Les pouvoirs publics et les réglementations ne peuvent pas tout résoudre, s’accorde à dire Ine Van Wymersch, procureure du Roi de l’arrondissement de Hal-Vilvorde. “La reconstruction du tissu social peut résoudre de nombreux problèmes avant qu’ils aboutissent devant les tribunaux.”
Pendant la pandémie, les autorités ont fait appel, avec plus ou moins de succès, à notre sens civique et au tissu social pour faire en sorte que les règles soient respectées. Pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné?
“On ne peut faire ainsi appel du jour au lendemain à notre sens civique. Il faut pour cela avoir établi un lien sur lequel vous pouvez vous appuyer au moment où vous attendez quelque chose de la part des citoyens. Si la justice souhaite établir ce lien, elle doit prouver qu’elle ne gère pas les dossiers depuis sa tour d’ivoire et qu’elle fournit de vrais services aux citoyens. Elle ne peut obtenir le soutien de ceux-ci que si elle s’intéresse réellement à ce qui se passe dans la société. Ce n’est pas évident pour une institution qui ‘poursuit’, telle que la justice, mais il est tout de même possible d’expliquer pourquoi les citoyens ont intérêt à respecter les règles sans brandir immédiatement des sanctions.”
Comment la justice tente-t-elle de créer ce soutien?
“Tout d’abord en communiquant. Les médias jouent le rôle d’intermédiaires pour relayer notre message aux citoyens. Pendant la crise du coronavirus, nous avons détaillé notre rôle et indiqué clairement que ce n’était pas notre mission de verbaliser un maximum de personnes. Pour moi, cependant, la perception est la réalité. Si nous voulons influencer la manière dont les citoyens nous considèrent, nous devons travailler activement sur cette perception et mettre en lumière notre action. Ce faisant, il convient également de communiquer sur des choses positives et pas uniquement sur ce qui ne va pas. Le défi réside dans cette communication proactive – en d’autres termes, nous devons faire passer nous-mêmes nos messages. Lorsqu’une émission de télévision invite un spécialiste de la justice, nous voulons être présents pour ne pas laisser à d’autres le soin de parler de nous.”
Quel rôle jouent ici les collaborateurs de justice?
Les citoyens s’adressent immédiatement aux autorités publiques en cas de conflit avec leur conjoint, leur voisin ou l’école. Cela démontre la faiblesse de notre tissu social.
“Ils doivent être exemplaires. De nombreux magistrats délèguent la communication aux porte-parole – c’est nécessaire dans les affaires en cours – mais ils n’en sont pas moins présents sur les réseaux sociaux. Ils sont ainsi les ambassadeurs de la justice. Il s’agit d’un processus de prise de conscience, dans le cadre duquel nous avons lancé un débat sur l’intégrité. Par exemple, j’ai indiqué sans ambiguïté, durant la pandémie, que les collaborateurs de justice ne pouvaient se prononcer publiquement ou de manière non nuancée contre les mesures de prévention. Le choix de ce métier définit en partie notre identité. Tout le monde doit le comprendre avant d’entamer une carrière au sein de la justice.”
“Cela concerne aussi le traitement des dossiers. Un des fers de lance de mon plan d’action porte sur le ‘réflexe victime’ chez les magistrats. Cela signifie que, dès que la police appelle et qu’un dossier est ouvert, ils doivent réserver une place aux victimes afin qu’elles n’aient pas l’impression que tout se passe loin d’elles. Les magistrats peuvent exposer leurs raisons d’enquêter ou non sur un délit. Les citoyens ne seront peut-être pas toujours d’accord avec cette décision, mais au moins ils se feront un avis en connaissance de cause. Nos décisions ont un impact important sur les auteurs des faits, les victimes et la société. Nous en sommes de plus en plus conscients.”
Vous estimez que notre tissu social n’est pas en très bon état. Les citoyens ont-ils trop tendance à se tourner vers les pouvoirs publics pour résoudre leurs problèmes de famille ou de voisinage?
“Les longs mois de télétravail, la mise à l’arrêt de secteurs entiers, les fermetures d’écoles ont fait monter la pression sur les familles. Parfois, cette pression s’est transformée en un cocktail délétère. Il est évident que les citoyens font de plus en plus appel à la police et à la justice pour résoudre leurs problèmes familiaux et de voisinage. Ils s’adressent immédiatement aux pouvoirs publics lorsqu’ils sont en conflit avec leur conjoint, leur voisin ou l’école. Cela démontre la faiblesse de notre tissu social.”
“Le nombre de personnes qui lancent une procédure devant les tribunaux de la famille est tout simplement absurde, alors qu’il existe d’autres façons de résoudre un problème, sans l’intervention de la justice. Les citoyens doivent absolument se réapproprier leur vie et comprendre qu’ils peuvent eux-mêmes avoir une influence sur leur propre situation! Le poids de l’entourage est primordial. Rares sont les personnes conscientes du rôle qu’elles peuvent jouer pour quelqu’un qui se trouve en situation de conflit.”
Est-il possible de reconstruire notre tissu social?
“Nous devons ancrer le rôle des citoyens et du tissu social dans un cadre réglementaire. Il ne faut pas attendre la création de nouvelles institutions pour placer les jeunes, mais examiner si les personnes qui font partie de leur réseau – professeurs, parents d’amis ou d’amies – sont prêtes à les accueillir en cas de crise. Et de notre côté, nous pouvons aider ces personnes en leur accordant un statut clair.”
Vous plaidez pour que l’on fasse plus souvent appel à la médiation.
“Lorsque leurs parents se séparent, les enfants ont droit à ce que les choses se passent avec un maximum de sérénité. La médiation peut être une solution. Les recherches scientifiques montrent que les accords conclus entre les parents avec l’aide d’un médiateur sont plus durables et mieux respectés qu’une décision de justice. La loi doit évoluer afin que les tribunaux ne soient sollicités qu’en cas de gros problème. Nous devons faire comprendre aux citoyens que la voie judiciaire n’est pas toujours la meilleure, et qu’elle n’est certainement pas la solution idéale pour nos enfants.”