La campagne des élections communales s'est cristallisée autour du thème de la sécurité, mis en avant par nombre de candidats. Les chiffres de la délinquance baissent dans la majeure partie du pays, mais le sentiment d'insécurité, lui, prospère.
Par Julien Balboni et Nicolas Baudoux Développement: Benjamin Verboogen Publié le 7 septembre 2024C'est désormais la grande priorité. Qu'ils soient tête de liste Ecolo à Anderlecht, leader socialiste à Seraing ou figure de proue MR à Bruxelles, bien des candidats aux élections communales n'ont plus qu'un mot à la bouche: sécurité. La thématique, poussée par l'augmentation du sentiment d'insécurité, est passée au premier plan des préoccupations des Belges.
Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, candidat-bourgmestre de la commune de Mons, ne s'y est pas trompé en frappant avec insistance sur le clou de la sécurité dans sa campagne. Son opposant, le bourgmestre socialiste Nicolas Martin, a répondu en évoquant l'évolution des chiffres de la délinquance à Mons, basée sur les statistiques de la police fédérale. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que ces chiffres semblent plutôt bons. Le nombre des cambriolages a diminué de 70% en 10 ans sur le territoire de la commune. Pendant le même laps de temps, les dégradations de la propriété ont chuté de 55%, les vols et extorsions de 60%, les infractions contre l'intégrité physique de 7%. Ces diminutions sont, en proportion, les plus fortes de Belgique francophone pour les villes de taille importante.
"Les statistiques ne sont pas forcément fiables, on peut leur faire dire ce que l'on veut et elles ne correspondent pas au ressenti des policiers sur le terrain." Candidate-bourgmestre à Tournai (MR)
Mais que penser de ces chiffres bruts? La candidate-bourgmestre de Tournai, Marie-Christine Marghem (MR), particulièrement intéressée par les matières de police et de justice, assure, dans un entretien à L'Echo au sujet de la délinquance dans sa commune, que "les statistiques ne sont pas forcément fiables, que l'on peut leur faire dire ce que l'on veut et qu'elles ne correspondent pas au ressenti des policiers sur le terrain".
Bref, on n'est guère plus avancé. Alors comment objectiver le niveau réel de la délinquance dans les communes? L'Echo a décidé de travailler sur la base du nombre de délits enregistrés par les services de police et compilés par la police fédérale, et de les rapporter, commune par commune, en rapport avec la population. Ce qui donne un bel indicateur sur le travail de la police et la politique pénale. Mais qui a ses limites.
"Ces statistiques reflètent la délinquance enregistrée dans une démarche de plainte de victimes. Il y a donc un chiffre noir. Par exemple, les faits de mœurs ont fait l'objet d'un coup de projecteur médiatique ces dernières années et le nombre de plaintes a augmenté, du fait de l'amélioration de l'écoute des victimes dans la justice et la police. Cela veut-il dire qu'il y a plus de faits qu'auparavant? Non", résume Christian De Valkeneer, premier président du tribunal de première instance de Namur et professeur à l'UCLouvain, "Pour autant, ces chiffres sont un échantillon qui permet de déterminer des phénomènes."
"Il y a une baisse continue des homicides depuis les années 90, d'environ 50%. Les autres types de violence – extorsion, coups et blessures... – n'ont pas diminué." Chercheur à l'Institut national de criminalistique et de criminologie
Quels sont-ils, ces phénomènes? Il y a deux grandes tendances. D'abord, la chute des infractions contre les biens partout dans le pays, dans des mesures variées. En 10 ans, les vols et extorsions ont chuté de 44% à Charleroi, de 48% à Tournai, de 33% à Anvers, de 18% à Liège. "L'explication est multifactorielle. L'amélioration des technologies de protection des biens les rend moins attractifs pour les voleurs. Par ailleurs, beaucoup de délinquants se sont dirigés vers la cybercriminalité et les stupéfiants. Si l'on peut grossièrement le résumer, les voleurs sont devenus des dealers, car vendre de la drogue est plus rémunérateur et moins risqué que le vol", pointe Christian De Valkeneer.
L'autre tendance, plus inquiétante, est la stabilisation, voire l'augmentation dans certains lieux des violences contre les personnes, toujours selon les statistiques policières. Ainsi, en Région bruxelloise, on observe, en 10 ans, une hausse de 9% des infractions contre l'intégrité physique.
Pour Dieter Burssens, chercheur à l'Institut national de criminalistique et de criminologie, "il y a une baisse continue des homicides depuis les années 90, d'environ 50%. Les autres types de violence – extorsion, coups et blessures... – n'ont pas diminué. La criminalité informatique est en croissance et il y a des indications prouvant que les délits liés aux stupéfiants sont en augmentation", analyse-t-il, se basant sur une multitude de données croisées, préférant ne pas se limiter aux chiffres de la police.
"La séquence du covid et des travaux du tram a fait que l'on a un peu perdu le contrôle de la rue." Procureur du Roi de Liège
Si l'on zoome un peu sur les principales villes de Belgique francophones, le tableau est disparate. À Liège, les chiffres ne sont pas excellents. Selon les statistiques de la police, la cité ardente est la 3ᵉ commune la plus criminogène du pays, derrière Saint-Gilles et Bruxelles, avec 2.038 délits enregistrés/10.000 habitants, en 2023. En matière de dégradation de propriété, la ville est en 4ᵉ position, et 5ᵉ pour les vols et extorsions. Quant au nombre total de délits par année, ceux-ci diminuent légèrement (-8% en 10 ans), dans des proportions comparables à celles de Bruxelles (-7,1%), mais bien loin d'autres grandes agglomérations wallonnes (-31% à Mons, toujours le bon élève, -15% à Tournai, -21% à Charleroi).
Le nouveau procureur du Roi de Liège, Damien Leboutte, ne se voile pas la face. "On peut reconnaître qu'il y a une grosse criminalité à Liège, même si ça ne fait pas plaisir au bourgmestre. La séquence du covid et des travaux du tram a fait que l'on a un peu perdu le contrôle de la rue. Il y a eu moins de gens dans le centre-ville, moins de police et plus de délinquance. Cela manque de bleu dans les rues. Les délinquants doivent se sentir en danger face à la réaction pénale et policière. Le scrutin du 13 octobre va peut-être changer des choses", lance-t-il, de manière assez directe.
À Charleroi, le procureur du Roi ne joue pas non plus les étonnés. "Le Hainaut est une région en difficulté, avec une population assez paupérisée. La situation économique a un impact sur le niveau de délinquance", observe Vincent Fiasse, qui entame son second mandat de cinq ans à la tête du parquet de Charleroi.
Selon les statistiques policières, la cité hennuyère est la troisième grande ville belge la plus criminogène, derrière Bruxelles et Liège. Mais les chiffres diminuent. Pour les vols et extorsions, -44% en 10 ans. Pour les dégradations de propriété, -34%. Les infractions contre l'intégrité physique restent stable (-2%) et à haut niveau: Charleroi est à la quatrième place de ce classement.
"Si les partis politiques francophones s’y intéressent de plus en plus, c'est que ce sentiment d’insécurité est une réalité." Haut magistrat et enseignant à l'UCLouvain
C'est à Bruxelles que la situation semble le plus déraper, avec quatre communes (Saint-Gilles, Bruxelles-ville, Saint-Josse-ten-Noode et Ixelles) qui figurent dans le "top 5" des communes comptant le plus de délits enregistrés par habitant. Les soucis bruxellois sont bien connus: un manque de policiers dans la zone Midi, un sous-effectif et des problèmes de gouvernance au parquet de Bruxelles – ce dernier n'a pas répondu à nos sollicitations – et, surtout, l'essor dramatique du trafic de stupéfiants amenant son lot de violence. Mais les disparités sont fortes au sein de la Région-capitale, avec des chiffres de la délinquance trois ou quatre fois moins importants dans des communes plutôt huppées comme Woluwe-Saint-Pierre ou Woluwe-Saint-Lambert
L'analyse du Moniteur de sécurité, série statistique issu du recueil de dizaines de milliers de témoignages de victimes, permet également de construire une carte de Belgique du sentiment d'insécurité. "Cette carte montre que ce sentiment d'insécurité est bien plus fort à Bruxelles et en Wallonie qu'en Flandre. En Wallonie, deux axes se croisent: celui qui suit l'E411 où le sentiment d'insécurité est peu important, autour de 7-8%, et l'axe Sambre et Meuse (Verviers, Liège, Namur, Charleroi, Mons), ou ce chiffre est plus élevé, autour de 15%", observe Christian De Valkeneer. Il est à noter que le sentiment d'insécurité et les chiffres de la délinquance ne se croisent pas toujours. "Certains chiffres se sont effondrés, mais le sentiment d'insécurité peut découler d'un environnement peu entretenu ou mal éclairé. Si les partis politiques francophones s’y intéressent de plus en plus, c'est que ce sentiment d’insécurité est une réalité."
Notes sur les chiffres
Les chiffres des faits criminels proviennent de la police fédérale. Le taux de criminalité a été calculé en rapportant ces faits par 10.000 habitants. Selon la police, “comparer les chiffres de la criminalité des communes en considérant uniquement le taux de population ne suffit pas pour établir une comparaison entre les communes de façon raisonnable. Les communes diffèrent fortement l’une de l’autre sur d’autres critères que le nombre d’habitants”. Nous avons donc, aussi, classé les villes selon une typologie – grandes villes, villes d’agglomération… - établie par la police fédérale.
Ces chiffres sont surtout des indicateurs de l’activité de la police. Ils ne traduisent pas la politique pénale, le nombre de policiers, les priorités politiques, etc.
Format créé avec Mapbox Storytelling.
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