Bienvenue dans l'énigmatique villa en béton signée Marc Corbiau

Du pilote de F1 David Coulthard au collectionneur Hubert Bonnet, cette villa signée Marc Corbiau a vu défiler d'illustres propriétaires. Le Studio Daskal Laperre a apporté sa touche de chaleur.

Quelles maisons contemporaines deviendront, un jour, des monuments du patrimoine? Y a-t-il des habitations du XXIe siècle qui rejoindront le canon de l’architecture belge? Autant de questions fascinantes pour les amateurs de patrimoine moderne du XXe siècle que nous sommes. Si nous devions distinguer une réalisation de l’architecte Marc Corbiau, ce serait assurément cette villa en béton construite en 2000 à Uccle.

Elle figure parmi les résidences privées les plus radicales de l’œuvre de l’architecte bruxellois, aujourd’hui âgé de 81 ans. Ses qualités architecturales sont indéniables, mais elle est également unique par les collections d’art et de design exceptionnelles qu’elle a abritées, ainsi que par les propriétaires prestigieux qui, au fil des 24 dernières années, ont tous entretenu une relation ambivalente avec elle.

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La façade cubiste monumentale en béton donne à cette villa à l’architecte Corbiau un aspect sculptural minimaliste.
©Jan Verlinde
"Cette maison fait de la nature environnante une œuvre d’art vivante."

Lorsqu’une maison d’architecte iconique change de mains six fois en 25 ans, cela n’augure généralement rien de bon. En revanche, cela nous a offert l’opportunité de visiter la villa en béton de Corbiau à plusieurs reprises, chaque fois sous de nouveaux propriétaires. Ceux-ci y ont systématiquement intégré leurs collections d’art et de design, et ont parfois même fait appel à leur propre architecte d’intérieur. Si le concept architectural fort de Corbiau est heureusement resté intact, l’intérieur a connu plusieurs transformations.

À nos yeux, la métamorphose la plus récente est sans doute la plus réussie. Jamais cette villa, au caractère quelque peu distant, n’avait été aussi chaleureusement aménagée qu’aujourd’hui. Jamais le contraste entre l’austérité de l’extérieur et la chaleur de l’intérieur n’avait été aussi abouti. Et ce, grâce au talent du Studio Daskal Laperre et aux propriétaires actuels, un couple d’esthètes cosmopolites et amateurs d’art qui préfèrent rester anonymes.

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Le propriétaire actuel a choisi un mélange d’art et de design, dont des luminaires d’Alvar Aalto, une table et une banquette de Vincenzo De Cotiis avec des chaises de Gio ponti, une œuvre de Kenneth Noland.
©Jan Verlinde

Entrée cubiste

À l’origine, Corbiau conçoit cette remarquable villa pour l’investisseur immobilier et collectionneur d’art suisse Hubert Bonnet, qui la considère comme son premier grand projet. "Mon intention initiale était de collaborer avec le célèbre architecte japonais Tadao Ando", explique Hubert Bonnet. "Il est même venu en Belgique pour en discuter, mais son budget s’est avéré démesuré. Dommage." Avec sa monumentale façade cubiste en béton lissé, la villa évoque effectivement l’influence d’Ando. Les blocs de béton imbriqués confèrent à l’extérieur une allure de sculpture minimaliste. Quand on se tient juste devant, l’édifice est si imposant qu’il faut presque chercher la porte d’entrée, une petite ouverture excentrée, découpée dans le plus grand bloc.

©Jan Verlinde

L’hermétisme de l’extérieur n’est qu’un leurre. Une fois à l’intérieur, ce bunker monolithique se mue en un véritable temple de lumière et d’espace, conçu par Corbiau pour coexister harmonieusement avec l’art. En tant qu’"architecte des murs" autoproclamé, il s’attache en effet toujours à intégrer suffisamment de murs et d’axes visuels pour sublimer les œuvres de la collection. En ce sens, cette villa s’apparente à un musée privé domestiqué.

À l’époque où Bonnet y résidait encore, l’intérieur était aménagé de façon épurée, laissant un maximum d’espace aux œuvres minimalistes et conceptuelles de sa collection privée grandissante. Sa passion pour l’art l’a d’ailleurs conduit à créer, en 2012, la Fondation CAB, un espace à but non lucratif dédié à l’art contemporain et comptant des antennes à Ixelles et Saint-Paul-de-Vence, dans le Midi de la France. Ces dernières années, Bonnet s’est également distingué à Knokke avec sa ‘Villa Paquebot’, une maison de vacances moderniste qu’il a restaurée avec soin et ornée d’art et de design de haut niveau.

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Visite privée de la Villa Paquebot restaurée, une merveille moderniste
Près de la piscine, une sculpture de Tony Cragg et un rocking-chair de Rodrigo SimĀo. Derrière le claustra, une Œuvre de Brent Wadden.
©Jan Verlinde

Bonnet n’aura finalement pas vécu longtemps dans la maison conçue par Corbiau, qu’il a rapidement revendue à la famille Fabiani. Ensuite, la villa est passée entre les mains de Nathalie Guiot, écrivaine, éditrice et collectionneuse française, fondatrice de la Fondation Thalie. Elle en a fait une "Haus der Kunst" encore plus marquée que celle de Bonnet. "La maison est très muséale dans l’esprit, pas vraiment chaleureuse ou accueillante", déclare Nathalie Guiot. "Sous l’égide de Thalie Art Project, je l’ai utilisée pendant trois ans pour y organiser des expositions, concerts et performances. Je souhaitais partager cette architecture avec le public, et elle s’y prêtait parfaitement."

Jamais le contraste entre l’austérité de l’extérieur et la chaleur de l’intérieur n’avait été aussi abouti. Et ce, grâce au talent du Studio Daskal Laperre et aux propriétaires actuels, un couple d’esthètes cosmopolites.

Ensuite, la villa a été acquise par l’ancien pilote de F1, David Coulthard, puis plus tard par une célébrité du showbiz parisien, Arthur (pseudonyme de Jacques Essebag). Ce dernier a fait appel au Studio Daskal Laperre pour rénover l’intérieur en profondeur et même l’agrandir légèrement. "En concertation avec Marc Corbiau, une annexe sur deux niveaux a été ajoutée, rendant l’espace de vie et la salle à manger plus spacieux et fonctionnels qu’avant", explique l’architecte d’intérieur Daphné Daskal, qui dirige le studio de design avec Stéphanie Laperre depuis Courtrai et Uccle.

©Jan Verlinde
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Touche de raffinement

Le propriétaire précédent n’a finalement jamais habité la villa, mais il a veillé à ce que l’intérieur soit parfaitement achevé afin de pouvoir la vendre. "Lorsqu’il a pris cette décision, j’ai contacté une amie de longue date qui vivait à l’étranger. Nous partions souvent en vacances ensemble et chaque fois qu’elle était de passage en Belgique, nous en profitions pour nous retrouver", explique Daskal. "La maison était pratiquement prête à être habitée, ce qui tombait bien, car elle n’avait aucune envie d’entreprendre de gros travaux. Mais finalement, nous avons tout de même apporté pas mal de modifications."

La cuisine a été retravaillée en palissandre, une essence beaucoup plus chaleureuse que celle d’origine. De même, l’espace bar/salle télé à côté de la piscine intérieure est beaucoup plus accueillant. "Le projet est exceptionnel, car nous l’avons transformé deux fois en quatre ans pour deux clients très différents. Nous avons revu en profondeur les espaces et les volumes, tout en respectant l’œuvre de Marc Corbiau. À l’époque, la maison a été conçue pour un célibataire, mais nous l’avons transformée en maison familiale accueillante", confie Stéphanie Laperre.

À l’intérieur, le bunker monolithique se mue en temple de lumière et d’espace.

"Daphné et Stéphanie ont apporté de la texture et du raffinement", confie la propriétaire actuelle. "Le contraste entre l’architecture épurée et l’intérieur chaleureux est désormais parfaitement réussi. Je voulais que cette maison, qui est très linéaire, devienne plus conviviale et accueillante. Elle avait besoin de douceur, de courbes et d’élégance. Nous l’avons achetée parce qu’elle nous semblait idéale pour vivre entourés d’art. L’architecture de Corbiau sublime l’expérience de l’art. Pourtant, certains ne comprenaient pas pourquoi nous avions choisi ce ‘bunker’. Et ce bois sombre à l’arrière, ne nous faisait-il pas peur? Au contraire: vivre aussi proche de la nature est un privilège. Cette maison encadre la nature comme une véritable œuvre d’art vivante."

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Le Studio Daskal Laperre a rénové cet espace deux fois en cinq ans pour deux commanditaires différents. La cuisine est devenue un lieu accueillant. Travail sur verre de Ritsue Mishima et luminaires d’Alvar aalto.
©Jan Verlinde

Citoyen du monde

Combien de temps la propriétaire actuelle restera-t-elle dans la maison de Corbiau? Nul ne le sait. En tout cas, elle s’y sent déjà chez elle, bien qu’elle se définisse comme une ‘véritable citoyenne du monde’. Sa mère, d’origine espagnole, est née au Congo, tandis que son père est né en Pologne. Elle-même a grandi entre l’Allemagne et la Belgique, avant de partir à 18 ans pour Londres.  Ensuite, elle a vécu à New York, puis à Milan, pour finalement revenir en Belgique. "Je ne me sens pas déracinée. Se sentir chez soi partout dans le monde est pour moi une richesse, et non un manque", explique-t-elle. Avec son partenaire, elle a su réunir toutes ces influences dans un intérieur éclectique avec la qualité pour seul fil conducteur.

Son séjour en Italie a particulièrement influencé ses goûts. Outre des œuvres d’Alighiero Boetti et de Michelangelo Pistoletto, la maison abrite également du design signé Giò Ponti, Gabriella Crespi et Vincenzo de Cotiis. Ce dernier a notamment conçu la table ronde en résine et le canapé du bar. "Savez-vous qui m’a présenté De Cotiis? Vincent Van Duysen. À l’époque, je vivais à Milan dans un appartement des années 50 que Van Duysen avait rénové de manière radicalement moderne. La plupart des Milanais préfèrent les appartements classiques, mais moi, je n’en voulais pas", confie-t-elle. Le fait que Stéphanie Laperre et Daphné Daskal se sont rencontrées dans le bureau de Vincent Van Duysen ne doit sûrement rien au hasard.

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