Un siècle avant qu’elle fasse son entrée dans à peu près toutes les collections, l’horloger Abraham-Louis Breguet a créé la première montre-bracelet pour Caroline Murat, sœur de Napoléon et Reine de Naples. Si la montre originale semble avoir disparu pour de bon, les archives détaillées de Breguet permettent d’en retracer l’histoire. Plus encore: la Reine de Naples poursuit sa vie dans une collection Breguet qui rencontre un succès exceptionnel.
Les premières montres personnelles étaient des montres de poche. Pendant très longtemps, la montre-bracelet la plus ancienne fut attribuée à une autre marque horlogère qui aurait fabriqué cette parure féminine pour une comtesse hongroise en 1868. Plus tard et plus connu, l’horloger Cartier fabriquera des montres-bracelets à l’intention des pilotes pour qui il était plus aisé de jeter un rapide coup d’œil à leur poignet que de rechercher une montre de gousset dans leur veste en plein vol.
Élégance royale
En réalité, nous devons la véritable “invention” de la montre-bracelet à l’horloger suisse Abraham-Louis Breguet: c’est la Reine de Naples, commandée en 1810 et finalement livrée en 1812. Si cette montre-bracelet semble avoir disparu de la surface du globe, les archives de Breguet permettent de se faire une idée de l’élégance et de la perfection de ce petit chef-d’œuvre signé Breguet.
Commande royale
La quête de la Reine de Naples originelle commence place Vendôme à Paris, où sont entreposées les archives de Breguet. Le livre des commissions rassemble toutes les commandes des clients du maître-horloger. On y trouve ainsi au folio 29, en date du 8 juin 1810, une commande passée par Caroline Murat, sœur de l’empereur Napoléon et Reine de Naples depuis son mariage avec Joachim Murat.
La reine franco-italienne était en effet une grande ambassadrice de l’élégance. Pour stimuler l’économie napolitaine, elle a soutenu les fabricants textiles locaux, organisé l’enseignement pour les jeunes filles et financé les fouilles archéologiques à Pompéi. Pendant son règne mouvementé, elle a fait rénover les palais royaux, commandant notamment le tableau La Grande Odalisque au peintre français Ingres en 1814. Elle a introduit à Naples les dessinateurs de mode parisiens et… les maîtres-horlogers de la capitale française. Fidèle cliente de Breguet, elle lui a commandé deux pièces ce 8 juin: une montre de poche avec “grandes complications” et… une montre à répétition avec “bracelet” pour le prix de 5.000 francs.
L’histoire de la montre-bracelet se poursuit dans le livre de fabrication, qui contient une fiche d’identité de chaque montre Breguet et décrit précisément la façon dont la montre a été élaborée. La montre destinée à la Reine de Naples s’y voit attribuer le numéro 2639; deux mois après la commande, l’atelier entame la fabrication de ce chef-d’œuvre inédit à cette époque.
17 personnes ont travaillé 16 mois sur la première montre-bracelet
Quelque 17 personnes travailleront 16 mois durant sur cette première montre-bracelet, qui sera terminée début décembre 1811. Le prix de 4.800 francs prouve que Breguet avait parfaitement respecté le budget prévu.
Pourtant, Caroline Murat attendra encore un an sa montre-bracelet: Breguet ne livre que lorsque tout est absolument parfait. Or, le maître horloger n’était pas encore totalement satisfait de la minuterie de la montre. Et à la demande de la Reine, le cadran en or guilloché sera remplacé par un exemplaire en argent. La montre a été également munie de chiffres arabes, ce qui était exceptionnel à l’époque pour des cadrans en or ou en argent.
Les archives
Le 21 décembre 1812, la montre est enfin achevée et envoyée à Caroline. Plus de 30 ans plus tard, le 8 mars 1849, la Reine de Naples réapparaît dans le livre de rhabillage, en quelque sorte le registre du service après-vente de Breguet, où sont inscrites toutes les révisions apportées aux montres de la marque. Elle a été apportée par la comtesse Rasponi, née Louise Murat, la plus jeune fille de Caroline et Joachim. La montre n° 2639 fait l’objet d’une description très précise lors de cet entretien: une montre oblongue avec les complications, exceptionnellement fine, munie d’un bracelet cousu de fils d’or.
La montre n° 2639 est décrite avec une grande précision: une montre oblongue, munie d’un bracelet cousu de fils d’or
Après la révision en 1849 – qui a coûté 80 francs – la première montre-bracelet figure encore dans les archives de 1855. C’est la dernière trace de cette pièce. Depuis, ce modèle légendaire est introuvable…
À partir de ces archives, la maison Breguet a réalisé une version moderne de ce chef-d’œuvre en 2002. L’histoire continue…