Le saxophoniste Ferdi s’impose sur la scène jazz bruxelloise, collaborant avec Sofiane Pamart, Peet et Scylla. Le 20 décembre, il dévoilera 'Take 01", un premier album solo, à l’Ancienne Belgique.
Entre ses concerts à L’Olympia avec son ami Sofiane Pamart, une tournée avec le rappeur Peet et une virée à Los Angeles avec Roméo Elvis, le saxophoniste Ferdinand Lemoine (29 ans), trouve du temps à consacrer à ses projets personnels. Ferdi, son nom de scène, met l’invention d’Adolphe Sax à l’honneur sur un premier album jazzy. Associé à Carhartt Wip le temps d’une collaboration créative, le saxophoniste nous accorde un entretien sans fausse note.
Sabato: Pourquoi le saxophone?
Ferdi: J’avais 7 ans quand j’ai découvert cet instrument que j’associe à la pop culture. Il est omniprésent dans les films, à la télé - même dans Les Simpson. Dans les écoles primaires du Nord de la France, là où j’ai grandi, il est possible de louer quelques semaines une guitare, un sax, une trompette ou un piano, ce qui permet aux enfants de s’essayer à un instrument à moindres frais. À la suite d’un essai concluant, ma grand-mère m’a offert mon premier saxophone: un Selmer, une marque française de référence. Aujourd’hui encore, je joue sur un modèle vintage de cette marque.
"J’ai donné ma première représentation à Montreux. C’était incroyable!"Ferdi
Quand avez-vous emménagé à Bruxelles?
En 2014. Après dix ans de saxophone classique, j’ai obtenu une médaille d’or au Conservatoire de Douai. Un de mes professeurs, le tromboniste Phil Abraham, était également enseignant à Bruxelles. À mes yeux, ce musicien est une légende du jazz belge. C’est lui qui m’a conseillé de poursuivre mes études ici.
En marge de votre formation en jazz au Conservatoire de Bruxelles, vous jouez du saxophone dans des réceptions et des palaces. C’est le point de départ de votre carrière?
Un jeune musicien n’a pas mille solutions pour gagner un peu d’argent. Comme je ne voulais pas dépendre financièrement de mes parents, je me suis tourné vers l’événementiel. J’ai rejoint un groupe spécialisé dans les reprises. Nous jouions lors de réceptions dans des restaurants ou des grands hôtels. À force de reprendre les plus grands hits de Beyoncé, de Bruno Mars ou de Justin Timberlake, j’ai acquis de nouvelles techniques et dépassé le cadre de ma formation classique-jazz. Ce groupe de reprises m’a aussi permis de voyager. J’ai joué plusieurs fois dans un hôtel aux Maldives, par exemple.
Présenté de la sorte, ça vend du rêve, mais, dans les faits, l’événementiel n’est pas toujours aussi cool. D’ordinaire, c’est surtout se taper trois heures de route pour accompagner un DJ à un mariage entre minuit et deux heures du matin. Je détestais ça, mais il fallait bien gagner sa vie.
Comment êtes-vous passé des reprises aux compos originales?
À un moment, j’ai reçu une offre indécente: trois mois super bien payés pour jouer des reprises dans des hôtels de luxe en Turquie! J’ai saisi l’occasion, en me disant que c’était ma dernière incursion dans l’événementiel. Après ça, mon plan était clair: j’allais prendre du temps pour moi et développer un projet artistique. Mais cela ne s’est pas déroulé comme prévu... En Turquie, nous sommes tombés sur un escroc et, au bout de six semaines, j’étais de retour en Belgique, sans avoir touché le moindre euro. Juste après cet épisode désastreux, c’était le début du confinement.
C’est à ce moment-là que votre nom se rapproche de celui de Peet. Comment faites-vous la connaissance du rappeur bruxellois?
Un pote m’a contacté pendant le confinement pour me dire que Peet cherchait à ajouter du saxophone sur l’un de ses morceaux. À l’époque, le rappeur faisait un Live chaque semaine sur Instagram. Je me suis donc connecté sur son compte pour intervenir en direct avec mon sax. Quelques minutes plus tard, Peet m’a envoyé une démo en me proposant de l’arranger. J’ai tout de suite enregistré un accompagnement. Trente minutes plus tard, il recevait ma version de son morceau. Depuis lors, on ne se quitte plus. Nous venons d’ailleurs d’achever une tournée ensemble.
Au-delà de cette collaboration avec le rappeur bruxellois, votre saxophone accompagne également les musiques de Dabeull et celles de Sofiane Pamart, deux stars du marché français.
Ma rencontre avec Dabeull, c’était à un barbecue organisé chez Peet. C’est lui qui nous présentés, en disant que j’étais "le meilleur saxophoniste de Bruxelles": c’était absurde! Toujours est-il qu’après coup, Dabeull me contacte pour enregistrer dans son studio, à Bruxelles. Je suis partant, hyper motivé. Le problème, c’est que je n’ai aucune idée de ce qu’il fait comme musique. Juste avant de le rejoindre, j’écoute vite fait: c’est funky, super stylé. Et là, je me rends compte qu’il génère des millions de streams sur les plateformes. Arrivé à destination, je tombe sur Dabeull et Sofiane Pamart. Ils étaient en train de travailler sur un projet commun et ils m’ont demandé de faire un solo sur un titre. Je le fais; ils adorent. À l’arrivée, j’ai enregistré cinq chansons de suite, chaque fois en une prise seulement.
Votre premier album, "Take 01", a-t-il été enregistré en une prise?
Pas vraiment. L’histoire est la suivante: il y a deux ans, un journaliste demande à Sofiane Pamart quels sont, selon lui, les grands artistes de demain. Là-dessus, Sofiane parle de moi et me présente comme le "One Take Man", soulignant que ma première prise est toujours la meilleure. Ensuite, lors de l’enregistrement de mon album, j’ai réuni plusieurs musiciens en studio. À leur arrivée, je leur ai donné quelques directives et, dans la foulée, nous avons enregistré une première prise d’anthologie. J’ai baptisé ce morceau "Take 01", c’est aussi le titre de l’album.
Depuis peu, vous collaborez avec la marque Carhartt Wip. Quelle en est l’origine?
Il y a trois ans, j’ai joué avec Peet lors d’un showcase organisé dans la boutique bruxelloise de Carhartt Wip. Quelques semaines plus tard, je reçois un colis: c’est la première fois de ma carrière qu’une marque m’envoyait des vêtements. Quand j’ai annoncé la sortie de mon premier album solo, Carhartt Wip a évoqué la possibilité d’étendre notre collaboration via la création d’un t-shirt personnalisé. J’ai demandé à ma mère, qui est peintre, de réaliser des acryliques autour de la thématique du saxophone. C’est l’une de ses peintures qui se trouve au dos de cette édition limitée.
Aviez-vous une idée en tête pour cette pièce?
J’ai conçu cette édition limitée en m’inspirant de ma passion pour les t-shirts vintage. Là, par exemple, je reviens de Los Angeles, où se déroule une convention dédiée à la culture du t-shirt vintage. Chaque mois, 2.500 exposants s’installent aux abords du Rose Bowl Stadium à Pasadena où ils proposent des pièces originales, souvent associées à l’histoire du rock, du rap, de la soul ou du jazz. J’ai dépensé 300 dollars pour acquérir un t-shirt d’une tournée de Miles Davis. C’est une pièce assez rare parce qu’à l’époque, les jazzmen ne produisaient quasiment aucun merchandising.
Quelle est ta dernière acquisition en tant que collectionneur?
Je viens de m’offrir le t-shirt original du Montreux Jazz Festival 1995. Je le cherchais depuis longtemps parce que c’est l’année de ma naissance, mais surtout parce que le design de ce t-shirt est l’œuvre de David Bowie. C’est une des premières incursions d’un musicien dans un territoire jusque-là réservé aux spécialistes de l’image. Il existe des milliers de récits et d’anecdotes qui circulent en marge des t-shirts dédiés à la musique. C’est mon ami Louison Dequesnes – du magasin de fripes 0.9 dans la rue du Midi à Bruxelles – qui m’a initié à la culture du t-shirt vintage.
Le Montreux Jazz Festival marque aussi vos débuts sur scène en solo.
En effet: j’y ai joué mon tout premier concert sous le nom de Ferdi en juillet 2023. Cette date, c’est la concrétisation d’un rêve d’enfant. Mon pote Louison s’était mis en tête de solliciter de grands festivals d’été pour qu’ils m’invitent. Je n’y croyais pas, mais comme il insistait, je lui ai soumis dix événements à contacter avec, en tête de liste, le Montreux Jazz Festival. C’est le seul événement qui lui a répondu! Je n’en reviens toujours pas d’avoir joué là.
Sur votre album, il y a une collaboration avec Sofiane Pamart. Le morceau s’appelle "Montreux Palace". C’est un clin d’œil à cet épisode?
Juste avant mon concert au Montreux Jazz Festival, j’ai reçu un appel de Sofiane Pamart. Lui aussi s’y produisait, quelques jours après moi. Il m’a demandé de l’accompagner. Durant l’été 2023, j’ai donc joué deux fois à Montreux. Lors de mon premier passage, j’étais logé dans un établissement modeste du centre-ville. La deuxième fois, c’était une autre histoire: toute l’équipe de Sofiane était hébergée au Montreux Palace. Je n’avais jamais mis les pieds dans un hôtel aussi luxueux, qui surplombe les Alpes et le lac Léman. "Montreux Palace" y fait une référence. Un lieu qui, à sa façon, marque le début de ma collaboration au long cours avec Sofiane Pamart.
Ton album diffuse des parfums très ancrés dans les années 1980. C’est une période qui t’inspire?
Le côté eighties est présent, mais j’ai cherché à le mixer différemment, en amenant des arrangements contemporains et des idées piochées dans la pop alternative et la culture indie. Cela étant, certaines harmonies ont effectivement des affinités avec la pop française des années 1980. Quand j’étais petit, à la maison, mon père écoutait des artistes comme Daniel Balavoine, Jean-Jacques Goldman, Mylène Farmer ou Michel Berger. J’ai évolué dans cet environnement; on ne choisit pas toujours ses influences. Il faut juste se laisser porter par son background et ses intuitions. C’est une question de feeling.