En exclusivité pour Sabato, Sa Majesté la Reine Paola offre un aperçu de la collection d’art contemporain au palais royal. Révolution esthétique au palais de Bruxelles. reportage: Thijs Demeulemeester PHoto: Julien Lanoo
Non, la Reine Paola n’oubliera pas de sitôt ses visites dans l’atelier de Michaël Borremans. Cela fait déjà trois fois qu’elle se rend chez le grand peintre gantois. Sa Majesté avait repéré une magnifique petite œuvre mais, lorsqu’elle a manifesté son désir de l’acquérir pour le palais, Michaël Borremans a décliné son offre. " Cette toile n’a pas été conçue pour un tel espace. " Il ne lui restait plus qu’à commander à l’artiste une nouvelle série d’œuvres, qui ont finalement été livrées en 2010. " Michaël Borremans a décidé de réaliser une œuvre dont le sujet est le personnel du palais royal : une série de toiles et une vidéo où les laquais font des choses bizarres, comme se couper les doigts ou porter leur uniforme à l’envers. Le résultat est splendide ", explique Sa Majesté.
Bien plus que le Roi Albert, la Reine Paola est enthousiasmée par l’art contemmporain. " Je peux être profondément touchée par un artiste ou une œuvre d’art ", confie-t-elle. " Et j’espère que cette passion est aussi palpable au palais ".
En effet, depuis 2002, la Reine donne un sérieux coup d’accélérateur à la collection d’art contemporain du palais. Ce faisant, elle renoue avec le XIXème siècle, quand l’art contemporain de l’époque était dûment présent au palais. " J’essaie de mettre à l’honneur la dimension contemporaine des collections d’art du palais. Le bâtiment a derrière lui une longue histoire, mais il a aussi besoin d’aujourd’hui et de demain pour écrire de nouveaux chapitres. "
Forte impression
Sa passion pour l’art est née en Italie, sa terre natale, la patrie de la beauté et de l’art par excellence. " J’ai l’art dans le sang. Une fresque du peintre de la Renaissance italienne Pietro della Francesca qu’on peut voir à Monterchi, la Madonna del Parto, reste une de mes œuvres d’art favorites. J’ai appris à connaître l’art belge grâce aux primitifs flamands, par leur profonde intériorité, si différents des madones italiennes. J’ai ensuite fait la connaissance des peintres flamands impressionnistes et expressionnistes. Ce sont surtout les peintres de l’école de Latem qui m’ont profondément impressionnée. "
Après son mariage avec le futur Roi Albert, en 1959, la Reine se fait rapidement remarquer dans les milieux artistiques bruxellois. Dans les années septante, alors qu’elle est encore Princesse, elle fréquente personnellement de nombreux galeristes et collectionneurs. " Des gens comme Emiel Veranneman m’ont appris à apprécier l’art contemporain. René Magritte, Marcel Broodthaers, Paul Delvaux, Vic Gentils, Roger Raveel, Octave Landuyt, Pierre Alechinsky et Panamarenko sont tous des artistes que j’ai eu l’occasion de rencontrer. C’est dans ma nature de me montrer aussi ouverte que possible à l’art et aux artistes. "
Expression de l’époque
Cette ouverture à l’art se manifeste, entre autres, par le grand nombre d’artistes belges contemporains dont elle a visité l’atelier. " Ces rencontres sont cordiales et ouvertes, comme par exemple avec Marthe Wéry", explique Sa Majesté. " Je vois sa peinture comme un long voyage de l’art, de la Renaissance à l’art abstrait."
En octobre 2002, la Reine Paola a acheté pour le palais une série de sept œuvres monochromes de Wéry. Elles sont exposées à l’intérieur du palais, dans le hall carrelé en damier qui mène au bureau du roi. Au cours de la même année, la Reiine a demandé au gantois Dirk Braeckman de prendre des photos du palais et du couple royal. Il a choisi de les exposer dans une salle près du vestibule d’honneur. Braeckman a réalisé quatre photos de détails presque abstraits du palais et de ses salons, qu’il a combinées avec deux portraits en pied grandeur nature du couple royal, avec, à l’arrière-plan, les jardins du palais de Laeken et les toits de Bruxelles.
En 2004 ont été inaugurées Les Fleurs du Palais Royal. Cette œuvre de Patrick Corillon est composée de onze pots de fleurs plaqué or dans lesquels poussent des fleurs dorées. La terre vient de toutes les provinces belges. Sur les fleurs de plexiglas est inscrite l’histoire de la terre dans laquelle elles sont plantées, dans toutes les langues du monde. Le palais royal ambitionne-t-il de ressembler un jour à Versailles, où, ces dernières années, certains artistes contemporains comme Takeshi Murakami et Jeff Koons ont présenté des expositions controversées ? " Il n’a jamais été question de montrer ici de l’art choquant ", répond la Reine. " Versailles est un musée, un palais inhabité depuis longtemps, ce qui fait une grande différence avec notre palais. Je tiens à ce que cet endroit vive. Ce palais doit exprimer quelque chose de notre époque. Et ne considérez pas non plus ceci comme une collection privée d’œuvres d’art : dès le départ, les œuvres sont intégrées à la Collection Royale, qui appartient à l’Etat belge. Elles resteront ici, même lorsque le prochain roi montera sur le trône. Le palais non plus n’est pas un musée ou une galerie, mais un lieu qui représente la Belgique. Ces œuvres d’art appartiennent au peuple belge. "
Quelques semaines par an, pendant les mois d’été, le palais ouvre ses portes au public. Tout un chacun qui le souhaite peut donc admirer le plafond de Jan Fabre ou les monochromes de Wéry. La Reine aussi vient régulièrement contempler ces œuvres et, lorsque des chefs d’Etats étrangers sont en visite, Sa Majesté se fait un plaisir de les guider. Ainsi, Laura Bush a un jour bénéficié de la visite guidée personnelle de la Reine. Il n’y a pas plus belle façon de présenter notre pays aux visiteurs étrangers.
Intervention subtile
Le patrimoine artistique étant financé par les pouvoirs publics, la Reine Paola ne peut acquérir de nouvelles œuvres d’art sans suivre un certain modus operandi. Il faut tout d’abord soumettre son choix au comité consultatif d’art du palais. Celui-ci est composé de grands noms du monde artistique officiel belge : Willy Van den Bussche (ancien conservateur du Musée d’Art Moderne d’Ostende), Laurent Busine (directeur du MAC’s du Grand-Hornu), Bernard de Launoit (président du comité exécutif de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth), Myriam Delabaye (secrétaire de l’asbl Les Amis du Square Armand Steurs), Jan Hoet (directeur honoraire et curateur du SMAK à Gand) et Ludo Bekkers (critique d’art).
Par ailleurs, au palais, le budget de fonctionnement pour l’art n’est pas illimité. Le plafond de scarabées Heaven of Delight, créé en 2002 par Jan Fabre pour la Salle des Glaces du palais, fut en son temps financé par la Régie des Bâtiments, la salle devant de toute façon être rénovée. Comparativement, l’œuvre d’art de Jan Fabre coûtait moins cher qu’une redécoration du plafond à la feuille d’or, comme cela fut fait dans la Salle Empire. " Le plafond de scarabées est une œuvre d’art liée au palais. Elle parachève la Salle des Glaces ", déclare la Reine. Il aura fallu à Fabre et ses 29 collaborateurs pas moins de trois mois pour fixer 1,4 million d’élytres de scarabées thaïs au plafond de la Salle des Glaces, conçue à l’origine par Léopold II en l’honneur du Congo. Subtilement, la lettre P majuscule est fixée sur un panneau du plafond. Son intervention est à peine visible, mais très significative : la Reine tient à apposer son empreine et son goût novateur sur le palais.
" Outre le budget, il y a d’autres limites auxquelles je dois me tenir ", explique Sa Majesté. " Par exemple, les objets décoratifs sont proscrits. Les œuvres d’art doivent être avant tout représentatives de leur époque et convenir à l’architecture du palais. Notez bien que ma passion pour les beaux-arts va au-delà de ce que vous pouvez voir actuellement au palais. Il est d’autres formes d’art récentes pour lesquelles j’éprouve un grand intérêt, comme l’art vidéo ou les installations complexes d’Honoré d’O, mais de telles formes d’art ont naturellement moins leur place au sein d’un bâtiment du XIXème siècle. "
Au grenier
Tous les artistes belges ont eu carte blanche : ils ont choisi eux-mêmes l’endroit où ils souhaitaient intégrer leur œuvre. Par exemple, Michaël Borremans a choisi trois petits salons intimes pour y exposer son travail. Pour sa vidéo, la première de la Collection Royale, il a choisi le Salon Louis XVI. Le portrait de la mère de Léopold 1er a dû céder la place à l’œuvre de Borremans. L’écran vidéo a toutefois été encadré, pour faire pendant au portrait de Léopold père accroché sur le même mur. La vidéo dure 7 minutes pendant lesquelles on voit un laquais aux mouvements ténus. Si on regarde avec attention, on peut déceler la souffrance du serviteur : il s’était cassé la jambe juste avant d’être filmé. Les peintures de Michaël Borremans sont visibles dans un des salons voisins. Suite à cette nouvelle commande, ces salons ont été rénovés et redécorés par Axel Vervoordt. Le marchand d’art anversois s’est entendu avec l’artiste pour le choix de la couleur (violet) et la décoration des salons. Vervoordt a eu accès aux greniers du palais pour y choisir des meubles et objets d’art susceptibles de convenir au nouveau projet. Le résultat est du Vervoordt : épuré, esthétique et zen.
La grande question est de savoir quelle sera la prochaine acquisition de Paola. La reine n’a pas encore acheté d’œuvre de Luc Tuymans, mais montre un vif intérêt pour le travail de cet artiste anversois, et plus particulièrement pour l’œuvre " Mwana Kitoko ", qui appartient au MHKA. Etonnant, si l’on sait que, comme pour le plafond de scarabées de Fabre, cette œuvre fait référence aux épisodes de l’histoire coloniale belge. " Je n’ai pas de calendrier pour les achats d’œuvres d’art ", explique la Reine. " Les idées ne manquent pas. Je rêve d’une œuvre dans les jardins, face au palais. " S