En exclusivité pour Sabato, découvrez les coulisses de Highgrove, le projet de jardin du roi Charles III, et apprenez comment il en a fait une réussite sur le plan de l'écologie.
Le couronnement de Charles III aura lieu à l’abbaye de Westminster le samedi 6 mai. Si le roi du Royaume-Uni se distingue des autres têtes couronnées, c’est grâce à ses doigts verts! Depuis des années, les jardins royaux de Highgrove, le domaine privé de Charles III dans les Cotswolds, dans le comté de Gloucestershire, constituent un exemple de jardinage à la fois traditionnel et innovant sur le plan écologique. Que nous disent-ils du nouveau monarque? Et quelle leçon donnent-ils aux jardiniers amateurs?
Le roi traditionnel
"Pour lire dans le cœur du futur roi du Royaume-Uni, il suffit de se rendre dans son jardin privé", avait déclaré Alan Titchmarsh, le légendaire jardinier de la télévision britannique, quand la BBC l’avait envoyé en visite chez Charles, alors Prince de Galles, dans sa propriété de Highgrove dans le Gloucestershire.
Roulant en direction de Highgrove, Titchmarsh, qui a longtemps présenté l’émission "Gardeners’ World" sur la BBC, avait ajouté que Charles était «le meilleur jardinier royal de tous les temps». Si c’est Alan Titchmarsh qui l’affirme, on peut le croire!
Arrivé à la propriété, Titchmarsh avait bénéficié d’une visite guidée par Charles en personne. Dès les premières minutes, alors qu’ils se trouvaient à hauteur du Thyme Walk, un chemin pavé où poussent différentes espèces de thym rampant, il était clair que Charles était un traditionaliste.
Le joyau de Highgrove est la célèbre «Flower Meadows», la prairie de fleurs sauvages. Charles a déclaré que le fait qu’elle soit différente chaque année le rend profondément heureux.
"J’aime les haies, les topiaires et les allées", avait-il déclaré alors qu’ils contemplaient le jeu de lignes géométrique des haies de hêtres surélevées et des allées rectilignes, légèrement et judicieusement déséquilibrées par des ifs taillés en pyramide et en spirale. Lors de l’achat du domaine, en 1980, les haies d’ifs de Highgrove ressemblaient à de tristes poudings, d’où sa décision de les tailler en topiaires.
De plus, Charles a fait planter des haies d’ifs, en hommage à sa grand-mère, qui avait fait aménager un mur d’ifs à Sandringham, la maison de campagne des Windsor dans le Norfolk.
De sa mère, la reine Elizabeth II, Charles a hérité de Sandringham, où son premier projet de jardin a été la création d’un immense parc topiaire de 5.139 ifs. Avec ce nouveau projet, Charles rend hommage à son arrière-arrière-grand-mère, la reine Alexandra (épouse d’Édouard VII) qui, à la fin du XIXe siècle, avait fait planter à Sandringham un jardin topiaire aujourd’hui disparu. Il était encore présent au début des années 50 et Charles se souvient avec émotion que, enfant, il contemplait les «gigantesques paons, oiseaux et animaux de verdure» de la reine Alexandra.
Charles aime les ifs, qui sont le meilleur choix pour ceux qui rêvent d’une allée de conifères taillés en animaux et autres fantaisies, car le buis est devenu un aimant à champignons et à pyrale.
Le roi écologiste
Charles et sa sœur Anne avaient un potager à Buckingham Palace quand ils étaient petits, mais ce n’est qu’après avoir acheté Highgrove, en 1980, qu’il a commencé à vraiment s’intéresser au jardinage. Charles avait été séduit par la "lumière dans la maison" et la "toile blanche" que représentait ce domaine. Une expression à prendre au pied de la lettre: avec peu de plantations et des zones parfois négligées, la propriété offrait un beau potentiel. Mais qu’a réalisé Charles pour créer ce paradis de verdure qu’est Highgrove? Bien entendu, un jardin de six hectares demande les soins de toute une équipe: dix jardiniers pour être précis, dirigés par la jardinière en chef, la Canadienne Debs Goodenough. Cependant, dès son arrivée, Charles a mis ses bottes de jardin et, armé de cisailles, de sécateurs et de scies, il s’est mis au travail. Dans l’ouvrage "Highgrove - A Garden Celebrated" de Bunny Guinness, un jardinier raconte: "Un après-midi, nous étions allés planter des bulbes dans une zone bosselée. Bien que le prince fût nettement plus âgé que moi, j’avais du mal à le suivre: il s’est attaqué au site avec enthousiasme!"
Le joyau de Highgrove est la célèbre "Flower Meadow", une prairie de fleurs sauvages. Dans la majorité de ses interviews, Charles déclare que le fait qu’elle soit différente chaque année le rend profondément heureux. Mais, ce qui le comble vraiment, avait-il déclaré dans l’interview accordée à la BBC en 2010, c’est de réaliser que cette prairie aura un aspect complètement différent lorsqu’il ne sera plus de ce monde. C’est le propre du jardinier dans l’âme: même si la terre que vous cultivez vous appartient, vous ne faites que l’emprunter à la nature et vous en êtes conscient.
Dès que Charles arrive à Highgrove, il saute dans ses bottes de jardin et, armé d’une cisaille, d’un sécateur et d’une scie, il se met au travail.
La «Flower Meadow» a marqué le coup d’envoi de l’impressionnant projet écologique qu’est devenu Highgrove: panneaux solaires, collecte d’eau de pluie, compost fait des déchets de cuisine et des fientes des 180 poules du verger, ainsi que filtrage de l’eau de la baignoire royale pour alimenter un marécage planté de roseaux. Si ces pratiques sont aujourd’hui tendance, dans les années 80 les écologistes étaient moqués pour leur opposition jugée naïve aux pesticides, aux engrais et à l’agro-industrie. Si une prairie de fleurs sauvages est aujourd’hui considérée comme un paradis pour les abeilles et les papillons, elle représentait alors un cauchemar de «mauvaises» herbes.
Il faut cependant reconnaître que si Charles était un pionnier, il n’a pas procédé seul. Pour la création de la «Flower Meadow» et la mise en œuvre des principes écologiques de Highgrove, il a été secondé par Dame Miriam Rothschild et Lady Salisbury, deux excentriques de l’aristocratie britannique, l’une diplômée en sciences (Rothschild) et l’autre, passionnée de jardinage bio (Salisbury). Le mélange de fleurs sauvages semées dans la «Flower Meadow» avait été surnommé «The Gloucestershire Farmer’s Nightmare», un qualificatif que la prairie porte aujourd’hui avec fierté. Charles a d’ailleurs cessé de compter les orchidées sauvages qui poussent dans sa prairie fleurie, car elles sont devenues trop nombreuses...
Debs Goodenough, la jardinière en chef de Highgrove, aime souligner l’importance de la rhinanthe des prés, une fleur jaune apparentée à la gueule-de-lion, dans son «farm nightmare mix». Une prairie de fleurs sauvages a besoin d’un sol pauvre, soit non fertilisé. La rhinanthe des prés est une plante semi-parasite qui se nourrit des racines de l’herbe, ce qui favorise la croissance des fleurs sauvages.
Le roi excentrique
Charles aime également s’affranchir des règles en matière de jardinage. Dans la Flower Meadow, il a ainsi planté des fleurs sauvages, mais aussi des bulbes de tulipe et de camassia -la fleur de camassia bleue serait parmi ses préférées. Une autre de ses obsessions est le delphinium, une longue fleur en forme de pied d’alouette dont il a couvert son «Cottage Garden».
Charles reçoit aussi des cadeaux de la part de ses amis célèbres. Lorsque les tulipes de la prairie ont été touchées par une maladie, elles ont été remplacées par la frittilaria meleagrie, la fritillaire pintade aux pétales tachetés de pourpre. Ces centaines de bulbes de fritillaire lui ont été offerts par la rockstar Sting. Ailleurs se dresse un catalpa bignonioides aurea aux fleurs en forme de trompette jaune, un cadeau d’Elton John. Et le Dalaïlama lui a offert un arbre.
Il y a aussi les innombrables sculptures que Charles a reçues et auxquelles il a attribué une place en plein air, des sculptures plus classiques du Cottage Garden aux œuvres plus excentriques de la «Stumpery». Un «stump» étant une souche d’arbre, une «stumpery», ou soucherie, est un type de jardin victorien composé de souches d’arbres parmi lesquelles sont plantées des fougères et des mousses.
«Si vous voyez un gentleman farmer coiffé d’une casquette se promener à Highgrove, sachez que c’est Charles.»
À Highgrove, ce concept a été développé en plaçant dans cette partie ombragée du domaine des sculptures et des petites constructions inspirées de la forme des souches. La plantation de gunnera, aux feuilles immenses, et de fougères confère à la soucherie de Highgrove une atmosphère mystérieuse et préhistorique.
La «Stumpery» abrite également la collection nationale d’hostas, des plantes vertes à grandes feuilles qui apprécient l’ombre, une autre passion de Charles qui, quand il aime quelque chose, en veut à profusion. Highgrove est parfois surnommé «l’arche de Charles», car c’est une collection de ses plantes préférées, de curiosités, de souvenirs et d’œuvres d’art.
L’année suivante, Charles s’est rendu à Chelsea avec l’architecte paysagiste Jinny Blom. Celle-ci se souvient avec émotion d’être rentrée chez elle l’esprit en ébullition après cette première rencontre: «Son Altesse Royale parlait de fontaines musicales turques, de prairies de Transylvanie, de landes de Balmoral, de fleurs de Bach, de haies tressées, de chênes et de collines -je ne savais pas par où commencer.» Charles a également remporté une médaille d’argent à Chelsea en 2002 avec l’aide de Blom, grâce à un jardin baptisé «The Healing Garden» (le jardin thérapeutique).
Pour la conception de votre jardin, laissez libre cours à votre imagination et n’oubliez pas que tout peut être source d’inspiration. Pour créer le Carpet Garden (jardin tapis) de Highgrove, Charles s’est inspiré d’un voyage à l’étranger, et plus particulièrement d’un tapis d’Orient qu’il avait admiré. Ce projet a valu à Charles ainsi qu’à son concepteur, Mike Miller, une médaille d’argent au Chelsea Flower Show en 2001.
Le roi discret
Saviez-vous que, bien que Highgrove soit la maison de campagne du roi Charles III et de la reine Camilla, techniquement le domaine appartient au duché de Cornouailles? Étant donné que William a hérité de son père du titre de duc de Cornouailles, Charles doit maintenant –en théorie– payer un loyer à son fils. Plus sérieusement, quand Charles et Lady Diana ont emménagé à Highgrove au début des années 80, ils étaient harcelés par les paparazzis, qui profitaient du site peu végétalisé à l’époque pour les mitrailler.
Le public et la presse bénéficiaient d’une vue pratiquement dégagée sur le domaine. Le fait que le «Sundial Garden» (jardin du cadran solaire), un jardin exposé au sud orné d’un cadran solaire en son centre, ait été la première réalisation de Highgrove avait une raison purement pratique: en 1980, c’était le seul endroit qui était à l’abri des regards, car il était situé derrière la demeure.
En 1982, une haie d’un mètre de haut, désormais emblématique (une haie d’ifs, bien sûr), a été plantée dans le «Sundial Garden» afin de fournir une protection supplémentaire. Depuis la cabane «Hollyrood House» construite dans la «Stumpery» pour les jeunes princes Harry et William jusqu’aux innombrables bancs cachés derrière des arbres, des buissons et des murs, Highgrove compte aujourd’hui de nombreux endroits où résidents et visiteurs peuvent se retirer.
Vous avez bien lu: les visiteurs sont les bienvenus à Highgrove, d’avril à octobre. En moyenne, Highgrove accueille environ 30.000 visiteurs par an. C’est le paradoxe de Charles III: il tient à sa vie privée, mais adore partager ses jardins avec le grand public. C’est ainsi que Highgrove a acquis son statut unique de «private family garden, with a public face».
Si seul le jardin est ouvert aux visites, un endroit reste inaccessible: dans l’Arborétum, qui abrite la collection d’arbres, se trouve un petit cottage en pierre baptisé «The Sanctuary», considéré comme «le seul endroit au monde où Charles III peut être seul».
Dans le «Cottage Garden», le guide vous montrera peut-être le grand vase en terre cuite «dans lequel le petit Harry s’était un jour caché» -pour des raisons évidentes, il omettra de vous préciser que Harry et son frère William ont eu leur «Club H», aménagé dans une cave de la maison de Highgrove. C’est là qu’ils ont fait la fête pendant leur adolescence, ainsi que l’a avoué Harry dans son livre «Spare» (Le suppléant).
Le roi fermier
«Du crottin de cheval bien décomposé, c’est le secret de tout!» Il n’y a qu’un seul roi au monde pour faire une telle déclaration, Charles III. Sans oublier cette blague qui circule dans les pubs du village voisin de Tetbury: «Si vous voyez un gentleman farmer coiffé d’une casquette se promener à Highgrove, c’est Charles.»
Les Britanniques sont connus pour être les meilleurs jardiniers du monde, mais cela va au-delà du jardin ornemental: il s’agit de l’amour du métier de fermier dans toutes ses variantes. Les parterres de roses d’Élisabeth II étaient aussi colorés que ses tenues, mais la reine aimait aussi ses chevaux et ses vaches jersiaises. Les ambitions de Charles en tant que gentleman farmer bio étaient si élevées que, dès les années 80, il a fondé la Duchy Home Farm, une ferme bio qui exploite les 360 hectares de terres autour de Highgrove. Il y élève des races rares comme les porcs tamworth et les bovins irish moiled, et y cultive des carottes, des pommes de terre et des céréales.
Aujourd’hui, on peut acheter les produits Duchy Home Farm dans les supermarchés britanniques dans la gamme «Duchy Original», mais Charles s’est retiré de ce travail de toute une vie en 2020. Il était temps pour lui de relever un nouveau défi: créer le plus grand élevage de moutons bio du Royaume-Uni à Sandringham.
Entretemps, le roi Charles et la reine Camilla font emballer leurs légumes, fruits et fleurs coupées du potager de Highgrove pour les envoyer au palais de Buckingham. D’ailleurs, ne qualifiez jamais de simple potager ce qui est un «kitchen garden» victorien. Le «Kitchen Garden» de Highgrove est un jardin comestible clos où les lignes géométriques (choux plantés en losanges, lits de poireaux bordés de haies) forment la base, les tunnels et espaliers remplis de fruits apportent de la hauteur et les fleurs à couper, une touche de frivolité.
Ceux qui souhaitent cultiver et manger comme un roi, voici les légumes préférés (et violets) de Charles III: le chou de Bruxelles «rubine», la carotte «purple haze» et les pommes de terre «red duke of york».