Quand l’architecture indienne rencontre le design italien à Florence

Shonan Purie Trehan, créatrice du studio L.A.B., a quitté Mumbai pour Florence. Avec Luigi Fragola, ils ont aménagé un domaine Renaissance qui marie sensibilités indiennes et italiennes.

C’est à Florence que Shonan Purie Trehan, architecte et décoratrice d’intérieur indienne de renom, au regard empreint de douceur, a choisi de s’installer avec sa famille, en quête d’un nouvel équilibre de vie. Il n’est pas surprenant qu’elle ait choisi la capitale de la Toscane: son travail d’architecte et son approche globale de la décoration d’intérieur reposent sur un lien étroit entre fonctionnalité et émotion, une philosophie qui transparaît également dans le manifeste de son studio de design, L.A.B. (Language, Architecture, Body).

"C’est un laboratoire consacré à la conception architecturale. Les projets sont menés avec une sensibilité poétique, une rigueur scientifique et une visée profondément humaine. Et cette préférence particulière pour une technique mêlée de philosophie, ce sens du sublime synonyme d’harmonie entre l’homme et la nature, entre l’âme et les objets, est la source d’un véritable humanisme. Or l’humanisme, avec un grand H, est né ici, à Florence."

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©Francesco Dolfo
"Dans cette maison, on retrouve le charme de la Renaissance mêlée à la gaieté de la vie quotidienne d’aujourd’hui."
Shonan Trehan

Je rencontre Shonan Trehan dans sa magnifique résidence. Trehan est une créatrice passionnée par les constructions sculpturales, expressives et empreintes de personnalité en parfaite harmonie avec le paysage. Poétique et ludique, sa résidence est quant à elle une célébration de la couleur et de l’art, des sculptures et des céramiques, de la végétation et de l’imagination, le tout orchestré par une élégance raffinée.

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Cette parfaite alchimie entre fonctionnalité, charme européen et esprit exotique est le fruit de la collaboration entre Trehan et l’architecte italien Luigi Fragola. Au fil des ans, Luigi a conçu des villas d’exception (et à très faible impact énergétique) et s’est imposé comme une des signatures italiennes les plus prisées des palaces en quête d’un style unique, contemporain et riche en personnalité. Parmi ses réalisations, retenons notamment The Place Firenze, la Belmond Villa San Michele à Fiesole (en cours d’achèvement), ainsi que l’Ameron à Francfort.

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"En feuilletant un AD magazine, mon époux est tombé sous le charme de la maison privée de Luigi Fragola", se souvient Trehan. "Nous l’avons contacté:j’avais besoin d’un collègue sur place et je dois dire que cette rencontre a été l’une des plus heureuses de ma vie."

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La longue table a été chinée chez un antiquaire. la suspension en carton a été conçue par Martand Khosla.
La longue table a été chinée chez un antiquaire. la suspension en carton a été conçue par Martand Khosla.
©Francesco Dolfo

Comment est née l’envie de vivre à Florence?

"Mumbai est la ville où nous avons vécu ces douze dernières années. Nous avons une maison dans les collines, hors du centre-ville, un lieu qui nous permettait de trouver un équilibre entre l’intensité de la vie urbaine (très chaotique) et la sérénité de la campagne. Cette maison et ces collines ont été notre refuge: c’est là que nous avons vécu pendant un an et demi durant la pandémie. Les enfants ont traversé cette période dans ce cadre et cette forme d’isolement, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, s’est avérée être un cadeau. En tant qu’adulte, j’ai toujours été attirée par les contrastes: l’effervescence de la ville et la tranquillité de la campagne m’apportent un équilibre. Les enfants se sont mis à évoquer avec tendresse et nostalgie ‘le temps passé dans les collines’, ensemble, en famille, immergés dans la nature. Pour eux, c’était le paradis et c’est de là qu’est née l’idée de revenir à un mode de vie plus près de la nature."

Pourquoi Florence?

"Difficile à dire. C’était comme un ressenti, un instinct qui nous a conduits ici. Mon époux et moi avons travaillé et vécu aux quatre coins du monde, de Montréal à Londres, d’Amsterdam à New York. Nous avons également passé un moment en Chine et à Singapour, mais pas avec les enfants: avec eux, nous n’avions vécu qu’à Mumbai. Alors, nous nous sommes dit: ‘Et si nous tentions quelque chose de différent, une expérience de vie qui serait enrichissante à la fois pour nous et pour nos deux enfants?’ Car nous voulions leur offrir ce ‘temps dans les collines’ tout en étant proches d’une ville. Et même si, en tant qu’adultes, nous ne parlions pas bien italien (nos enfants, eux, l’ont appris avec une aisance incroyable), j’ai toujours été, en tant qu’architecte, une grande admiratrice de la culture et du design italiens. Mon époux et moi imaginions Florence comme un lieu idéal où se mêlent savoir-faire exceptionnel, cuisine délicieuse et richesse artistique inépuisable. Sans compter qu’à 15 minutes du centre-ville, on se retrouve dans une campagne splendide."

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Les fresques séculaires du plafond de la cuisine ont pris une nouvelle dimension grâce aux miroirs.

"Et puis, tout s’est déroulé sans que cela fasse réellement partie de nos plans. Je m’explique: nous étions à la recherche d’une maison à louer et une très bonne amie, Caroline Budini Gattai, nous a parlé de cette maison. Comment ne pas en tomber amoureux? C’était tout simplement impossible! Nous avons donc fait un choix radical, c’est vrai, mais rempli de nature et de culture. D’émerveillement aussi. Je retourne à Mumbai une fois par mois; je suis flexible dans mon travail. Il y a l’intensité de ma vie professionnelle et la beauté de cette vie ici, à Florence."

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©Francesco Dolfo

Qu’entendez-vous par émerveillement?

"L’emplacement de cette maison en est un parfait exemple. Depuis la colline, on peut admirer à la fois la ville et la campagne. De plus, le centre n’est qu’à 15 minutes en voiture, voire moins. On peut se promener, faire du vélo et profiter de notre joli jardin avec des oliviers, des plantes et des fleurs. Et il règne ici une tranquillité extraordinaire."

Que vous a apporté cette nouvelle vie?

"Une chose à laquelle je ne m’attendais pas: la communauté que j’ai découverte. Je pensais que nous serions davantage isolés, alors qu’en très peu de temps, nous avons rencontré une foule de gens  venus des quatre coins du monde, une communauté de personnes merveilleuses qui ont aussi choisi de s’installer à Florence."

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Comment avez-vous aménagé la maison?

"Nous voulions respecter les couleurs d’origine: elles devaient donc être typiquement toscanes, en hommage à cette terre, tout en étant fraîches, vivantes et de bon goût. Luigi a un sens des couleurs extraordinaire, c’est pourquoi nous avons pensé qu’il serait parfaitement en phase avec nos envies et cette maison. Et nous avions raison: Luigi a été formidable. Il s’est montré très ferme et clair sur ce qui était nécessaire ici, tout en étant chaleureux et flexible pour le reste: il a immédiatement compris qu’il s’agissait d’une maison destinée à être habitée par une vraie famille."

Luigi Fragola ajoute: "Travailler avec Shonan a été une expérience merveilleuse et nous sommes devenus amis. Trouver des clients qui ont une vision et un sens aigu des couleurs a été un plaisir. Collaborer avec une architecte comme elle, issue d’une culture si différente, a été super inspirant."

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Une porte vitrée sépare la cuisine de la salle à manger. La table en plastique recyclé est l’œuvre du Néerlandais Dirk van der Kooij.
Une porte vitrée sépare la cuisine de la salle à manger. La table en plastique recyclé est l’œuvre du Néerlandais Dirk van der Kooij.
©Francesco Dolfo

Pour en revenir à la maison et à son style, quel souhait avez-vous exprimé?

"Nous voulions une maison où nous pourrions nous ancrer, nous ouvrir à la vie, l’accueillir pleinement et célébrer tout ce qui est à venir." Un sentiment de vitalité et de bonheur imprègne chaque recoin de cette magnifique maison Renaissance, sublimée grâce à une utilisation magistrale de la couleur et de l’art. Comme l’explique Fragola: "Souvent, les maisons de la Renaissance sont magnifiques à l’extérieur, mais manquent de gaieté contemporaine à l’intérieur. Elles peuvent paraître sérieuses, trop formelles, dirais-je. Mais ici, grâce à l’énergie vibrante de cette famille et au choix des éléments pour l’intérieur, nous avons réussi à apporter une touche de fraîcheur, de bonheur et de joie. Nous avons ainsi combiné le formalisme précieux et imposant de l’esthétique Renaissance avec la beauté d’une véritable vie à l’intérieur."

Shonan, comment définiriez-vous votre maison? Comment y vivez-vous?

"C’est une ‘maison ouverte’. Nous accueillons en permanence des invités venus du monde entier, des amis, anciens ou nouveaux, des membres de la famille... Florence est une étape incontournable: tout le monde passe par ici, tout le monde veut visiter cette merveilleuse cité. Cette maison, contre toute attente, nous permet de rester en contact avec nos proches les plus chers, qui viennent souvent passer plusieurs jours avec nous. Je dois dire que, oui, c’est vraiment une maison pleine de joie."

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La douche, en marbre breccia verde tirreno, donne sur la campagne florentine.
La douche, en marbre breccia verde tirreno, donne sur la campagne florentine.
©Francesco Dolfo

La maison est une célébration d’œuvres d’art, de peintures et d’objets qui reflètent une véritable passion.

"Oui, toutes ces pièces ont été choisies par nous. La première est une œuvre de l’artiste conceptuelle indienne Mithu Sen, intitulée ‘Twist Your Plevis, Scratch Where It Itches’ (littéralement, ‘Tournez votre bassin, grattez là où ça démange’, NDLR): elle dégage une aura sensuelle, intime et intense. Ensuite, nous nous sommes laissés emporter et avons acquis une œuvre de Saskia Pintelon, une artiste belge installée au Sri Lanka. J’aime aussi beaucoup une œuvre réalisée par un artiste portugais avec des tissus recyclés: elle me rappelle que chaque pièce dans cette maison raconte une histoire de notre vie avant notre installation ici. Ce sont des histoires qui nous ont suivis. Dans beaucoup de nos maisons précédentes, nous avions des espaces très ouverts, avec peu de murs pour accrocher des œuvres d’art. Nous avions plus d’art que de murs! Maintenant, nous avons enfin les murs."

Et pour l’aménagement, comment avez-vous créé ce parfait mélange de styles?

"Nous avons misé sur un joyeux mélange d’Inde et d’Europe. L’Inde partage une grande affinité avec l’Italie en matière d’artisanat. Le grand cactus et la table basse sont indiens et ont été fabriqués sur mesure pour nous, tout comme les tapis – Luigi a conçu celui du salon, par exemple. C’est ainsi que nous avons pensé l’aménagement de toute la maison, en créant ce mélange éclectique: comme la table du salon, conçue par Dirk van der Kooij et fabriquée à partir de matériaux recyclés. C’est une pièce que j’adore, où le plastique vit une nouvelle vie et donne l’impression d’avoir été peint au pinceau."

"Nous chinons nos antiquités lors des ventes aux enchères; nous achetons sur un coup de cœur, en ne choisissant que des pièces qui nous plaisent réellement pour ensuite les combiner avec différents objets de design indien ou fabriqués à la main. Nous adorons les vases en céramique texturée organique et tactile. Il y en a beaucoup dans la maison. Mon époux adore les fleurs."

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L’intérieur est un joyeux méli-mélo d’artisanat indien et de design européen. au mur, une Œuvre de Bhagyanath C., un artiste indien engagé.
L’intérieur est un joyeux méli-mélo d’artisanat indien et de design européen. au mur, une Œuvre de Bhagyanath C., un artiste indien engagé.
©Francesco Dolfo

Il y a aussi de grands noms du design.

"Je suis une inconditionnelle du design italien. De nombreux luminaires de la maison viennent de Stilnovo; les chaises et les tabourets sont signés Cassina, et les canapés du grand salon viennent d’Edra, Baxter et Meridiani, tout comme les lits. De nombreuses pièces ont été fabriquées sur mesure pour cette maison, mais pour de nombreux aspects, j’ai suivi cette règle simple: la qualité d’un design original est inimitable."

Il y a même une chambre toute rose, très "Mumbai", relaxante et accueillante. "Oui, c’est un petit coin d’Inde! J’adore le rose, comme je l’ai déjà mentionné. Ici, au milieu de divers posters et photos, se trouve une œuvre circulaire signée Bhagyanath C, un portrait socioanthropologique de la grande histoire politique de l’Inde qui comprend de nombreux personnages et événements de la culture indienne contemporaine. Pour ceux qui connaissent notre histoire, il est amusant de repérer les nombreux épisodes représentés. Pour moi, l’art, c’est tout ce qui se passe."

Votre approche du design et de l’architecture passe toujours par un prisme culturel et empathique — une philosophie holistique de la vie dans une perspective contemporaine.

Cela se reflète également dans le manifeste de votre studio, L.A.B.

"Oui, cette vision m’accompagne dans tous les domaines. Par exemple, la culture à Florence est incroyablement vivante: beaucoup d’Italiens se rencontrent à travers la culture, et j’entends par là de nombreuses formes de culture, comme le sport. Ici, par exemple, les enfants jouent au football, qui constitue en Italie un véritable ciment social, un ‘sport social’. Et il y a des enfants du monde entier. Grâce à cela, nous avons noué beaucoup d’amitiés et effectué de nombreux voyages dans les petites villes voisines, lors de déplacements pour des matchs avec d’autres équipes. C’est ainsi qu’un sport, profondément enraciné dans la culture italienne, nous a permis, en tant que famille, de découvrir, d’apprendre et d’enrichir notre vision du monde."

©Francesco Dolfo

Y a-t-il un espace que vous aimez particulièrement?

"Mon espace préféré, c’est mon bureau, la seule pièce nichée au dernier étage. On y accède par un escalier que j’ai voulu rose pêche, une teinte que j’adore. Là-haut, tout est calme, il n’y a personne... c’est ‘ma chambre à moi’, comme dirait Virginia Woolf. Et si j’entends des pas dans les escaliers... c’est forcément pour moi. Souvent, ce sont les petits pas pressés des enfants qui montent jusqu’à mon royaume pour me demander toutes sortes de choses. Ces petits pas, je les adore!"

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