on, la Reine d’Angleterre n’est pas la seule à se rendre à Savile Row pour un costume impeccable : aujourd’hui, femmes d’affaires, célébrités et autres ladies se précipitent elles aussi chez les tailleurs londoniens classiques. " La demande de sur mesure fait à la main a le vent en poupe ", explique Anette Akselberg, coupeuse chez l’icône de Savile Row, H. Huntsman & Sons. " Nous faisions des vêtements femme depuis plusieurs décennies, notamment pour Katharine Hepburn et Elizabeth Taylor, mais c’était plutôt des costumes homme adaptés aux mensurations femme. Le résultat ? Une silhouette carrée autrement dit : masculine. En 2006, pour faire une fleur à nos fidèles clientes, nous avons lancé un service bespoke spécialement destiné aux femmes, qui tient compte de leur silhouette et de leur style. "
Ce service est devenu un département femme à part entière, dirigé par Anette Akselberg. Pour les femmes, elle a développé des modèles spéciaux et élargi le choix de tissus. " Nous utilisons des étoffes plus souples et plus douces. Et les vêtements épousent davantage le corps, afin d’affiner la silhouette. Le renfort du veston, appelé toile, est aussi nettement plus souple. Les femmes sont plus libres dans la composition de leur look, contrairement aux hommes qui, par tradition, sont soumis à des formules déterminées, telles que single ou double breasted, costume deux ou trois pièces, deux ou trois boutons. "
Silhouette sablier
Autrefois, tous les tailleurs de Savile Row allaient en apprentissage dans les maisons de couture parisiennes spécialisées en vêtements masculins. Aujourd’hui le " bespoke pour femme " est encouragé dès la formation : une très grande attention est consacrée aux clientes dans le nouveau module d’apprentissage destiné aux tailleurs - une initiative de l’association faîtière Savile Row Bespoke Association et de l’école londonienne des tailleurs. " Les étudiants apprennent les techniques spécifiques utilisées pour les vêtements femme ", explique le porte-parole de l’association. " Les vêtements homme et femme sont deux mondes totalement différents ", affirme Edward Sexton, un tailleur renommé dans les deux catégories. Son style rebelle et résolument sexy a fait de lui l’un des grands innovateurs de Savile Row à la fin des années soixante.
" Comme tous les tailleurs, j’ai été formé pour faire des costumes homme sur mesure. Mon premier costume femme, je l’ai réalisé pour Twiggy. Avec sa silhouette de brindille androgyne, ce fut un jeu d’enfant. Pour les femmes qui ont des seins et des hanches, c’est de la sculpture vestimentaire. J’ai des tas d’astuces cosmétiques pour rendre les femmes les plus sexy possible. Mon idéal est la silhouette en sablier. Les hanches sont plus larges que la poitrine ? J’élargis les épaules et je fais un gilet à effet push-up. Plus besoin de soutien-gorge ! ", explique le septuagénaire, qui compte environ 20% de femmes dans sa clientèle. Il estime qu’il est l’un des rares à proposer ce véritable bespoke au féminin. " Il y a sur le Row beaucoup de tailleurs qui font des costumes pour femme, mais ce ne sont que des dérivés des modèles homme. Les proportions ne sont pas bonnes. "
Plafond de verre
Bien que de plus en plus de femmes trouvent le chemin de Savile Row, l’émancipation des tailleurs féminins est encore un peu à la traîne. Il y a deux ans, Gieves & Hawkes, le plus ancien tailleur du Row, a fait un pas dans la direction de l’égalité en nommant Kathryn Sargent maître tailleur, la fonction la plus élevée dans le métier. Première femme a détenir ce titre, Kathryn Sargent vient de lancer son affaire pour homme et pour femme, à Savile Row : " Il y a encore beaucoup de tailleurs qui, certes, fournissent du sur mesure, mais qui se basent encore trop sur leur propre style. En ce qui me concerne, je crée en fonction du style de vie, du goût personnel et des souhaits du client. Cette approche est plus bespoke que l’ancienne. " Elle est surtout radicalement différente de celle de ses concurrents de Savile Row, qui font des costumes anonymes, sans logo. Elle est résolue à développer une marque forte avec logo, cintres et sacs. Veut-elle déclencher une révolution ? " Bien que Savile Row soit qualifié de désuet, je constate une modernisation, surtout sous l’influence de la relève de clients d’Extrême et du Moyen-Orient. Ils n’ont pas les mêmes souhaits que les Occidentaux et les tailleurs doivent en tenir compte. Ce changement de mentalité abaissera encore le seuil pour les femmes. Je suis dans le métier depuis plusieurs décennies déjà et, ces dernières années, je constate une évolution manifeste. Je m’attends à ce que cette tendance se poursuive. Beaucoup de mes clientes sont des femmes d’affaires, elles occupent une fonction traditionnellement réservée aux hommes. Cela fait longtemps qu’un costume ne donne plus un look rigide : la souplesse des nouveaux tissus lui confère une allure beaucoup plus féminine. Une de mes clientes porte toujours mes costumes pour se rendre au bureau mais, pour les dîners, les cocktails et les loisirs, elle choisit des vêtements de stylistes. 10% de mes clients sont des clientes, mais ce chiffre va augmenter au fil des ans. Quand les femmes sont satisfaites d’une pièce, elles reviennent : nous travaillons ensemble à une garde-robe, en commençant par un costume pantalon. Ensuite, s’y ajoute une jupe assortie, un pardessus, etc. "
L’évolution en marche à Savile Row répond à celle initiée à Paris par Yves Saint Laurent.
www.h-huntsman.com
www.edwardsexton.co.uk www.kathrynsargent.com
www.savilerowbespoke.com