"Mes clients sont souvent des mâles dominants un peu arrogants"

Dominique Vindevogel aka 'flying tailor' sillonne le monde de Londres à New York, en passant par Istanbul et Miami, pour habiller princes, diamantaires et hommes d'affaires. Rencontre avec l'homme qui a contribué à vendre les premiers shampooings d'Omega Pharma et qui figure sur la speed-dial de Vincent Van Quickenborne. "Je suis le guérillero du monde des costumes."

Certaines personnes sont impossibles à décrire: leurs citations sont plus éloquentes. Dominique Vindevogel fait partie de ces personnes. "J'ai fait les 20 premiers millions de francs d'Omega Pharma." Ou: "Je buvais du Château Cheval Blanc à cinq ans". Le CEO de Butch Tailors a certes son franc parler. Nous le rencontrons au Park Hyatt d'Istanbul où il a loué une suite pour une demi-journée. L'occasion de remettre les pendules à l'heure: "Le Cheval Blanc, c'était lors d'une dégustation: mes parents m'ont appris à apprécier les bonnes choses." Et ces premiers millions d'Omega Pharma, c'était avec son frère, Yvan Vindevogel, le fondateur d'Omega Pharma qui avait fait appel à Mark Coucke, qui a repris l'entreprise en 1994 pour quelque 2,5 millions d'euros. "J'ai aidé mon frère à vendre des shampooings", explique Dominique Vindevogel. "Je partais le matin dans une vieille Renault tellement chargée que l'arrière touchait le sol. Mais le soir, elle était vide. C'était très rock 'n' roll. Par la même occasion, je vendais des vêtements. Histoire de faire d'une pierre deux coups."

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©Lieven Dierckx

Tissus légers
Bien qu'il ait, comme son père, étudié l'optométrie, vendre des vêtements est une constante dans la vie de Dominique Vindevogel. Lorsqu'il était étudiant, il vendait déjà des vêtements Armani, Versace et Trussardi dans son kot à Bruxelles. "Je suis un vendeur né", déclare-t-il en souriant. "Avec le peu d'argent que j'avais, je prenais l'avion pour Milan et j'achetais des vêtements pour homme et femme que je revendais ensuite avec 20% de bénéfice." À cette époque, en tant que vendeur indépendant, il écoulait déjà des vêtements Butch Tailors, le label dont il est aujourd'hui le CEO. "Butch a été fondé par la famille bruxelloise Daman en 1956 et était la référence en matière de vêtements en Belgique", explique Vindevogel. À son apogée, la marque comptait dix boutiques dans notre pays. Mais, en 1970, elle a fait faillite et a été rachetée par une société flamande avant de céder, au milieu des années 90, le nom et le logo à Vindevogel.

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Aujourd'hui, dans la suite du huitième étage, il n'ose plus travailler sans filet. "Nous faisons des costumes sur mesure qui ne sont pas entièrement bespoke: le patron de base peut être personnalisé de 700 façons différentes", explique-t-il en prenant les mesures d'un joaillier stambouliote qui préfère garder l'anonymat. Vindevogel, lui-même vêtu d'un costume bleu sombre qui contraste avec ses cheveux argent et ses mocassins Tod's en cuir noir, passe le mètre ruban autour de la taille de l'homme. Il approuve: "Bonne forme, good sport." Il déploie le dossier des échantillons de tissus. "Ce sont ceux que préfère la famille royale du Maroc. Vu le climat, ils aiment ce qui est léger."

Ensemble, ils choisissent le costume, le tissu, la doublure et les boutons; son assistant, Genghis, a du mal à suivre. Après la prise de mesures, qui a duré une demi-heure à peine, l'homme se prépare à se rhabiller. "Que diriez-vous d'une chemise de smoking assortie? Le noir vous irait à merveille." Le joaillier accepte sans hésiter la suggestion amicale.

Les clients de Vindevogel ont beaucoup d'argent, mais peu de temps. Même par un étouffant samedi comme aujourd'hui. Chacun salue brièvement le client suivant, Osman Aksoy, de la grande famille turque Aksoy. "Nice to see you", accueille Vindevogel. "How is your family?" Avant même que l'homme n'ait le temps de marmonner "Good", Vindevogel a passé le mètre-ruban autour de ses épaules. Business as usual. "De quoi avez-vous besoin? De vestons noirs? Ce tissu? Combien? Genghis, vous notez?"

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©Lieven Dierckx

En 45 minutes à peine, l'homme passe commande de 15 chemises, 11 costumes, 5 vestons et un short. "Un costume sur mesure coûte entre 800 et 2.000 euros, à partir de 1.450 euros pour un costume fait main. Faites le calcul!", sourit Vindevogel une fois que son client est parti. "Il faut aller vite, parce que cet homme n'a pas que cela à faire. C'est stressant, car on ne peut se permettre de commettre la moindre erreur."

Après cette prise de mesures ultra rapide, Genghis, son assistant à Istanbul, envoie une offre. Les costumes fait main sont réalisés en Italie, à Milan et dans les Pouilles., tandis que pour les commandes d'entreprises, Vindevogel se tourne vers une production à Istanbul et dans le sud-est de la Turquie.

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Mâles dominants
Monsieur Aksoy -Mister Osman pour les intimes- devra patienter quatre semaines avant d'étrenner sa nouvelle garde-robe. "Vous savez, une relation de confiance, ça ne se crée pas comme ça", souligne Vindevogel en se mettant à ranger ses échantillons de tissus Butch, Loro Piana, Zegna et Holland & Sherry. Il loue la suite du Park Hyatt à l'heure et le service de nettoyage est déjà prêt. "Ils commencent par me tester en me passant une seule commande. Puis ils me confient toute leur garde-robe."

Il a rencontré le diamantaire Kaushik of Ashit Mehta à Knokke. C'était un ancien client de Butch Tailors. Trois jours plus tard, le Belge s'envolait pour Mumbai avec une valise pleine d'échantillons de tissus. La famille indienne lui a commandé pas moins de 200 costumes sur mesure pour un mariage. À New York, il a échangé sa carte de visite avec un styliste. Et peu après, il prenait l'avion pour le Maroc pour prendre les mesures d'un membre de la famille royale. Il aurait pu toutefois envoyer l'un de ses agents: au Mexique, à New York, à Istanbul et en Inde, Vindevogel collabore avec des personnes qui travaillent en tant que partenaires ou sous licence pour Butch Tailors. Mais les clients préfèrent avoir affaire avec le patron en personne. "Il leur arrive souvent de m'appeler et vous devez vous mettre au diapason", explique Vindevogel. "Ce sont souvent des mâles dominants un peu arrogants. Ils n'hésitent pas à m'imposer leurs quatre volontés." Il se souvient que le président du groupe Dogus lui a envoyé un mail de son hélicoptère pour prendre rendez-vous. "Il attendait une réponse dans les 15 minutes. Pour ces gens, le bon vieux dicton time is money est à prendre au pied de la lettre."

Pour Vindevogel, ce n'est pas le temps qui est de l'argent, mais le networking. "Je suis tout le temps à la recherche de nouveaux clients", explique t-il. "Des CEO de groupes hôteliers aux rencontres fortuites, en passant par les réunions, le networking représente une part essentielle de mon métier. Je songe même à le commercialiser et à donner une commission à ceux qui m'amènent des clients. En fait, j'achète des carnets d'adresses. Mon entreprise dépend entièrement des nouveaux clients."

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Agenda de ministre
Vindevogel a sa manière de rester petit et d'être rentable: la diversification. Butch Tailors mise sur tous les segments du marché. Ainsi, la marque possède en Belgique six boutiques proposant ses propres collections (deux à Courtrai, deux à Knokke, une à Nieuport et une à Roulers) - également vendues dans une dizaine de boutiques multimarques. Vindevogel crée tous les vêtements et accessoires pour homme alors que son épouse, Isabelle Adriaenssens, se charge de la mode femme. "Les clients belges viennent dans notre boutique de Knokke", explique Vindevogel. "Geert Bourgeois, Alexander De Croo et Vincent Van Quickenborne en font partie." C'est vrai qu'ils sont en général bien sapés.

Le B2B, c'est aussi une corde à l'arc de Butch Tailors avec de grosses commandes pour le personnel d'entreprises -Renault, Jaguar, Vanden Avenne, Lebeau-Courally, KBC, le groupe hôtelier Kempinski. Il fait aussi les vestes pour l'équipe d'accueil de The Brunch au restaurant anversois The Jane. Il s'agit souvent de grosses commandes, 100 à 200 pièces. "On appelle ça la corporate identity. L'étape suivante est le CEO."

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Parfois, ça fonctionne aussi dans l'autre sens. Hier, il était en réunion avec le vice-président du groupe Hyatt à Istanbul. "Il a d'abord commandé un costume chez moi. Je recevrai peut-être une commande pour l'ensemble du groupe dans un deuxième temps." Mieux encore, tout un business plan est basé là-dessus. "Ces commandes importantes rapportent bien, surtout parce qu'il s'agit d'un seul groupe de tissu, que l'on peut donc acheter à meilleur prix. Souvent, l'hôtel me présente de nouveaux clients. Pour moi, c'est du win-win."

Malgré cet agenda de ministre, Vindevogel trouve encore le temps de concevoir des collections pour des marques étrangères. "Nous assurons la totalité de l'investissement: acheter le tissu, produire les vêtements et les leur vendre sans l'étiquette Butch Tailors. On appelle ça un 'private label'. Mais comme c'est anonyme, je ne peux pas vous citer de noms." Un anonymat qui ne le dérange pas. Il semblerait qu'il ne se considère absolument pas comme un créateur. "Plutôt comme un technicien", acquiesce-t-il. "Même si j'ai mon propre style. Par exemple, je fais les épaules et les manches ajustées. Il m'arrive d'aller à contre-courant: par exemple, j'aime les revers plus larges, alors que les étroits sont plus à la mode. Disons que je suis le guérillero du monde des costumes."

Global nomade
Un guérillero peut-être, mais un guérillero très avisé. Boutiques, demi-mesure, commandes pour de grands groupes, 'private labels' etc, Vindevogel génère suffisamment de volume pour acheter du tissu en grande quantité, et donc, à bon prix. Ce qui fait sa fierté: "En réalité, je fais tout ça parce que ça me permet de voyager", ajoute-t-il, une lueur de plaisir dans les yeux. "Après deux semaines passées en Belgique, je deviens fou."

Vindevogel vit une semaine par mois à Istanbul -où il a un showroom pour les distributeurs en plus d'y faire produire un grand nombre de vêtements. L'an dernier, il s'est également envolé pour Londres (son fils travaille sur Savile Row, la rue des costumes sur mesure par excellence), Milan, Mexico, New York et Miami. "À Miami, nous avons un cercle d'amis composé de gens qui, comme nous, voyagent beaucoup. Ce que l'on appelle des global nomads." Et d'un large geste il me montre la terrasse où le beau monde d'Istanbul papote un drink à la main. "Regardez où nous sommes: c'est fantastique, non? Combiner voyages et travail, c'est top."

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Une affaire de famille
Vindevogel n'est pas seul: sans son épouse, l'affaire ne tournerait pas aussi rond, laisse-t-il échapper à plusieurs reprises. Elle a étudié la communication, mais a préféré suivre son mari dans ses rêves de mode. Aujourd'hui, elle est responsable de l'exploitation générale de l'entreprise, de la communication, des boutiques et des collections femme. "Isabelle prend en charge des lourdes responsabilités. She's the brains. Je ne sais même pas combien gagne mes collaborateurs, c'est Isabelle qui s'occupe des contrats."

Une autre personne super importante dans sa vie est son frère Yvan, avec lequel il a tout partagé jusqu'à 13 ans. "Notre lien fraternel est extrêmement fort. Il est le grand frère qui m'encourage, qui me critique dans le bon sens du terme. C'est lui le véritable homme d'affaires; moi, je suis l'épicier." Son frère et lui ont grandi parmi les mannequins. "Ma mère avait deux boutiques à Courtrai. À la maison, nous avions la belle vie. Deux nounous, des chevaux de jumping, etc. " Il soupire. "Elle était la meilleure commerçante du monde. Elle aurait pour ainsi dire vendu son bikini sur la plage. Et pourtant, elle a ruiné l'affaire." Les enseignes ont fait faillite. Et des années de travail acharné ont suivi. "Depuis lors, je sais ce que je peux faire ou ne pas faire. J'ai les deux pieds sur terre."

Armani belge
Cette histoire familiale l'a profondément influencé. "Voilà pourquoi je ne prends jamais une décision à la légère", explique-t-il. "Je ne prendrai jamais de risques inconsidérés. Croyez-moi: ne pensez jamais que c'est du tout cuit."

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Il refuse de dire combien il gagne exactement. De même, les marges bénéficiaires ne sont pas à l'ordre du jour. "Disons qu'avec un petit pourcentage, je peux profiter de la vie", déclare-t-il. "Je ne fais pas ça pour l'argent, mais pour être en mesure de faire ce que j'aime en toute liberté: voyager, rencontrer des gens intéressants et voir de beaux endroits."

Pourtant, c'est un homme ambitieux. Quand nous lui demandons où en sera Butch Tailors dans quelques années, il répond sans hésiter: "Nous devons devenir l'Armani de Belgique. Non, d'Europe!" Il a un sourire désarmant. "Pas le plus grand, mais le meilleur. A little arrogance never killed anybody."

Love him or hate him. Chez Dominique Vindevogel, c'est tout ou rien. Par exemple, il y a 20 ans, il fumait deux paquets de cigarettes par jour, jusqu'à ce qu'il arrête, du jour au lendemain. Et quand, à l'âge de 20 ans, après un grave accident, il a dû renoncer à son projet de devenir jockey professionnel, il a tourné la page sans hésiter. "Je me suis dirigé vers quelque chose de radicalement différent. Tout ce qu'on fait dans la vie, il faut le faire à fond. Travailler, mais aussi faire la fête. Et aimer."

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