Loin du cliché de l'intérieur knokkois, Aurélie Penneman de Bosscheyde a conçu un appartement de vacances inspiré de Carlo Scarpa, comme une touche milanaise au Zoute.
Knokke est un terrain familier pour Aurélie Penneman de Bosscheyde. Depuis son enfance, l’architecte d’intérieur y passe beaucoup de temps en été. Depuis qu’elle a créé son bureau d’architecture d’intérieur, en 2018, elle a eu l’occasion de réaliser plusieurs beaux projets privés à Knokke. Le plus connu est sans doute la Villa Westhinder, une maison moderniste signée Henry van de Velde. Pour les propriétaires, la famille Saverys-Vandecasteele, elle a réaménagé tout l’intérieur en symbiose avec l’architecture paquebot d’origine.
Un autre de ses amis est Anthony Van Biervliet, créateur et producteur de la série à succès ‘Knokke Off’. "Cette série de la VRT est librement inspirée des étés que nous avons passés à Knokke avec une bande d’amis. Je sais exactement à quels souvenirs d’enfance certains personnages ou scènes de la série font référence!", s’exclame l’architecte.
"Un appartement beige passe-partout n’était pas ce que voulaient les propriétaires, et moi non plus. Dès que mes clients ont eu le déclic, ils m’ont fait confiance."Aurélie Penneman de Bosscheyde
Source d’inspiration
Presque en même temps que Westhinder, elle a également rénové cet appartement d’angle, situé à quelques centaines de mètres de là, en direction du Zoute. "Cet appartement familial a changé de génération suite au décès du grand-père des clients. L’intérieur, un peu vieillot, avait besoin d’être rafraîchi. Il avait du potentiel, mais il était caché sous la moquette et le papier peint", commente Aurélie Penneman. "L’agencement est resté globalement le même, mais nous avons littéralement déshabillé l’appartement jusqu’à la dalle de béton. Toute la technologie, les revêtements de sol, l’isolation, les fenêtres, les finitions des murs et les éléments sur mesure ont été renouvelés. Ici, j’ai vraiment pu m’exprimer."
Le point de départ de son projet a été la poignée de porte d’origine, typique des années soixante: un galet en laiton qui tient parfaitement en main. "Elle était toujours en production à la Maison Vervloet", s’étonne-t-elle. "Nous avons pu en récupérer trois dans l’appartement et nous avons fait fabriquer les autres."
Par association d’idées, l’architecte d’intérieur d’Anzegem est passée d’un galet en laiton à des intérieurs sophistiqués, puis au glamour italien des années 60 et, enfin, à Carlo Scarpa (1906-1978). Cet architecte et designer italien était un grand maître dans l’art de combiner de manière raffinée des matériaux chauds et froids, comme le bois, le laiton, la pierre naturelle, le béton et le verre. Penneman a appliqué la même approche. "Au début, le client était un peu réticent quand je lui ai proposé ces références à Scarpa. Mais une fois qu’il a compris l’idée, il m’a accordé sa confiance. De toute façon, il ne voulait pas d’un appartement de vacances beige passe-partout, et moi encore moins."
Très Scarpa, les sols en terrazzo sont incrustés de petits éclats de mosaïque en verre: rouge dans la cuisine et gris-bleu dans la salle de bains. "Ces éclats de verre colorés ont été placés un par un à la main et coulés dans le terrazzo. Un savoir-faire italien de haut niveau." Le motif graphique fait référence au sol du showroom Olivetti de Carlo Scarpa à Venise: une visite incontournable si vous vous rendez dans la cité des Doges pour la Biennale cet été. Ce même motif de petits carrés se retrouve sur les portes perforées des armoires ainsi que sur les grilles de sol en bois des convecteurs, un détail astucieux qui confère de la cohérence à l’appartement de 110m².
Touche milanaise
Bien que l’appartement ne soit pas particulièrement grand, sa situation d’angle et sa fenêtre latérale donnent une sensation d’espace dans le coin salon. Grâce à cette perspective supplémentaire, l’effet tunnel, que l’on retrouve dans beaucoup d’appartements-boîtes à chaussures du littoral, disparaît. "Grâce à ces deux ouvertures, on a une vue à la fois sur la mer et sur les dunes. C’est comme un tableau, c’est pourquoi j’ai voulu encadrer ce panorama de manière optimale avec la nouvelle disposition des fenêtres", détaille l’architecte. Pourtant, elle considère le paysage comme une entité distincte. Selon elle, l’intérieur peut raconter une histoire différente que l’extérieur: il ne doit pas nécessairement correspondre à la vue. C’est pourquoi Penneman n’a pas recouru à la palette de couleurs et de matériaux prévisible de Knokke pour faire le choix de ce look italien années 60: comme une touche milanaise au Zoute.
La pierre naturelle utilisée dans la cuisine est typiquement italienne: ce n’est pas l’incontournable travertin, mais de la pierre d’Istrie brute. Le canapé vintage orange, un ‘Marenco’ d’Arflex, s’intègre parfaitement dans cette ambiance, tout comme les carrelages à motif palmier près de la cheminée. "Je les ai trouvés chez le producteur, en Vénétie", explique la jeune femme. La bibliothèque en afrormosia sur mesure équilibre des formes organiques dans la même atmosphère sixties, tout comme le tapis coloré fabriqué sur mesure par Bomat. Ou encore la table de salle à manger ‘free form’, conçue en interne et produite en pièce unique chez AM Design. "Le pied de la table est inspiré de la quille d’un voilier. Avec les appliques en forme de coquillage, ce sont les seules références explicites à la mer dans cet appartement."
Loin des clichés des intérieurs de Knokke, Penneman a conçu un appartement aux allures d’hôtel international. "Les propriétaires l’utilisent également comme maison de vacances qu’ils partagent avec leur famille et leurs amis, d’où la largeur généreuse du couloir et le lave-mains sur mesure dans l’entrée", explique-t-elle. Ce souci du détail, typique des hôtels, se retrouve surtout dans des éléments presque invisibles et qui, pourtant, font toute la différence, comme les intérieurs colorés des armoires ou les profilés en laiton dans les stucs bruts. Avec les poignées de porte en laiton, ces détails raffinés apportent une touche d’élégance italienne, qui élève cet appartement au-dessus des standards.
Sélection minutieuse
Aurélie Penneman n’a pas pour autant transformé cet espace en hommage rétro à Scarpa. Alors que ses intérieurs peuvent parfois sembler un peu surchargés, elle a ajouté ici les touches fraîches et contemporaines nécessaires. "Je ne voulais surtout pas d’un total look. La décoration est restée suffisamment ludique, avec différents types d’objets, de coussins et de luminaires. Certains éléments d’éclairage ont été fabriqués sur mesure par PSLab, d’autres ont été dénichés chez Axel Chay à Marseille ou chez St Vincents à Anvers, d’autres encore sont vintage, comme les suspensions Hans-Agne Jakobsson dans la chambre. Je ne suis pas le genre d’architecte qui doit tout trouver sous un même toit: la sélection minutieuse fait partie de mon travail."
Dans ce métier, Penneman est une vocation tardive. En effet, elle a d’abord étudié le droit avant de suivre une formation en architecture d’intérieur. "À la maison, j’ai été nourrie d’architecture dès mon plus jeune âge. Mon père, médecin, était passionné par Le Corbusier, le Bauhaus et le modernisme. Toutes nos vacances étaient centrées sur l’architecture. Ma mère est architecte de jardin et autrice de livres pour enfants. L’esthétique a joué un rôle essentiel dans mon éducation", explique-t-elle. Ce qui se reflète dans son portfolio: en peu de temps, Penneman a déjà constitué un impressionnant palmarès d’intérieurs haut de gamme avec une signature remarquable. Vous entendrez encore parler d’elle.