Les terrains à bâtir se font de plus en plus rares et les directives de plus en plus strictes. Dès lors, il n’est pas étonnant que beaucoup d’architectes aient l’idée de construire sous le sol. Autre avantage, il n’est plus nécessaire d’avoir une belle façade. Par contre, il faut privilégier les sources de lumière et ne pas oublier de tondre régulièrement le toit. reportage : An Bogaerts
Frappez à la grange en bois, puis suivez le couloir souterrain jusqu’au bout du flanc de la montagne. Telle est la meilleure manière d’entrer dans la Villa Vals, une habitation souterraine de luxe des architectes Bjarne Mastenbroek et Christian Müller, des bureaux SeARCH et CMA. La villa est située dans le petit village suisse de Vals, où se trouvent également le très moderne spa du célèbre architecte Peter Zumthor. C’est justement parce que Vals affectionne cette combinaison particulière de nature bucolique et d’architecture moderne que la municipalité locale ne brûlait pas d’impatience d’ajouter une maison de vacances à la ligne d’horizon. Surtout parce qu’une telle construction signifie une intervention importante dans la nature environnante. " L’idée d’une construction souterraine a jailli à l’achat du terrain ", explique Marijn Mees, architecte du projet de SeARCH à Vals. " En construisant sous le sol, nous avons préservé la vue sur l’ancien village des Thermes de Peter Zumthor. De plus, les habitants de notre villa bénéficient d’une intimité supplémentaire dans un cadre très champêtre. Et la pente du flanc de la montagne nous permettait d’installer de grandes baies vitrées en ellipse à l’arrière de la maison, pour diriger le regard vers le haut, la plus belle vue. "
Fiat lux
Pour les profanes, la construction dans un flanc de montagne est une prouesse. Pourtant, en Suisse, les entrepreneurs ne reculent pas devant de tels projets : dans les pays montagneux, la construction souterraine est bien établie. " Que l’on construise sur ou dans une pente abrupte, l’approche est similaire, techniquement parlant ", explique Mees. " C’est un processus qui prend énormément de temps, parce que ce n’est qu’en creusant que l’on peut estimer quelle sera la facilité de l’ensemble du projet. On tombe parfois sur des choses inattendues : en creusant la Villa Vals, nous avons trouvé une source. Nous avons utilisé cette eau pour alimenter la fontaine du patio. " En construisant sous le sol, on sera confronté à un défi particulier : laisser entrer suffisamment de lumière. " Au rez-de-chaussée, nous avons érigé une grande façade en verre, complétée par quelques fenêtres aux étages supérieurs. Toutes les chambres sont orientées vers le patio, non seulement pour laisser entrer suffisamment de lumière, mais aussi pour permettre de profiter au mieux de la vue. Le couloir qui relie toutes les chambres, à l’arrière de la villa, est éclairé par une fenêtre donnant sur la cuisine. " L’input néerlandais dans l’architecture de cette maison se poursuit à l’intérieur, qui pourrait parfaitement faire office de vitrine pour le Dutch Design. L’architecture doit-elle attirer l’attention ou se fondre dans la nature ? Les architectes qui se consacrent aux projets souterrains sont partisans de la seconde option. " Nous croyons en une symbiose entre l’architecture et le paysage environnant. Construire sous le sol est une bonne manière de préserver la nature. Bien sûr, ce n’est pas possible n’importe où. Sur ce site, la construction souterraine constituait la seule option possible. Pour le moment, nous concevons un lodge alpin qui sera, lui aussi, construit dans la montagne. Nous appliquons volontiers de concept ", explique Mees.
En profondeur
Bien qu’en termes de montagnes, nous ne puissions rivaliser avec la Suisse, notre pays compte quelques exemples de constructions souterraines. Comme à Gottechain, dans le Brabant Wallon, où on a utilisé une pente afin que le toit plat se fonde dans le paysage environnant comme un jardin. Signée D2 Architecture, cette maison a été reprise dans le patrimoine architectural de Wallonie.
Mais c’est surtout au Royaume-Uni que la tendance à l’architecture " en profondeur " est la plus marquée. L’aspect de la nature ne peut être modifié. Lady Helen Hamlyn, présidente du Fonds du même nom qui promeut des projets de restauration et de design en Grande-Bretagne et en Inde, a pu acquérir un magnifique terrain dans le sud-est de l’Angleterre. Ne parvenant pas à rallier les autorités locales à ses plans de construction, elle se retrouve avec 150 ares sur lesquels elle ne peut pas construire. Heureusement, l’architecte londonien Robin Partington a l’idée de réaliser l’ensemble de la construction en " underground ".
" Notre plan était simple : nous devions creuser un grand puits dans le paysage, y mettre la maison et le refermer avec de l’herbe. La façon dont nous avons procédé est " pretty much ", explique Partington, habitué à ériger de gigantesques gratte-ciel dans les quartiers d’affaires londoniens. Les seules choses visibles en surface : une ouverture qui fait entrer de la lumière via une place intérieure, et deux grandes coupoles lumineuses. Le toit a été spécialement renforcé pour être recouvert de gazon et supporter le tracteur qui assure l’entretien hebdomadaire de cette réserve naturelle.
Sérieux coût additionnel
L’architecte Helen Seymour-Smith aime les balades dans la nature. Lorsqu’elle achète une vieille grange dans les Cotswolds, une des zones de randonnée les plus fréquentées du centre de l’Angleterre, elle ne résiste pas à l’appel de son métier, même si, en raison des consignes très strictes, construire une annexe était inenvisageable. Quand elle introduit une proposition de construction souterraine, le Government Office for the West Midlands ne donne pas directement son accord. L’argument qui finit par le faire changer d’avis est que Seymour-Smith allait réaliser la toute première maison passive : c’est la Underhill House, pour elle et sa famille. Une maison souterraine avec récupération de chaleur, cellules solaires qui permettent également de chauffer l’eau, ventilation mécanique et poêles à bois.
" Le respect de la nature ne se limite pas à en préserver l’aspect : il me semble évident d’également essayer de limiter l’impact sur cette nature ", déclare Seymour-Smith. Pourtant, cette philosophie évidente n’est pas à la portée de tout le monde, l’architecte devant reconnaître que ce projet a coûté nettement plus cher qu’une transformation ordinaire. " Les travaux d’excavation et de stabilisation, sans compter les investissements écologiques, représentent un sérieux coût additionnel. Mais notre consommation d’énergie est désormais limitée à un minimum et nous profitons chaque jour d’une vue incroyable. Cela valait vraiment chaque penny investi. "
Grottes dans le désert
Toutefois, les pittoresques paysages herbeux inclinés sont loin d’être les seuls décors servant de terrain d’expérimentation pour de luxueuses constructions souterraines. Il existe même une maison de vacances dissimulée dans les falaises rocheuses d’Australie.
La Philip Island House a été conçue comme un bunker moderne dans les dunes par les architectes Denton, Corker, Marshall. Les murs de béton gris foncé se fondent entièrement dans l’environnement rocheux, tandis que les plantes sur le toit se mêlent à la perfection à celles du paysage de dunes avoisinant. Pendant l’été, la terrasse creusée, pour ainsi dire épargnée par le vent, constitue l’endroit idéal pour prendre des bains de soleil. Pour les architectes, ce n’était pas tant l’intimité que la réinterprétation des anciens bunkers dissimulés dans la nature qui constituait la priorité.
Le concept de " construction cachée " continue à susciter l’attention. L’option consistant à faire quasiment disparaître l’architecture dans l’espoir de la rendre moins invasive semble donner lieu à des idées particulières. Comme la proposition d’Oppenheim Architecture + Design, un bureau d’architectes de Floride, consistant à créer 47 lodges dans le désert jordanien. Ce projet prévoit que l’ensemble de l’habitation est englobé dans une montagne de grès. Situé à une heure et demie de Petra, ce luxueux resort doit être achevé pour la fin 2014 et a déjà été salué pour son respect du mythique désert du Wadi (vallée) Rum, où il est construit. " Pendant des millénaires, les nomades ont vécu dans ces montagnes, dans des grottes ", explique Chad Oppenheim. " C’est cette ambiance que nous voulons recréer. Nous ne faisons rien de particulier, nous laissons parler la force du désert. " S