Est-il judicieux d’extraire des fonds de ma société? Quel est le meilleur moment pour le faire? Et comment procéder? Tout entrepreneur se pose ces questions tôt ou tard. Ariane Joris, Head of Estate Planning chez Degroof Petercam, apporte son éclairage.
“Dans la pratique, le transfert d’argent de la société vers le patrimoine privé se fait dans certaines situations”, avance Ariane Joris. “Vous avez besoin de fonds privés pour financer une résidence secondaire, vos enfants vont à l’université, vous voulez vivre plus confortablement, etc. Et la reprise de votre société ou l’entrée de nouveaux actionnaires donne fréquemment lieu à une distribution de fonds. Pour abaisser le seuil d’entrée, les conseillers recommandent généralement d’affecter d’abord, au patrimoine privé, les fonds qui ne sont pas nécessaires au fonctionnement de la société.”
Une réalité fiscale différente
Investir dans une entreprise exige un travail sur mesure.
Beaucoup de chefs d’entreprise ont encore la conviction que ces liquidités “excédentaires” doivent être transférées vers le patrimoine personnel le plus rapidement possible. “C’était vrai autrefois”, acquiesce Ariane Joris. “L’impôt des sociétés était plus élevé, tandis que le précompte mobilier (PM) était plutôt faible. Les revenus des liquidités ou des investissements dans une société étaient donc lourdement taxés, alors que c’était moins le cas des revenus des liquidités ou des investissements détenus à titre privé. Désormais, cependant, le taux d’imposition des sociétés est nettement plus faible (25%/20%), alors que le taux de base du PM a augmenté pour atteindre le taux actuel de 30%.”
Investir les réserves “excédentaires”
À plus forte raison si vous envisagez d’investir, vous devez bien réfléchir avant d’extraire des réserves de votre société. “La taxe sur les opérations de Bourse (TOB), les frais bancaires et les frais de change sont en principe déductibles fiscalement si vous investissez avec votre société”, note Ariane Joris. “En tant que personne privée, ce n’est pas le cas. Si les particuliers peuvent toujours réaliser des plus-values sur les actions sans être imposés, les sociétés peuvent également investir dans des fonds dits RDT de manière fiscalement avantageuse. Dans ce type de fonds, les dividendes et les plus-values réalisées sont presque totalement exonérés de l’impôt des sociétés.” Un fonds RDT doit néanmoins remplir certaines conditions et correspondre à votre profil de risque.
L’exemple simplifié du tableau ci-contre montre à quel point la différence peut être importante entre un investissement privé et un investissement dans une société.
Il faut par ailleurs prendre en considération un éventuel versement ultérieur, au risque de comparer des pommes et des poires. Les fonds au sein de la société devront en effet être extraits tôt ou tard, et cette opération aura un coût fiscal. Mais même en tenant compte de cette extraction, il est parfois possible de conserver un revenu net supérieur en investissant à long terme par l’intermédiaire de la société au lieu de reverser rapidement cet argent. Investir dans une société exige toutefois un travail sur mesure.
La détention de liquidités et de placements dans une société peut également s’avérer intéressante dans le cadre de la transmission des actifs aux (petits-)enfants. La planification de la succession offre ici une solution. “De cette manière, vous pouvez transférer progressivement les responsabilités à la génération suivante et l’initier à l’investissement, par exemple par des donations d’actions de la société avec conservation du contrôle”, illustre Ariane Joris.
Parfois, il est préférable de conserver les liquidités dans l'entreprise et de les investir.
Pas de “bonnes” ou de “mauvaises” solutions
Dans certains cas, il peut être utile voire nécessaire de retirer des liquidités de votre société: octroi de salaires, versement d’un dividende, réduction du capital, location d’un immeuble à la société, création d’une réserve de liquidation, le régime dit “VVPR bis”, etc. Les chefs d’entreprise disposent aujourd’hui de tout un arsenal de solutions pour extraire des fonds de leur société.
“Bien que certaines options soient devenues moins attrayantes au fil du temps, comme la réduction de capital ou le ‘prêt’ via le compte courant, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises solutions”, estime Ariane Joris. “Faites votre choix en fonction de votre situation et de vos besoins ainsi que de ceux de votre société. La fiscalité est un aspect à considérer, bien sûr, mais il ne devrait jamais être le principal. D’autres dimensions telles que la sécurité, la tranquillité d’esprit et la simplicité sont tout aussi importantes. La solution doit toujours être cohérente.”
Les salaires comme levier de l’EIP
Prenons l’exemple des salaires. “Traditionnellement, les chefs d’entreprise considèrent qu’il s’agit d’un ‘mauvais’ moyen d’extraire des liquidités d’une société en raison de la charge fiscale et des cotisations de sécurité sociale élevées – or, verser un salaire plus élevé peut parfois être intéressant”, nuance Ariane Joris.
Un salaire supérieur peut effectivement bénéficier à votre engagement individuel de pension (EIP). “Selon ce système, les primes sont plafonnées en fonction de votre salaire, selon la règle des 80%. Avec une augmentation de salaire, vous pouvez rendre votre EIP encore plus efficace. À l’âge légal de la retraite, le capital de la pension peut alors souvent être versé à un taux très favorable.”
Précompte mobilier inférieur grâce à une réserve de liquidation
Une solution actuellement séduisante est celle de la réserve de liquidation, dans la mesure où vous disposez d’un peu de temps avant d’extraire des fonds de votre société. Alors que vous payez 30% de PM sur un dividende ordinaire, cet impôt peut baisser à 15%, voire à 10% en cas de liquidation, grâce à la création d’une réserve de liquidation. “Les sociétés peuvent transférer tout ou partie de leur bénéfice après impôt à une réserve de liquidation”, détaille Ariane Joris. “Au moment de la mise en réserve, la société verse un précompte spécial de 10%. Lors d’une distribution ultérieure de cette réserve, vous bénéficiez du taux réduit de PM. Ce taux se limite à 5% pour une distribution de dividendes effectuée plus de cinq ans après la constitution de la réserve de liquidation. Et si le versement est effectué à l’occasion de la dissolution de la société, aucun PM supplémentaire n’est dû.”
Le bénéfice reporté des exercices précédents ne peut quant à lui plus être affecté à la réserve de liquidation. Le système est soumis à diverses règles et conditions. Certes, la création d’une réserve de liquidation ne sera pas systématiquement utile. Mais elle le sera dans de nombreux cas.
Bon à savoir: les fonds de la réserve de liquidation ne sont pas des “capitaux passifs”. “Ils peuvent être investis dans la société pendant la période d’attente de cinq ans, voire après. De cette manière, vous pouvez générer des revenus supplémentaires, qui peuvent à leur tour bénéficier du régime de la réserve de liquidation.”
“Un autre moyen, généralement méconnu, d’extraire des liquidités d’une société est le régime ‘VVPR bis’”, conclut Ariane Joris. “Selon ce régime, une petite société peut, sous certaines conditions, verser un dividende à ses actionnaires au taux de 15% après une période d’attente de trois ans à compter de la date de l’apport.”