Le label de mode italien Max Mara fête son soixantième anniversaire. La troisième génération Maramotti, menée par Maria Giulia, se prépare à reprendre le flambeau. " Je suis comme un manteau Max Mara : discrète et réaliste. " texte : IRIS DE FEIJTER
La première génération fonde l’entreprise familiale, la deuxième la développe et la troisième la démolit. Mauvaise nouvelle pour Max Mara : soixante ans après sa fondation par Achille Maramotti, ses petits-enfants font leur entrée un à un dans l’affaire. Maria Giulia (27) la première : " Bien sûr, je connais ce cliché, mais il y a de nombreux contre-exemples, heureusement ! Je suis entrée dans l’entreprise il y a quelques années, suivie par mon frère et ma cousine. J’espère que cela ne nous arrivera pas. "
Nous la rencontrons à Paris, où elle vit depuis deux ans. Retail manager, toutes les boutiques de France sont sous sa responsabilité. Et pourtant, dès demain, elle s’envolera pour New York, où elle exercera à nouveau la fonction de retail manager. " On ne m’a pas présenté ce job sur un plateau d’argent. Travailler chez Max Mara a toujours été mon rêve ! J’ai grandi avec le label. Tous les samedis, ma mère m’emmenait au bureau. Je me sens aussi privilégiée que responsable. Ma carrière a commencé au bas de l’échelle, en tant qu’assistante de vente. J’ai appris le métier et j’ai pu faire des erreurs sans trop de dégâts. J’ai gravi les échelons un à un et j’ai été très flattée que ma famille me demande d’aller à New York, ça prouve que j’ai fait du bon travail ici, en France. Après l’Amérique, j’aimerais aller en Extrême-Orient. Vivre à Hong Kong ne doit certainement pas être facile, mais j’aimerais découvrir ce marché. "
De beaux rêves mais, ce soir, elle doit boucler ses cartons de déménagement. Pourtant, elle ne semble pas stressée lorsque nous prenons le petit déjeuner ensemble au Plaza Athénée. L’hôtel de l’avenue Montaigne est à deux pas de son bureau, installé dans la boutique Max Mara fraîchement rénovée. Si on ne savait pas que le nom mentionné sur son passeport est Maramotti, on n’associerait pas directement Maria Giulia à Max Mara : jeans skinny effiloché, ballerines usées et simple tee-shirt, combinés à une veste élégante et à un beau sac en cuir rouge. Nous remarquons immédiatement son énorme bague sertie d’une pierre corail. " Je l’ai achetée chez Kenzo. J’ai une gigantesque collection de bagues ethniques. J’ai acheté la plupart d’entre elles en voyage : Pérou, Maroc, Mexique, Inde, Australie et Chine. Mais j’ai aussi mes petites adresses à Paris. J’achète beaucoup de bagues de Bernard Delettrez et de Maison Repossi. Je dois en avoir 85 ! ", reconnaît Maria Giulia en commandant un autre un thé vert.
Fromage maison
N’est-elle pas un peu nostalgique de quitter Paris ? Son appartement de Saint-Germain-des-Prés ne va-t-il pas lui manquer ? Et son adresse favorite, le légendaire Flore où André Breton, Picasso, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir venaient s’asseoir en terrasse ? " Je voyage beaucoup et je me sens à l’aise partout. J’adore Paris et j’y ai vécu des années fantastiques. Je pourrai toujours revenir si j’en ai envie. Ce qui me manquera surtout, c’est la facilité avec laquelle je sillonne l’Europe pour rendre visite à des amis ou trouver de l’inspiration. Par exemple, j’allais chaque semaine à Londres, une ville où règne une énergie extraordinaire. Le marché en grande-Bretagne est comparable à celui des Etats-Unis : c’était donc la préparation idéale à mon nouveau lieu de travail. "
En vraie italienne, Maria Giulia parle avec enthousiasme et beaucoup de gestes. Pourtant, soudain, elle tempère le volume : " Mais je sais aussi qu’en Amérique, j’aurai plus de mal à m’habituer qu’à Paris. Ici, je me suis sentie tout de suite chez moi. New York a beau être sur la côte, la culture est très américaine. Je trouve chouette qu’ils soient si ouverts, mais je ne suis pas comme ça. Je suis plutôt comme un manteau Max Mara : discrète et réaliste. "
Ce qui fait le plus peur à Maria Giulia ? De ne plus pouvoir faire un " saut " à la maison. Et la maison, c’est Reggio Emilia, une ville entre Parme et Bologne, dans la vallée du Pô. C’est là qu’a commencé l’histoire de Max Mara et que se trouve toujours le siège de l’entreprise familiale. " Si notre famille est aussi unie, c’est grâce à mon grand-père Achille. C’était un super bosseur, mais il avait toujours le temps de voir sa famille. Je suis une travailleuse tout aussi acharnée. Prendre un mois de vacances en été, ce n’est pas moi : une semaine, c’est suffisant ! La deuxième semaine, je recommence déjà à lire mes mails. "
Espérons que Maria Giulia ait également hérité du sens des affaires de son grand-père. Achille a acheté ses premières actions dans une banque à vingt ans. Et à sa mort, en 2006, il était vice-président de la banque Credito Emiliano (qui est dans les mains de la famille Maramotti) et directeur de deux autres banques. Il était l’un des hommes les plus riches d’Italie, vivait avec sa femme dans un château du 13ème siècle, mais restait extrêmement discret et modeste. Curieusement, il faisait aussi son propre fromage, du parmesan. Aujourd’hui encore, les Maramotti fabriquent toujours ce célèbre fromage, de manière traditionnelle. Maria Giulia : " Nous veillons à ce que nos vaches soient nourries comme autrefois. La qualité de l’herbe est déterminante pour le goût du fromage. Nous assurons aussi sa distribution. Notre fromage est vendu dans différents magasins des environs. "
A la main
C’est ce même Achille qui, en 1951 il n’avait que 24 ans , lance les Confezioni Maramotti. Ce n’est que quelques années plus tard qu’il change le nom de l’entreprise en Max Mara : la combinaison de son nom de famille et de celui de Count Max, un personnage local toujours tiré à quatre épingles. Achille avait choisi d’étudier le droit, et pourtant, ce n’est pas si incongru qu’il ait fait carrière dans la mode. En effet, son arrière-grand-mère, Marina Rinaldi (qui a donné son nom à la ligne de Max Mara destinée aux femmes voluptueuses), dirigeait au milieu du 19ème siècle un prestigieux atelier de couture dans le centre de Reggio Emilia. Tout était cousu à la main, avec un grand souci du détail et de la finition. En 1925, sa petite-fille Giulia (la mère d’Achille) fonde son école de couture, la Scuola di Taglio e Confezioni Maramotti. L’entreprenant jeune homme de vingt ans qu’était Achille avait donc un bel héritage en matière de connaissances professionnelles et d’expérience. Ce qui était d’ailleurs nécessaire, car il avait de grands projets pour son label de mode : faire des vêtements de qualité couture à un prix abordable produits en série. Son plus grand défi : traduire le sur mesure de la haute couture en production en série ? Maria Giulia : " Avant que mon grand-père ne lance Max Mara, il travaillait comme agent pour un producteur suisse de vêtements de pluie. C’est là qu’il voit les coupeurs tailler des knickerbockers en quatre tailles standard. Dès son retour, il met au point avec sa mère et ses dessinateurs de patrons un système de tailles standardisé. Leur point de départ est la taille de base que les tailleurs utilisent également en haute couture, parfaite en termes de proportions. Aujourd’hui, nous utilisons toujours grosso modo les mesures que mon arrière-grand-mère et mon grand-père ont établies ensemble. Comme la morphologie des femmes a changé, nous sommes aujourd’hui plus grandes et plus larges d’épaules, nous avons apporté quelques petites corrections. Nous adaptons aussi notre coupe aux marchés américain, japonais et chinois ", explique-t-elle avec fierté. A juste titre : Achille Maramotti est fréquemment cité comme celui qui lancé l’industrie italienne du prêt-à-porter. " Nos vêtements doivent avant tout mettre les femmes en valeur. C’est pourquoi, outre différentes tailles, nous proposons différentes coupes car chaque femme a sa morphologie propre. Et nous essayons de retoucher le moins possible, pour éviter que l’esprit et les proportions de la création originale ne soient perdus. Nos manteaux, surtout, doivent être parfaitement ajustés. "
Manteaux top classe
Faut-il rappeler que les manteaux sont l’emblème de Max Mara ? Et que le chef d’œuvre absolu est le modèle 101801: une création imaginée en 1981 par Anne-Marie Beretta, réalisée en beaver de laine et cachemire ? Sa longueur de 1m20 met en valeur toutes les femmes et ses manches kimono donnent une grande aisance de mouvement. Le label italien consacre même un site entier à l’iconique manteau à 1.200 euros. " Nous sommes très modestes, mais j’ose affirmer tranquillement qu’en matière de manteaux, nous sommes les meilleurs ! ", rayonne Maria Giulia, grande fan de manteaux. La sobriété du modèle est caractéristique du style Max Mara, qui s’inscrit en opposition à l’exubérance de la mode italienne.
" Pour le style Max Mara, mon grand-père s’est inspiré de couturiers comme Balenciaga, Dior et, plus tard, Yves Saint Laurent. Le tout premier manteau, qu’il a fait réaliser dans son garage, était presque une copie d’un dessin de Balenciaga. Il cherchait un style à la fois classique et contemporain, qui survive aux tendances ", explique la petite-fille. " Les grands créateurs de mode sentent les changements dans la société. Dans les années de pénurie qui ont suivi la première guerre mondiale, Chanel a proposé des robes en jersey, à la fois bon marché, confortables et élégantes. De même, le New Look de Christian Dior, la mini-jupe de Mary Quant et le smoking d’Yves Saint Laurent sont arrivés à point nommé. Les femmes d’aujourd’hui voyagent, travaillent beaucoup et, une fois la porte du bureau fermée, vont au restaurant ou au théâtre : cela ne leur laisse pas le temps de s’habiller. Chez Max Mara, nous faisons des vêtements élégants et confortables que l’on peut porter tout au long de la journée. C’est aussi comme ça que je m’habille. Ma mère m’a donné des conseils en or : veille à ce que tes vêtements soient adaptés à ton style de vie. Ne sois jamais ni overdressed, ni underdressed, adapte les tendances à ta morphologie et à ton style. "
Karl Lagerfeld, Guy Paulin, Jean Charles de Castelbajac, Dolce & Gabbana, Narcisco Rodriguez, Franco Moschino, Anne-Marie Beretta, ... tous ont dessiné anonymement pour le label italien. " Peu de gens le savent. Nous collaborons avec des créateurs qui, d’une manière ou d’une autre, ont l’esprit Max Mara. Peu importe que leurs collections personnelles aient un tout autre style. C’est un peu comme John Galliano qui, pour la maison Dior, a habillé la première dame de France lors d’un voyage officiel en Grande-Bretagne : le manteau gris a prouvé que le créateur connaissait le patrimoine Dior tout en y apposant son empreinte. Chez nous aussi, c’est ce mélange qui compte ", explique Maria Giulia. Le choix du créateur est l’affaire de Laura Lusuardi, directeur créatif depuis près de cinquante ans. Hormis les grands noms, Lusuardi repère de jeunes talents fraîchement diplômés. Pendant sa tournée, elle s’arrête notamment à l’Académie d’Anvers et à La Cambre, à Bruxelles. Ces créateurs anonymes se retrouvent face aux photographes mondialement célèbres qui ont réalisé les campagnes Max Mara : Richard Avedon, Mario Testino, Steven Meisel, Richard Avedon, Inez Van Lamsweerde & Vinoodh Matadin et Sarah Moon. " Dans les années septante, ma mère accompagnait toujours Laura Lusuardi au shooting de Sarah Moon. J’adore son travail. Quarante ans plus tard, cette campagne n’a pas pris une ride. "
Tout comme beaucoup de labels de mode italiens, Max Mara a une collection d’art. Achille démarre en achetant des œuvres de l’expressionniste abstrait Alberto Burri. Des centaines d’autres allaient suivre. " Mon oncle Luigi est tout aussi enthousiaste. " Grâce à Luigi, la Collezione Maramotti s’est étoffée : investir dans l’art et la culture, c’est important pour Max Mara. Maria Giulia : " Mon grand-père mettait l’accent sur les beaux-arts mais, pour moi, le mécénat est un concept plus large : ça va de la découverte de jeunes talents à la sponsorisation de rénovations et l’investissement dans des formations. Comme l’art de la coupe est en train de se perdre, nous avons lancé une formation spéciale. Et nous allouons des bourses d’études pour les jeunes créateurs. Il y a dix ans, quand nous avons voulu réaménager le Campus Max Mara à Reggio, nous avons organisé un concours pour architectes débutants. Avec la Whitechapel Gallery de Londres, nous décernons chaque année le Max Mara Art Prize for Women. Et pendant les rénovations de notre boutique de Florence au Palazzo Corsi, un palais 15ème nous avons découvert derrière les peintures d’incroyables fresques des années 1590, qui sont sans doute l’œuvre d’Agostino Ciampelli, qui travaillait pour les Médicis. Nous avons immédiatement engagé une équipe spécialisée pour les restaurer. " Les Maramotti sont-ils les Médicis d’aujourd’hui ? " Merci ! " s’exclame-t-elle en riant, " Mais nous comparer à eux, c’est un peu exagéré. " S
On peut visiter la Collezione Maramotti gratuitement (sur réservation), www.collezionemaramotti.org