tribune

Il y a bien eu entre 35 et 40 milliards d'euros de profits opportunistes en Belgique en 2021-2022

Docteur en économie, enseignant à Solvay (ULB) et collaborateur à la CSC AS

Les critiques formulées pour atténuer ce montant sont sans fondement et ne remettent d’ailleurs pas en question l’existence de ces profits opportunistes.

De récentes études se sont intéressées au rôle de l’augmentation des bénéfices des entreprises dans l’inflation. Par exemple, le dernier European Economic Forecast de la Commission européenne estime que 55% de l’inflation générée en Europe provient d’une augmentation du profit unitaire des entreprises. Certaines auraient augmenté leurs prix de manière disproportionnée, générant à la fois une hausse des factures pour le consommateur, et des bénéfices accrus.

Olvier Malay.
Olvier Malay.

Mes travaux s’inscrivent dans ce champ de recherche. Ils s’inspirent de la méthodologie de la Commission européenne en l’appliquant au cas belge. En avril 2023, j’ai présenté au Parlement fédéral des chiffres issus de ces recherches, montrant qu’en Belgique aussi, les entreprises ont accru leurs bénéfices via des hausses de prix.

Publicité

Une décomposition des agrégats de la comptabilité nationale montre que ces «profits opportunistes» s’élèvent à 35 milliards € sur l’ensemble de la période 2021-2022. Il s’agit des profits réalisés par des hausses de prix supérieures à celles nécessaires pour compenser les hausses de coûts. Cette estimation est volontairement prudente. Si l'on reproduit plutôt une méthodologie utilisée par la Banque Nationale du Luxembourg, on obtient un montant de 40 milliards € de profits opportunistes en 2021-2022.

"Oui, le montant des profits opportunistes est élevé. Il correspond à une hausse des factures moyennes de 3.200 € par personne sur les deux ans, soit une partie significative de l’inflation des deux dernières années."

Critiques injustifiées

Ces chiffres se sont vus récemment reprocher deux éléments dans les colonnes de ce journal. Le premier est d’avoir intégré le secteur financier aux données, au motif qu’il serait trop différent du reste de l’économie. L’approche correcte aurait été de présenter les données avec et sans celui-ci. Une telle ventilation par secteur – financier et non financer – est, en effet, judicieuse. C’est d’ailleurs précisément ce que j’ai fait dans mes travaux.

Le secteur financier compte pour 5,5 des 35 milliards € de profits opportunistes, là où l’industrie compte pour 9,5 milliards, le secteur du gaz-électricité-eau pour 8 milliards, et les secteurs de l’immobilier et de la construction pour 6 milliards. Il y a donc des profits opportunistes dans plusieurs secteurs, dont le secteur financier.

Publicité

Une deuxième critique considère que les profits opportunistes ne seraient «que» de 9 milliards € sur la période, vu que les bénéfices nominaux des entreprises sont passés de 47 milliards € au premier trimestre 2021 à 56 milliards € au dernier trimestre 2022. La différence équivaudrait à 9 milliards €, et non 35.

Ce raisonnement n’est pas correct. En comparant un début et une fin de période, on ne saisit que deux points dans le temps et non le flux cumulé pendant celle-ci. Or, ce qui m’intéresse est de calculer la somme d’argent transférée des consommateurs vers les profits des entreprises via les hausses de prix. Celle-ci est bien de 35 milliards €, soit 4% du PIB cumulé 2021-2022.

Le débat est important, car l’enjeu est important

Oui, le montant des profits opportunistes est élevé. Il correspond à une hausse des factures moyennes de 3.200 € par personne sur les deux ans, soit une partie significative de l’inflation des deux dernières années, comme le montrent les travaux de la BCE ou de la Commission européenne. Notons que ce coût est supporté en partie par les consommateurs belges et en partie par les consommateurs d’autres pays, vu que de nombreuses entreprises situées en Belgique exportent leur production. Notons aussi que les consommateurs belges subissent également les hausses de prix opportunistes décidées par des entreprises à l’étranger, qui génèrent aussi des profits opportunistes, non comptabilisés ici.

Quantifier les profits opportunistes, ou simplement décomposer le déflateur du PIB entre travail et capital, pose des questions méthodologiques importantes. Celles-ci méritent d’être posées, mais sont loin des critiques qui ont été formulées jusqu’à présent, qui ne remettent d’ailleurs pas en question l’existence de profits opportunistes. Le débat est important, car l’enjeu est important. Beaucoup – dont moi – ne considèrent pas normal, au sens moral du terme, que des gens ne puissent plus payer leurs factures du fait que d’autres se soient enrichis.

Olivier Malay
Docteur en économie, enseignant à Solvay (ULB) et collaborateur à la CSC AS

Publicité
D'ici fin avril, la Belgique doit démontrer les mesures politiques prises pour réduire son déficit budgétaire. Le temps presse pour les négociateurs de l'Arizona.
L'Europe accorde sous conditions un sursis à la Belgique pour son budget
L’Union européenne a fixé à fin avril la date limite pour que la Belgique présente un plan budgétaire sur sept ans. Notre pays devra aussi montrer des avancées sur certaines réformes.
Messages sponsorisés