Dans la version américaine de Loft, Matthias Schoenaerts part à la conquête du monde vêtu d’un costume Café Costume. En Belgique, la marque fête ce mois-ci son cinquième anniversaire. La troisième génération Van Gils a de bonnes raisons de se réjouir. Un reportage dont le fil rouge est l’humour. reportage : PASCALE BAELDEN
Ils sont trois : Bruno (32), Angélique (39) et Saskia (34). Ensemble, ils forment la troisième génération des Van Gils, cette famille de tailleurs qui, depuis les années 80, fait le succès de la marque de vêtements pour hommes homonyme. Je les rencontre dans leur bureau, juste en face de la boutique Café Costume, à Anvers. Ces trois “thirty something” se retrouvent le temps d’un lunch sur le pouce. J’ai lu leur manifeste " 10 reasons to wear a suit ", où de telles affirmations m’ont fait sourire : " A tailored suit guarantees that you will get laid (at least once) " (un costume sur mesure, c’est la garantie que vous prendrez votre pied, au moins une fois) ou " Even if you are not intelligent, you can at least look smart " (Même si vous n’êtes pas intelligent, vous pouvez au moins en avoir l’air). Du coup, ma première question coule de source : de vous trois, qui a le plus d’humour ?
Ils éclatent de rire. Saskia reconnaît que " L’humour, c’est notre fil rouge. C’est même un critère décisif pour les entretiens d’embauche : ceux qui manquent d’humour ne conviennent pas à notre entreprise. " Bruno ajoute que " C’est une façon de relativiser : je m’implique à fond dans ma fonction et pourtant, j’ai du mal avec les gens qui prennent la mode trop au sérieux. Pour nous, un costume, c’est un costume et rien d’autre. Si certains en font quelque chose de spécial, ce n’est pas notre affaire nous nous contentons de fournir un travail sur mesure. "
Folie débridée
Il faut y voir la vision rationnelle de l’homme qui a créé Café Costume. En effet, c’est Bruno Van Gils qui, il y a cinq ans, a lancé l’idée d’une actualisation du " tailoring à la carte ". " Mon expérience du costume s’est développée quand j’ai commencé à travailler pour The Makers (nom du holding familial né de la faillite de Van Gils en 1992, ndlr), où j’avais fait un stage à l’issue de ma formation. Cet apprentissage s’est révélé à ce point passionnant que j’ai décidé de rester. C’était une période aussi intéressante qu’incertaine : la société était déclassée, les costumes ordinaires et la clientèle vieillissante. J’étais frais émoulu de la très trendy Académie Royale des Beaux-Arts d’Anvers et je me retrouvais parmi des vestes en tweed, dans un environnement ringard. Quand je demandais " Si on cintrait ce modèle ? ", la réponse était invariablement " Ça ne se vend pas ! " Frustrant. Et loin d’être rassurant : il fallait absolument que je m’impose. "
Lorsqu’à surgi l’idée de Café Costume, Bruno a immédiatement su qui appeler. Saskia s’en souvient comme si c’était hier : " Bruno était au volant de sa voiture, et moi dans la mienne. Chacun s’est rangé sur le côté de la route et, après deux heures de discussion, la décision était prise. "
Bruno enchaîne : " Le sens de la famille est et restera une base solide. En plus, nous sommes parfaitement complémentaires. Je me sentais incapable de vendre mes projets, mais Saskia l’a fait avec conviction. Mes compétences en matière de finance étaient totalement sous-développées, mais l’instinct commercial d’Angélique compense largement mes lacunes. Nous avons énormément appris les uns des autres. " En effet, le trio est super complémentaire. Pendant que Bruno étudiait à l’Académie Royale des Beaux-Arts et que Saskia travaillait pour Replay, Angélique suivait une formation commerciale et technique à la Mode Management Académie d’Amsterdam.
Dynastie familiale
Les pièces du puzzle s’ajustent si bien que l’on jurerait que tout avait été décidé lors d’un réveillon de Noël chez les Van Gils. Imaginons une longue table richement décorée, des dames élégantes et des messieurs bien mis. Sauf que, d’après Bruno, " J’étais l’illustration parfaite d’un étudiant en humanités artistiques, jusqu’au jour où j’ai croisé dans le train une jolie fille qui a fait un commentaire sur mon allure. J’étais si mal habillé qu’elle ne pouvait pas croire que je faisais partie de la famille Van Gils. Voilà comment j’ai pris conscience de l’importance des beaux vêtements. " Les liens familiaux ont toujours été très forts. " Tout tourne autour de notre grand-père et de ses trois fils ", déclare Angélique. Pour son quatre-vingtième anniversaire, le grand-père a invité tous ses enfants et petits-enfants pour une petite semaine de vacances en Egypte. Quelle joie de voir arriver vingt-huit personnes. Nous monopolisions la piscine. En ce qui concerne Bruno, la tradition familiale sera perpétuée. " Nous essayons de transmettre l’esprit de famille à nos enfants. Non seulement nous nous voyons pendant les heures de travail, mais nous nous réunissons en famille pendant notre temps libre. Nous considérons ça comme un devoir envers la génération suivante. "
Faire ses preuves
Tout semble idyllique, mais représenter la troisième génération n’est-il pas source de désavantages ? Angélique estime que non : " Dans ma jeunesse, j’accompagnais souvent mon père aux salons professionnels où je travaillais trois fois plus que les autres pour faire mes preuves en tant que fille du patron. Quelle expérience ! A l’issue de mes études, j’ai assisté mon mari dans ses affaires, dans l’idée de pouvoir lancer ma société Internet. C’est alors que Bruno m’a appelée. Sa proposition était trop belle pour la laisser passer. Le fait de pouvoir faire appel à The Makers a joué un rôle crucial dans la décision. Il est infiniment plus facile pour une entreprise naissante de déverrouiller les portes du marché si elle bénéficie, comme nous, d’un solide background. Lorsque nous approchons un nouveau fournisseur, il n’est pas nécessaire de commencer par gagner sa confiance. Notre famille est connue. "
Saskia : " La seule contrepartie négative est que nous devons faire nos preuves. Nous avons fini par gagner la confiance de nos pères, mais ça n’a pas été facile. Ce n’est pas évident, pour des personnes qui travaillent depuis trente ans dans la confection, d’accepter un point de vue aussi tranché que celui de Bruno. Pour la coupe, par exemple : Bruno était convaincu qu’il fallait imposer le slim fit. Nos pères pensaient que jamais personne ne voudra porter ça. Cela n’a pas été évident de les persuader, mais nous avons fini par y arriver et, … everybody loves it ! " Bruno : " On tombe facilement dans le classicisme lorsque l’on dessine un costume et j’ai d’emblée été soumis à la confrontation des esthétiques de la confection. Seul mon grand-père qui avait vu la mode de ses jeunes années faire un come back avait compris mon point de vue. "
En route vers l’Amérique
On a beau aimer rire chez les Van Gils, les affaires, c’est sérieux. A propos de leur business plan, Saskia explique : " Après cinq ans, en relisant notre business plan original, nous sommes surpris de voir à quel point nos projets se sont concrétisés en tous points. Les résultats de cette année concordent d’ailleurs parfaitement avec nos pronostics. " On n’a jamais vu ça ", se sont étonnés nos pères lors d’une de nos fréquentes discussions à six. Ils n’ont aucun droit de veto mais, en raison de leur grande expérience, nous tenons toujours compte de leurs opinions. Bien souvent, nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde, mais la discussion intergénérationnelle permet d’apprendre beaucoup les uns des autres. "
Il est certain que la prochaine étape de Café Costume suscitera encore de nombreux débats. En effet, l’Amérique est séduite. Bruno se souvient de l’appel d’Hollywood. " Pour le " Loft " belge, il nous avait été demandé de fournir tous les costumes, mais nous avons décidé de n’habiller que Matthias Schoenaerts. Matthias est un ami personnel, en parfaite harmonie avec le style et la philosophie de Café Costume. Lorsque la demande est arrivée d’Hollywood, notre réponse a bien sûr été un oui unanime. Un film là-bas, c’est une bombe ! On nous a donné deux semaines pour livrer cinq costumes. Sachant qu’un délai normal est de plus de cinq semaines pour un costume, vous comprenez qu’on frisait la mission impossible. Mais le délai a été respecté. "
Saskia : " La styliste a été super enthousiaste ". Elle apostrophe en riant les autres : " Dites, on va à la première à Hollywood, non ? ".
Tapis rouge ou pas ? Si les Van Gils veulent traverser l’océan, c’est l’occasion rêvée. Quels sont leurs objectifs concrets pour lancer Café Costume en Amérique ? Angélique répond : " Un magasin à New York est prévu, même si nous ne savons pas encore pour quand. Un tel projet implique un business plan différent. Peut-être devrions-nous chercher un investisseur, mais cela ne nous effraie pas. A nous d’évaluer les risques. En Amérique, si vous avez un procès à vos basques, les montants en jeu sont autrement plus importants qu’ici. Il vaut mieux être à toute épreuve. " Bruno confirme : " Nous examinons à présent comment dupliquer notre entreprise. Un élément joue en notre faveur : étant né à El Paso (son père y a fondé une société, ndlr), j’ai un passeport américain, grâce à quoi, il est un peu plus facile d’obtenir une licence. "
Belles-mères non admises
Toutefois, l’Amérique n’est peut-être pas la seule option. En pensant au succès que Dior Homme a eu grâce à Catherine Deneuve, je m’enquiers d’un éventuel élargissement vers une collection dame. Bruno approuve : " Bien sûr. C’est la prochaine étape, mais ça nécessite un nouveau projet ". Une collection dame sous le nom Café Costume n’est pas envisageable. Comme le dit Saskia, " Café Costume est et restera un univers masculin. Si une femme entre dans la boutique, c’est uniquement pour s’asseoir et admirer son mari. "
Parmi la clientèle visée, il y a les futurs mariés. Le prestige associé au mariage est le meilleur alibi pour l’acquisition d’un costume sur mesure. Mais, ici aussi, le message est fort et clair : Leave your mother-in-law at home (laissez votre belle-mère à la maison), peut-on lire sur le site web. Les descendants Van Gils éclatent de rire même s’ils n’en pensent pas moins. " Nos collaborateurs sont formés pour parler aux belles-mères envahissantes, qui ont suivi des cours de couture dans une vie antérieure. Règle d’or : leur accorder beaucoup d’attention ", déclare Bruno.
" Au début, c’était difficile : le contact avec les belles-mères mettait la pression sur notre personnel. Aujourd’hui, nous pouvons heureusement en rire. C’est important, car il y a vraiment de quoi péter un câble. Les mariages font ressortir le pire chez les gens. Tout doit être parfait ! ", explique Angélique. Bruno, qui vient de rentrer de sa lune de miel, acquiesce : " Je comprends mieux, maintenant que je suis passé par là. Et encore, si je l’avais voulu, j’aurais pu dessiner moi-même mon costume. Quel luxe ! Finalement, j’ai mis un smoking pour l’occasion. "
Angélique s’exclame: " Il n’y a rien de plus beau qu’un homme en smoking sur mesure ! "
Parce que ça fait de lui un gentleman, comme l’affirme le site, " The success of a gentleman is defined by his looks " (L’allure d’un gentleman joue sur son succès). Du reste, y a-t-il encore des gentlemen ? Bruno pense que non. Saskia ajoute avec un sourire : " Nos pères sont les derniers gentlemen ". " J’avoue que j’aime voir l’attitude d’un homme changer lorsqu’il troque ses jeans pour un costume sur mesure ", déclare Angélique. " De même que nous, les femmes, nous sentons bien plus féminines dès que nous mettons des escarpins. "
Si le gentleman est une espèce en voie de disparition, il n’en demeure pas moins que la série Mad Men serait à l’origine d’une résurrection du costume. C’est du moins ce qu’affirment les journalistes de mode. Les Van Gils ont-ils eux aussi perçu ce regain d’engouement ? " Absolument ", affirme Bruno. " Cette série a eu un réel impact sur le business du costume. " En disant " From the bank to the bar " Café Costume a rajeuni l’image du costume. S
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