La créatrice du tapis du défilé de Dries Van Noten

Les 48 mètres de mousse de sous-bois créés par Alexandra Kehayoglou ont fait du défilé de Dries Van Noten The talk of the town. Rencontre avec une nouvelle étoile de la galaxie fashion.

Quelle création a fait le plus le buzz lors des défilés de printemps de la fashion week parisienne? Ni les jupes Chanel, ni la dernière collection de Jean-Paul Gaultier, mais un catwalk comme une allée dans les sous-bois. Quand, en septembre dernier, Dries Van Noten fait défiler et poser ses mannequins comme des nymphes sur un tapis de mousse pour sa collection, il bluffe la galaxie fashion. Ce qui, avouons-le, n'est pas évident.

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Alexandra Kehayoglou et son équipe de cinq assistants ont réalisé en vingt jours un tapis pour le défilé de Dries Van Noten. "C’était de la folie. Nous avons travaillé jour et nuit."
©Studio Alexandra Kehayoglou

Alexandra Kehayoglou (33) est à l'origine de cet émoi. Jusqu'il y a peu, l'artiste argentine n'avait jamais rencontré Dries Van Noten. "Un jour, j'ai reçu un mail de Villa Eugénie, la société de production de Van Noten, me demandant si je voulais créer un tapis pour son défilé de mode", explique l'artiste depuis son atelier de Buenos Aires. "Je ne suis pas une spécialiste de la mode, mais j'avais déjà entendu parler de Dries Van Noten. J'ai l'ai donc "googlé" pour voir son travail." Comment un créateur de mode belge en arrive-t-il à faire appel à une artiste argentine qui crée des tapis avec des restes de laine? "Je me suis posée la question et je me la pose encore. Est-ce le hasard? Non, probablement pas. Je ne pense pas que beaucoup de gens font le même genre de choses que moi."

Vingt jours
Alexandra Kehayoglou n'a pas eu le temps de se poser des questions, vu qu'elle a reçu le mail à peine un mois avant le défilé. "Si l'on compte dix jours pour le transport vers Paris, il me restait vingt jours pour réaliser un tapis qui devait mesurer 48 mètres de long!" Finalement, l'Argentine et son équipe de cinq assistants sont parvenus à relever le défi. "C'était de la folie. Des amis sont même venus nous aider. Nous avons travaillé jour et nuit."

Mes tapis sont des témoignages de la vie humaine. C'est pourquoi vous devez pouvoir les sentir, même si je préfère que l'on évite de marcher dessus avec des chaussures.
Alexandra Kehayoglou

Le tapis a été expédié à Paris conditionné en quatre rouleaux géants. L'artiste était présente pour réceptionner le colis et assembler les quatre parties. Elle a suivi le défilé des coulisses. "C'était incroyable et je ne parle pas que de mon tapis. L'organisation, le défilé, l'ambiance, les vêtements de Dries Van Noten, la musique. C'était tout simplement magnifique."

Ce qui lui arrive est absolument extraordinaire, alors qu'il y a six ans elle travaillait encore dans l'entreprise familiale. Le géant du tapis en Argentine, El Espartano, n'était pas son premier choix après ses études en peinture et mixed media. "J'ai découvert que je "sentais" les matériaux et que je pouvais en faire de l'art." C'est ainsi qu'elle a commencé à tisser des tapis avec des restes de tissu et de laine. "J'étais enceinte et je pensais souvent à ma grand-mère qui venait d'une famille de tisserands avant de fuir la Grèce. Je me suis dit que créer des tapis était inscrit dans mes gènes."

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Pour réaliser ses tapis, Kehayoglou utilise des restes de tissu et de laine. "Pourquoi devrais-je acheter de nouveaux tissus, alors que, dans l'usine de mes parents, il n'y a qu'à se baisser pour en ramasser? C'est aussi écologique."
©Studio Alexandra Kehayoglou

Pistolets à tissu
Les tapis de Kehayoglou se déroulent sur plusieurs mètres. Ils évoquent la pampa, les jardins argentins, les plages de son passé. Ils grimpent parfois aux murs. C'est d'ailleurs cette technique que la créatrice utilise: après avoir projeté sur une toile verticale les formes qu'elle a conçues sur ordinateur, elle tire avec un pistolet des brins de vert, turquoise et beige. Ensuite, elle élague et coupe les brins de différentes tailles. "C'est à la fois un travail très mécanique et très manuel", explique-t-elle. "Travailler des heures sur ce genre de tapis relève de l'art de la performance."

Performance ou pas, on retrouve ses oeuvres dans des salons. "Mes tapis sont des témoignages de la vie humaine. C'est pour ça qu'il faut pouvoir les toucher et même marcher dessus." Cela n'est pas toujours possible dans les musées et les foires de design de Buenos Aires et Madrid où elle expose ses réalisations. "Dans ce cas, il s'agit plutôt d'installations", concède-t-elle. "Quoi qu'il en soit, je préfère que l'on évite de marcher sur mes tapis avec des chaussures."

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Les mannequins assis sur le tapis de Kehayoglou durant pour la finale du défilé de Dries Van Noten (Spring Summer 2015) à Paris en septembre dernier.
©Getty Images

25.000 followers
Le tapis sur lequel les nymphes de Dries Van Noten se sont promenées ne lui appartient plus. Le créateur belge compte le réutiliser pour d'autres événements. La conceptrice refuse de dévoiler à quel prix elle l'a cédé. "Je ne m'occupe pas personnellement de cela. Nous avons une personne au bureau qui est chargée du volet financier."

Kehayoglou est aujourd'hui une artiste très occupée. Depuis que ses tapis sont exposés dans les vitrines de Dries van Noten, à Anvers, ses fans se multiplient -du photographe Mario Testino aux 25.000 followers qui suivent son compte Instagram, sans oublier les journalistes qui lui demandent des interviews. Elle a également réalisé un tapis pour une installation de l'artiste Olafur Eliasson, à voir en avril à l'Universität der Künste de Berlin.

Bien qu'elle puisse s'offrir les tissus les plus luxueux, l'artiste continue à utiliser les restes de tissu et de laine. C'est même parti pris. "Pourquoi devrais-je acheter des nouveaux tissus alors qu'il suffit de se baisser pour en ramasser? En plus, c'est écologique. Sans exagérer, on pourrait aller jusqu'à dire que je collecte gratuitement les déchets pour l'entreprise."

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