De poupées à la Maison Blanche. Jason Wu a d’abord assouvi son obsession de la mode en habillant ses Barbie puis, plus tard, Michelle Obama. Sa nouvelle mission : réinventer la collection Femme de Hugo Boss.
Cette année, la fashion week de New-York s’est déroulée dans un chaos sans précédent. En février, les États-Unis ont été paralysés par les tempêtes de neige : circulation bloquée, chaussures inadaptées aux trottoirs glissants et retards sur les catwalk. Le mercredi 12 février, de 12 à 14 heures, dérapant et patinant, toute l'industrie de la mode s’est pressée au deuxième étage d'un immeuble vide sur la 55e rue. Jason Wu, le nouveau directeur artistique de la ligne Boss Femme, allait faire ses premiers pas. Et personne ne voulait rater ça. Au premier rang, on ne comptait plus les célébrités, un solide un coup de pouce pour une maison de couture.
Gwyneth Paltrow, Diane Kruger, Benedict Cumberbatch, Reese Witherspoon ou Gerard Butler, tous en Hugo Boss de pied en cap, étaient venus pour soutenir Wu. À 14h45, l'électricité dans l'air était palpable, mais Wu ne se laisse pas facilement toucher par la foudre. "Je n'ai pas le temps d'être nerveux", nous avait-il expliqué quand nous l'avions rencontré deux jours plus tôt, entre deux essayages. Normal. Wu a non pas un, mais deux emplois : à côté de Hugo Boss, il a aussi sa propre ligne qu’il avait présentée plus tôt dans la semaine, "des vêtements de sport qui tendent vers la haute couture". Les créations de Wu sont portées par Michelle Obama, comme lors du bal d’investiture.
Dans sa nouvelle fonction chez Hugo Boss, Wu est responsable du prêt-à-porter et des accessoires pour femme. Ce qui représente 12.500 employés, 7.100 points de vente dans 129 pays et un revenu net de 2,4 milliards d'euros l'an dernier. La propre marque de Wu emploie 35 personnes et compte 169 points de vente dans 39 pays. Wu est donc très occupé lors de notre rencontre.
Robes de Barbie
Jason Wu a grandi à Taiwan avant de s’installer à Vancouver avec ses parents, à l’âge de neuf ans. "Une décision très sage", déclare-t-il. "En Occident, nous nous sommes retrouvés dans un environnement offrant beaucoup plus de possibilités. Et surtout pour, comment dirais-je, une carrière qui n'était pas vraiment conventionnelle. D’emblée, il était clair que j’allais faire quelque chose d’artistique. Je n'étais pas un enfant ordinaire, vous voyez."
Pour son dixième anniversaire, il demande à sa mère une machine à coudre. Ou plus exactement, il la supplie, parce qu'il veut faire des robes pour ses Barbie. Dans la cave, il installe une grande table pour sa petite machine à coudre et laisse libre cours à sa passion avec l'aide d'un professeur de couture engagé par sa mère. Il apprend l'anglais avec un professeur privé, Muriel Kaufflan, qui restera un de ses mentors. Ensemble, ils dévorent les magazines de mode, dictionnaire à portée de la main. Wu explique que les manuels scolaires classiques n’étaient pas faits pour lui contrairement à Vogue et Harper’s Bazaar.
Comme ils veulent la meilleure éducation possible pour lui, ses parents l'inscrivent au pensionnat. D’abord, dans le Massachusetts, puis dans le Connecticut. C'est de là qu'à quatorze ans, il envoie des exemplaires de ses robes de poupées à Integrity Toys, un fabricant américain de poupées fashion qui lui passe directement commande. Wu commence en free-lance : il crée des vêtements et des accessoires pour ces poupées. À seize ans, il devient directeur artistique de l’entreprise et ensuite, associé. Aujourd'hui, il supervise toujours ces poupées haut de gamme, qui sont d’ailleurs devenues des objets de collection.
En 2001, Wu s’installe à New York, où il vit toujours avec son partenaire, Gustavo Rangel, aujourd’hui directeur financier de sa maison de couture, et leurs deux chats. Il étudie à la Parsons The New School for Design, mais n’y décrochera pas de diplôme : six mois avant la fin de sa formation, il part chez Narciso Rodriguez pour un stage qui va durer deux saisons.
Quand, jeune et inexpérimenté, j'ai été parachuté dans la mode, j’étais comme un lapin devant des phares.Jason Wu
En 2006, Wu lance son label et, en 2008, il est finaliste du Vogue Fashion Fund, un prix qui récompense les jeunes créateurs prometteurs. Anna Wintour est toujours fan - Wu la qualifie de mentor. Tout s'est passé très vite et tout le monde a été extrêmement exigeant. Mais Anna m'a guidé." Avec succès. En 2010, Wu remporte le très convoité CFDA Swarovski Award for Womenswear.
La nouvelle de sa future fonction chez Boss n’a pas manqué de surprendre nombre de ceux qui connaissaient le label allemand pour ses costumes taillés au millimètre près, et Wu pour son don à rendre les femmes belles. À Metzingen, au sud-ouest de l’Allemagne, Wu se retrouve dans un monde nouveau, le quartier général du label tout en lignes épurées et machines futuristes. "Le centre de développement est le bâtiment le plus extrême et original que j'aie jamais vu", affirme-t-il. "On peut le comparer au siège de Mercedes-Benz. D’une taille impressionnante, comme un gigantesque vaisseau spatial. Et partout, de la technologie de pointe. Pour moi, c’est extraordinaire de l’avoir à portée de la main. J’utilise toutes ces installations en permanence." Wu, qui passe une semaine par mois à Metzingen, plonge régulièrement dans les archives. Il y trouve non seulement des vêtements, mais aussi des créations artistiques, comme un costume en papier de James Rosenquist. Selon Wu, même la cantine, avec des tables en bois alignées comme des soldats et une bande transporteuse, est "très cool". "Et tout le monde est grand, mince et beau !", s’exclame-t-il en riant.
Une fan nommée Diane Kruger
Wu est convaincu que sa première collection chez Hugo Boss donnera aux vêtements pour femme cette identité indispensable, imprégnée de l'ADN que le label possède pour les vêtements pour homme. "Mon apport dans la collaboration, c'est mon regard extérieur." La première chose qu'il ait faite ? Dix chemises blanches et dix costumes. Il fouine dans les archives, étudie les machines et dresse l’inventaire de l'expertise dont dispose Hugo Boss pour se faire une idée de ses atouts. De retour à New York, il forme une équipe de dix personnes pour son studio de création, sorte de Metzingen miniature hors des murs, une première dans l'histoire du label. Pour l’interaction quotidienne avec son équipe en Allemagne, Wu utilise une version 2.0 de la vidéoconférence. Il apprécie la liberté de création dont il bénéficie chez Boss : il peut faire son truc, tout simplement, sans chercher à changer son ADN. Il veut juste faire émerger quelque chose qui était déjà là depuis des années, pour qu’on le remarque.
Pour sa collection de cent pièces, Wu apporte donc la juste dose de féminité aux valeurs de Hugo Boss. La précision avec laquelle costumes et vestes sont coupés dans le département hommes se retrouve dans les silhouettes féminines. Fonds de robe retravaillés en cachemire gris, lignes architecturales Bauhaus traduites dans un motif à carreaux pour robes et manteaux, du doré et des robes ornées de perles. Cependant, gris, noir, blanc et camel restent les couleurs dominantes.
Cette première collection marque le début d’une nouvelle ère pour la ligne femme. Wu décrit la femme Boss comme assurée et raffinée. "C’est une dirigeante. Elle respire la puissance et le contrôle, parce que ses vêtements lui vont parfaitement. Toutes les femmes ne peuvent pas porter ce genre de tenue." Diane Kruger, sa première fan, l’exprime autrement : "Les vêtements de Jason sont très luxueux et féminins. Il coupe ses créations de manière parfaite et précise."
Wu considérerait-il son travail comme une version améliorée de l'obsession qu'il avait, enfant, pour les vêtements de poupée ? "À Metzingen, il y a un faux magasin, une sorte de magasin modèle que j'ai reçu pour jouer, avec une équipe de visual merchandising autour de moi. Nous essayons d’y voir à quoi ressemblera la vitrine lorsque la collection sortira en boutique. Donc, oui, nous aimons jouer avec les poupées que nous avons habillées. Et c'est aussi pourquoi nous sommes dans le monde de la mode. C’est un travail magnifique."
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