folie identitaire qui s’est emparée des campus américains. Au-delà des cocasseries du phénomène – qui déborde en Europe –, la politique d’identité "n’est pas seulement ridicule, diffuse, infantile; elle est à la fois programme et réorganisation."
De manière dense, drôle et féroce, l’auteur étudie la genèse et les apories de cette politique qui se fonde sur une conception fallacieuse de la subjectivité, réduite à la blessure qui la définit (du fait du racisme ou du sexisme, par exemple). Subjectivité à jamais fixée et aliénée puisqu’elle n’existe qu’en ressassant sa souffrance: je suis victime, donc je suis.
Ce faisant, l’identitarisme fait de l’identité un déterminisme – comme si l’appartenance à telle catégorie de victimes assignait le sujet à telle triste fatalité. S’ensuit alors un "despotisme démocratisé": car la complaisance victimaire se donne tous les droits et interdit l’imprévu, l’égalité, l’altérité, le dialogue. Avec deux conséquences: la fin d’un horizon politique commun au profit de communautarismes antagonistes et virulents; la prolifération de la censure contre toute œuvre d’art (passée ou présente) jugée offensante.
À rebours de ce tribalisme fossilisant, l’auteur propose à chacun de "refuser l’escroquerie, de ne pas convertir une joie ou une peine en un trait définitoire qui nous limiterait d’avance (…) In fine, mon rapport au politique relèvera toujours de ce que je veux faire de moi".
"La dictature des identités" - Laurent Dubreuil, Ed. Gallimard, 128 pages, 14,50 €
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