Il a bricolé sa première voiture de course avec les roues d’une poussette et une cagette de fruits. Aujourd’hui, Christian Horner dirige Red Bull Racing, une des écuries de Formule 1 les plus performantes. "J’ai hâte que cette quatorzième saison commence!"
Ce que l’on apprend au berceau reste jusqu’au tombeau. Christian Horner avait onze ans quand il a réalisé son premier projet dans le sport automobile, beaucoup plus modeste que Red Bull Racing, qu’il dirige aujourd’hui. Son budget était égal à zéro et l’écurie ne comptait qu’une personne, lui-même. Le circuit où il allait faire les essais n’était pas vraiment un circuit non plus, juste une grande colline derrière la maison de ses parents, dans le Warwickshire, un comté des West Midlands, au Royaume-Uni.
Il avait construit sa voiture avec les moyens du bord: "J’avais bricolé une sorte de go-kart avec les roues d’une poussette trouvées dans une décharge. Pour le siège, j’avais utilisé une cagette pour les fruits et, pour la conduite, j’utilisais une corde", explique-t-il. "J’étais fasciné par la vitesse."
Fusée sur roues
À 44 ans, Christian Horner tente toujours d’être le plus rapide sur circuit, mais à un autre niveau: il dirige Red Bull Racing, une des meilleures écuries en Formule 1. Le Britannique est à la tête d’une équipe composée de 800 personnes avec une trentaine de fonctions: ingénieurs, techniciens, designers, mécaniciens, cuisiniers, directeurs commerciaux, chauffeurs de camion et, surtout, deux pilotes.
Le go-kart de la colline derrière le jardin a bien évolué: il est devenu une machine fuselée en fibre de carbone et métal au prix exorbitant, embarquant la technologie la plus avancée. Une fusée sur roues qui grimpe à 360 kilomètres à l’heure et dont le prix s’exprime en millions d’euros. Oui, il joue encore aux petites voitures, mais les enjeux sont différents: son travail consiste à gagner des courses avec les F1 de Red Bull. Un exercice qu’il maîtrise à la perfection.
Quand son écurie fait ses débuts dans la catégorie reine du sport automobile, en 2005, il est le plus jeune directeur d’écurie de l’histoire de la Formule 1. Treize ans plus tard, il est une des personnalités les plus reconnues et respectées des paddocks. Les observateurs estiment qu’avec ce qu’il a accompli, il mérite une place à côté de noms comme Enzo Ferrari, Sir Frank Williams ou Alfred Neubauer de Mercedes.
L’écurie de Horner a dépassé toutes les attentes. Lorsque son team est arrivé en Formule 1, la génération précédente l’a qualifiée de bande de fêtards. Treize saisons et 244 grands prix plus tard, la moisson des fêtards est impressionnante: 55 victoires, près de 4.000 points au championnat du monde, quadruple champion du monde chez les pilotes avec Sebastian Vettel et quatre titres de champion du monde des constructeurs.
Superstitieux
Nous rencontrons Christian Horner près de Milton Keynes, où est basé le Team Red Bull Racing. C’est ici que, fidèle à la tradition, il passe son temps lorsque le grand cirque de la Formule 1 est au repos. Cela signifie qu’il doit faire la navette depuis l’Oxfordshire, où il vit avec celle qui est son épouse depuis deux ans, Geri Halliwell, ex Spice Girl. Le site de Red Bull est impressionnant. Il compte six bâtiments, un ‘hall of fame’ pour les voitures des saisons passées et des laboratoires où seule la technologie de pointe a droit de cité.
Il arrive habituellement à 9h. Et ce matin ne fait pas exception. La journée commence par un débriefing de la saison précédente, avec ses collaborateurs. "Notre voiture était plus rapide, mais nous ne sommes pas arrivés assez près de la voiture qui nous précédait et nous n’avons pas pu la dépasser", déclare-t-il. "C’est l’histoire de la saison dernière", ajoute-t-il comme si cela le laissait indifférent. "Je suis un peu superstitieux. C’était notre treizième voiture dans l’histoire de l’écurie. En 2017, nous avons été treize fois sur le podium et nous en sommes tombés treize fois. J’ai hâte que notre quatorzième saison commence!"
Cette quatorzième saison débute ainsi ce 25 mars par le Grand Prix d’Australie, qui sera disputé sur le circuit d’Albert Park. Pendant l’interview, il est attentif, parle lentement, sur un ton doux et rassurant. Le directeur de l’écurie est plutôt petit, sans être menu. Il est élégant: chemise blanche, pull sable et veste cintrée. Ici, c’est lui le boss. Il nous parle de tout ce qui concerne de près ou de loin Red Bull Racing. Lorsqu’il nous emmène en visite guidée, nous sommes impressionnés de constater qu’il connaît le nom de chaque collaborateur, sa fonction ou ce qu’il est en train de faire.
En retour, chacun semble l’apprécier. "C’est un métier qui n’a rien à voir avec celui d’entraîneur ou de manager dans un club de football." "Diriger l’écurie pendant un week-end de Grand Prix, ce n’est qu’un aspect du job. Il faut s’entourer des bonnes personnes, car il y a beaucoup à faire. Croyez-moi, il n’y a pas de meilleur sport d’écurie que la Formule 1. Je dois faire en sorte que 800 regards se portent dans la même direction, car le résultat de cet effort collectif, c’est une voiture de course pour gagner le Grand Prix. Mon travail consiste en grande partie à éliminer les obstacles. Quand je suis ici, j’ai l’impression d’être dans la salle d’attente d’un médecin. Tout le monde passe. Par contre, sur le circuit, lors d’un week-end de Grand Prix, chacun a un rôle clairement défini. L’écurie fonctionne alors avec un commandement presque militaire."
Couple de célébrités
Christian Horner assiste à tous les Grands Prix. Ajoutez à cela des journées d’essais et ses nombreuses autres obligations, comme les événements des sponsors, et le voilà parti plus de 25 week-ends par an. Quand il était jeune, ce n’était rien, mais, aujourd’hui, il a trois enfants. "Ce job vous oblige à passer d’interminables heures en avion. Et quand vous êtes chez vous, il faut être disponible pour sa famille, profiter de chaque minute. Mon épouse m’accompagne quatre ou cinq fois par an sur circuit, parfois avec les enfants. Mais elle a aussi ses obligations professionnelles."
En 2014, la relation entre Christian Horner et Geri Halliwell a fait la une des tabloïds, du jour au lendemain. Mais en réalité, ils se connaissaient depuis plus longtemps. "Fait étonnant, nous nous sommes rencontrés à un Grand Prix en 2010", précise Horner. "À l’époque, nous étions tous les deux en couple. Quand vous épousez une des femmes les plus célèbres d’Angleterre, votre nom passe des pages sportives à la section people. Ce n’était pas une expérience agréable, mais on ne peut pas y échapper: ça fait partie de la façon dont on a conçu sa vie", ajoute-t-il.
"Geri est habituée, cela ne la touche pas parce qu’elle est sous les projecteurs depuis 25 ans." En janvier dernier, ils ont eu un fils. Christian avait déjà une fille de quatre ans et Geri, une fille de onze ans, Bluebell. Ils vivent tous les cinq dans ce que Horner décrit comme un chaos total composé de deux Airedale terriers, deux West Highland terriers, un poulailler, des ânes et bien plus encore.
Entre les saisons, s’il n’y a pas de Grand Prix au programme, la famille est prioritaire. "C’est fantastique de passer un week-end en famille. La Formule 1, ce n’est pas la vraie vie. Après un Grand Prix, il faut à chaque fois recharger ses batteries."
Bernie Ecclestone
Pour revenir à la F1, Christian Horner n’a pas toujours voulu autant de responsabilités. Dès l’âge de douze ans, lorsque son go-kart est remplacé par un vrai kart de course d’occasion, il ne rêve que d’une chose: devenir pilote. Son père Garry, homme d’affaires, est passionné de sport automobile et adore emmener son fils faire le tour des circuits du pays. À dix-huit ans, le hobby devient une sorte de métier: Horner est plutôt doué au volant. Il gagne une formation en Formule Renault, bat beaucoup de jeunes talents et réussit un test avec Lotus F1. À 25 ans, il réalise qu’il a atteint ses limites et ne pourra peut-être pas passer au niveau supérieur. Il met alors un terme à sa carrière de pilote. "Il faut toujours être honnête avec soi-même. J’ai couru dans ce qui à l’époque était la Formule 3000, le championnat juste en dessous de la Formule 1, contre des gars qui allaient réussir plus tard en Formule 1. Je pense à des pilotes comme Juan Pablo Montoya ou Nick Heidfeld. C’est là que je me suis rendu compte qu’ils étaient faits d’un autre bois que moi."
Un an plus tôt, Christian Horner et son père avaient fondé leur écurie de Formule 3000, Arden International -que Garry dirige toujours. Il allait devenir team manager, formé non à l’université, mais par la vie.
Après une saison ou deux, l’écurie engrange des victoires et d’autres propriétaires d’écuries lui demandent s’il ne voudrait pas devenir le porte-parole du championnat de Formule 3000. Une fonction dans laquelle il aurait négocié directement avec Bernie Ecclestone, qui était encore le patron de la Formule 1 et de championnats comme la Formule 3000. "Je pense qu’Ecclestone a vite compris que j’étais passionné et ambitieux", se souvient Horner. "Et, un beau jour, il m’a demandé pourquoi je ne ferais pas quelque chose dans la Formule 1."
Combinaison gagnante
Ecclestone lui propose différentes options, jusqu’à ce qu’il entre en contact avec Dietrich Mateschitz, milliardaire autrichien et cofondateur de la boisson énergisante Red Bull. Mateschitz avait repris l’écurie de Formule 1 de Jaguar, y compris l’infrastructure de Milton Keynes. Et il demande à Horner de la diriger. "Quand je suis arrivé ici, ils avaient déjà usé plusieurs managers", se souvient le Britannique. "Dans l’après-midi, j’ai été présenté au personnel, qui s’est sans doute demandé qui était ce blanc-bec: convaincre demande de la patience."
Au cours de sa première année chez Red Bull, Horner engage à tour de bras les meilleurs ingénieurs et les meilleurs stratèges. Lentement mais sûrement, l’écurie de Red Bull rassemble le haut du panier, comme le designer automobile Adrian Newey, débauché du concurrent McLaren et considéré comme le meilleur ingénieur de Formule 1. On chuchote qu’il aurait signé un contrat avec Red Bull pour environ 8 millions d’euros par an.
Quand vous épousez une des femmes les plus célèbres d’Angleterre, votre nom passe des pages sportives à la section people. On ne peut pas y échapper.Christian Horner
De 2010 à 2013, la combinaison Horner, Newey, Sebastian Vettel et Red Bull est imbattable au point que la Formule 1 est accusée d’être un sport ennuyeux et prévisible. Durant cette période, Sebastian Vettel et son coéquipier Mark Webber remportent plus de courses que tous leurs adversaires réunis.
Aujourd’hui, Red Bull ne domine plus la Formule 1. Depuis 2014, c’est Mercedes et surtout, Lewis Hamilton, qui a remporté trois titres mondiaux au cours des quatre dernières saisons, qui lui ont ravi ce titre.
Red Bull n’a pas démérité lors des essais d’hiver préalables à la saison 2018. Les experts supposent que Max Verstappen et Daniel Ricciardo seront également sur le podium cette année. Et si Mercedes et Lewis Hamilton devaient avoir un coup de mou pendant le championnat, les pilotes de Red Bull pourraient même gagner des courses.
"Lewis ne laisse personne indifférent", estime Horner. "On l’aime ou on ne l’aime pas, mais c’est un pilote fantastique, ça ne fait aucun doute. Il est sans aucun doute le plus grand nom de la Formule 1."
Prochaine superstar
Si Mercedes a Hamilton, Red Bull a Max Verstappen, un nouveau venu belgo-néerlandais de grand talent malgré ses 20 ans. Horner est convaincu qu’avec Verstappen, il a dans son écurie la prochaine superstar de la Formule 1. "Il peut devenir un très grand. Et il trouve ça parfaitement normal."
Après douze ans de Formule 1, le Britannique n’est plus si impressionné par le glamour et les paillettes, mais il aime ce qu’il fait et voit avec plaisir la Formule 1 évoluer positivement grâce aux nouveaux propriétaires de la F1, Liberty Media, dont l’objectif est de renforcer la facette “divertissement” de ce sport.
"La Formule 1 se trouve à un carrefour: soit on choisit de miser sur la technologie, soit on met l’accent sur l’homme et la machine, poussés à l’extrême. Liberty Media semble vouloir opter pour la deuxième option", explique Horner, qui s’amuse toujours autant que le petit garçon de onze ans dans son go-kart sur la colline. "Du moins, je l’espère. La Formule 1, ça doit être une vraie course, un duel au volant, avec des héros qui défient la vitesse et des pilotes comme des gladiateurs du XXIème siècle. C’est ça qui est excitant." Rendez-vous le 25 mars sur le circuit de Melbourne!