chronique

Jobs, jobs, jobs... encore et toujours

Économiste

La période préélectorale est décidément propice aux idées et propositions maladroites destinées à favoriser l'emploi et la remise au travail.

À l'approche des échéances électorales, le festival des idées pour l'emploi s'est ouvert sur des prestations remarquées de Vincent Van Quickenborne, Egbert Lachaert et Conner Rousseau. On avait au préalable déjà pu entendre Georges-Louis Bouchez comme produit d'appel pour annoncer la couleur.

Philippe Defeyt.
Philippe Defeyt. ©Thierry du Bois

L'Open VLD propose ceci dans les textes de son congrès de mai 2023:

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  • Les personnes qui travaillent à temps plein devraient toujours disposer d'au moins 500 euros nets de plus par mois que les personnes qui ne travaillent pas. 
  • L'augmentation (lire "l'indexation") des prestations sera gelée jusqu'à ce que la différence entre le travail et l'inactivité soit de 500 euros nets. Ensuite, les prestations pourront à nouveau augmenter, mais pas plus vite que les salaires.

Constatons d'abord que ces propositions ne sont pas techniquement précisées. Quel est le revenu net pris en considération (avec ou sans le 13ᵉ mois, le double pécule de vacances, les chèques-repas, les heures supplémentaires, etc.)? Quid des travailleurs à temps partiel? Le gel des allocations s'appliquerait-il aussi au revenu d'intégration? Cette logique concerne-t-elle le droit-passerelle? Est-ce le revenu individuel ou celui du ménage qui doit être pris en considération? etc.

La vision d'un monde fantasmé

Illustration: admettons que l'on arrive à ce différentiel de 500 €, mais que le revenu supplémentaire d'un des membres du ménage aboutisse à la diminution, voire à la perte, d'un avantage social d'un autre membre du ménage ou du ménage dans son ensemble, que devient la proposition? Ces propositions s'appuient en réalité sur la vision d'un monde fantasmé, bien loin des réalités sociales.

Si des personnes à petits revenus ont un revenu à peine supérieur à celui d'un allocataire social, c'est souvent parce qu'elles ont été amenées à devoir accepter un job dont le salaire est inférieur à leur salaire précédent, soit parce que le temps de travail est réduit, soit parce que le salaire horaire est moindre.

Si des personnes à petits revenus ont un revenu à peine supérieur à celui d'un allocataire social, c'est souvent parce qu'elles ont été amenées à devoir accepter un job dont le salaire est inférieur à leur salaire précédent, soit parce que le temps de travail est réduit, soit parce que le salaire horaire est moindre, soit pour ces deux raisons combinées.

Exemple: un salarié qui gagnait 3.000 € brut/mois avant de perdre son job n'aura un job qui ne lui rapporte pas beaucoup plus que 1.800 €/mois (montant de son allocation de chômage après 3 mois) que si le salaire mensuel proposé est inférieur à 3.000 € brut/mois (ce qu'il gagnait avant). Il n'y aura jamais de piège à l'emploi si on lui proposait un job avec le même salaire qu'avant!

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Or, la législation du chômage est implacable: si, tenant compte des frais de déplacement, un emploi vous rapporte au moins autant que votre allocation de chômage, vous êtes obligé de l'accepter.

Se pose dès lors la question suivante: quelles sont les allocations qui seront gelées et pendant combien de temps? En effet, l'écart dépend autant du niveau de l'allocation que de la hauteur du salaire proposé et de l'importance des frais professionnels.

Cas concrets

Regardons cela de manière concrète.

Un travailleur isolé qui est au salaire minimum (2.071 € brut/mois, 1.862 € net/mois) et dont les frais de déplacement sont financés par son employeur a un revenu net supérieur de 525 € à l'allocation de chômage qui serait la sienne (1.337 €/mois). Objectif atteint, il ne faut donc pas geler l'allocation. Oui, mais si ce travailleur a des frais de déplacement de 100 €/mois, il faudrait – dans la logique proposée – geler cette allocation jusqu'à ce que l'écart de 500 € tienne compte de ces dépenses.

Il ne s'agit pas de nier qu'il y a des situations où une personne ne voit pas ses revenus s'améliorer en cas de remise au travail. Mais l'analyse doit être plus fine et, in fine, conduire à des propositions plus subtiles et plus nombreuses.

Si ce travailleur est une maman seule, l'allocation de chômage est de 1.650 €/mois, soit un écart de 379 €/mois par rapport au net d'un salaire minimum. L'objectif de 500 € n'est pas atteint, a fortiori s'il y a des frais de déplacement. Bloquons donc l'évolution de l'allocation. Mais, dans ce cas, l'allocation de chômage va descendre, dès la première indexation, en dessous du montant du revenu d'intégration!

Une allocation de chômage de 1.800 €/mois est 308 € inférieur au net d'un salaire de 3.000 € brut/mois (= 2.108 €). Ainsi, il faut bloquer, jusqu'à atteindre un écart de 500 €. Oui, mais même à ce niveau, l'allocation de chômage ne donnera pas un écart de 500 € si le salaire proposé est égal au salaire minimum. Donc, il faudrait baisser l'allocation encore plus!

Et, entretemps, que devient la législation du chômage qui, elle, ne prévoit pas un écart de 500 € pour considérer qu'un job soit jugé convenable?   

Notons au passage que les questionnements ci-dessus ne disparaissent pas si l'on baisse l'IPP sur les salaires.

Il ne s'agit pas de nier qu'il y a des situations où une personne/un ménage ne voit pas ses revenus ou son niveau de vie s'améliorer (beaucoup), voire se détériorer, en cas de remise au travail. Mais l'analyse doit être plus fine et, in fine, conduire à des propositions plus subtiles et plus nombreuses. Elles devraient, en effet, toucher à de multiples dimensions (temps de travail minimal, législation du chômage, coût des crèches, montant de l'IPP, mensualisation du salaire annuel, calcul des allocations sociales, conditions d'accès à diverses aides sociales, etc.).

Philippe Defeyt
Économiste 

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