La déliquescence de notre système fiscal
Un coup de gueule qui se veut mesuré. Le législateur serait bien inspiré de décréter une pause dans sa ferveur réglementaire, mais aussi de simplifier les règles existantes.
Pour une fois, notre chronique constitue un coup de gueule à l’égard du législateur fiscal. Nous comprenons que la matière est complexe et mouvante, qu’il convient de prendre des mesures efficaces pour lutter contre les abus et qu’il n’est pas évident de "pondre" un texte clair et précis. C’est pourquoi nous essayons toujours de rester mesurés et nuancés.
Mais, ces derniers temps, nous sommes arrivés à un point tel que, si les contribuables étaient perdus depuis déjà longtemps dans les méandres de notre fiscalité, il en est désormais de même avec les comptables et les fiscalistes, dont c’est pourtant le métier.
Nous avons déjà écrit dans cette colonne que le législateur belge n’est pas le seul responsable dans la mesure où il est également contraint de transposer en droit belge des mesures décidées à l’international, que ce soit au niveau OCDE ou au niveau européen.
La coupe fiscale est pleine!
Or, cela n’a pas chômé depuis une dizaine d’années à cet égard, essentiellement en matière de transparence, de coopération administrative et de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, de même que la planification fiscale jugée trop agressive. Nous pensons que cela est une bonne chose, car il fallait mettre de l’ordre dans la fiscalité internationale pour lutter contre les abus.
Pour preuve, prenons les directives européennes ATAD 1 et 2 (reprenant diverses mesures anti-abus), le pilier 2 de l’OCDE (pour lutter contre l’utilisation des paradis fiscaux), les sept versions de la Directive européenne en matière de coopération fiscale (auxquelles va s’ajouter prochainement la 8ᵉ version pour viser les cryptoactifs), etc.
D’autres initiatives sont en cours comme, par exemple, une nouvelle directive ATAD (version 3) pour lutter contre les sociétés ayant insuffisamment de substance...
N’en jetez plus … la coupe fiscale est pleine!
À notre humble avis, les régulateurs feraient bien de faire une pause dans leur ferveur réglementaire, de prendre un peu de recul afin d’évaluer systématiquement et sérieusement les résultats obtenus grâce aux réglementations déjà adoptées, afin notamment d’en identifier les manquements réels et de prendre alors, le cas échéant et seulement si nécessaire, action.
La Belgique fait du zèle
L’administration fiscale ne manque pas d’armes pour lutter contre les abus si la société est belge.
Le problème ne s’arrête malheureusement pas là. Le législateur belge fait preuve de zèle ces derniers temps.
Prenons, par exemple, la taxe Caïman, cette taxe permettant d’imposer en transparence des contribuables belges ayant mis leur épargne à l’abri dans des "constructions juridiques" établies dans des paradis fiscaux. Celle-ci se justifie pleinement dans ce cas de figure, lorsque l’entité est en effet dépourvue de substance et localisée dans un paradis fiscal.
Pourquoi par contre l’avoir étendu à des sociétés européennes normalement imposées. Nous faisons quand même partie de l’Union européenne où la libre circulation des capitaux et la liberté d’établissement existent! Et ce d’autant plus qu'il existe déjà des tas de mesures anti-abus au niveau de l’UE…
Pourquoi renforcer encore le système en prévoyant que la taxation en transparence doit s’appliquer si la construction juridique est détenue par une société "normale", comme une société belge ou hollandaise? Alors que, dans ce cas de figure, il y a déjà plusieurs sanctions possibles pour éviter une perte de recettes fiscales pour la Belgique.
Bref, l’administration fiscale ne manque pas d’armes pour lutter contre les abus si la société est belge. Il en est de même si la société est établie au sein de l’UE, vu que les mêmes règles existent grosso modo partout (vu qu’elles sont d’origine européenne).
Cette façon de procéder - kafkaïenne - est contraire au droit européen…
La taxe Caïman n’est hélas qu’un exemple.
La superposition de nouvelles mesures complexes crée une insécurité rare, de situations de double imposition et de litiges, souvent inutiles et coûteux pour la communauté.
Une source d'insécurité juridique
Le législateur entend également mettre au goût du jour deux vieilles mesures anti-abus qui étaient quelque peu tombées en désuétude, notamment parce qu’elles avaient été jugées contraires au droit européen.
Il s’agit des mesures visées à l’article 54 et 344,§2 du CIR pour les spécialistes. Ces mesures ne sont ni nécessaires (même du point de vue de l’administration fiscale) ni souhaitables.
La superposition de nouvelles mesures complexes rend le système non seulement illisible (pour les contrôleurs et l’administration fiscale également d’ailleurs), mais également et surtout source d’une insécurité rare, de situations de double imposition et de litiges, souvent inutiles et coûteux pour la communauté.
Il conviendrait donc, d’une part, de simplifier les règles existantes, d’éviter de les superposer les unes sur les autres et de ne pas encombrer notre législation fiscale de nouvelles mesures.
Espérons que notre appel soit entendu… Nous en doutons hélas!
Patrice Delacroix et Olivier Hermand
Partners PwC
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