Ce n'est pas le Zoute, mais Heist qui, avec ses villas, ses hôtels et son public, était une station balnéaire chic. La Première Guerre mondiale a changé la donne. Aujourd'hui, une métamorphose totale doit lui rendre sa splendeur perdue.
Il n'y a rien de plus triste qu'une station balnéaire vide en début de saison et par météo maussade. Aujourd'hui, pour peu qu'on traverse Heist, on voit une quantité d'immeubles commerciaux et horeca vides, avec des affichettes 'À vendre' ou 'À remettre'. À quelques centaines de mètres de là, s'étend la mer gris-vert, avec les grues du port de Zeebruges qui émergent au-dessus du brouillard. "Difficile de croire qu'à la fin du XIXème siècle, Heist était, avec Blankenberge et Ostende, l'une des stations balnéaires les plus chic de Belgique", déclare l'historien de Knokke-Heist, Georges Devent, en remontant le col de son imperméable.
Heist doit opérer son come-back. C'est l'administration communale de Knokke-Heist qui est à la manoeuvre et elle nourrit d'ambitieux projets visant à réinscrire l'ancienne station balnéaire sur la carte mondaine. Ainsi, sur le modèle espagnol, il y aura une Rambla et les célèbres bureaux d'architectes Jakob & MacFarlane et Neutelings Riedijk ont été sollicités pour concevoir de grandes tours destinées à de-venir les nouvelles 'places to be'.
Tenue prude
Pour comprendre la grandeur que l'on veut réhabiliter, il faut remonter à un jour de l'été 1868. La plage de Heist est alors noire de monde et de cabines de bain à roues, tirées sur la plage jusque dans la mer par des chevaux de trait afin que les baigneurs puissent s'y changer et plonger immédiatement dans l'eau sans trop devoir s'exposer au vu et au su de tout ce beau monde. En peu de temps, les cabines sont tellement nombreuses que l'administration communale se voit contrainte de publier un règlement de police. Celui-ci indique notamment comment louer une cabine à l'heure pour 1 franc, costume de bain ultra pudique inclus. Les hommes portent un 'pantalon large et une chemisette' et les femmes, une 'robe ou une chemise avec pantalon'.
Sur la plage, il y a aussi les bateaux des pêcheurs de Heist. "Ils constituent l'attraction par excellence de cette époque de villégiature à Heist", explique Devent en nous guidant à travers le Heist d'il y a deux siècles. "Les gens payaient pour faire un petit tour sur l'eau et être photographiés avec les bateaux."
Pour accueillir cet afflux de touristes, les premiers hôtels voient rapidement le jour. "Le Pavillon du Phare est l'un des premiers, rapidement suivi par d'autres établissements - l'Hôtel de la Plage et le Grand Hôtel de Bruges et de Flandre, puis le Grand Hôtel des Bains. On assiste alors à un véritable boom de la construction: outre les hôtels, on construit un phare, une digue en pierre et un chemin pavé. Une liaison ferroviaire est également établie avec l'intérieur du pays. "Grâce à la Compagnie Immobilière de Heist, les premières villas et le Kursaal sont érigés", explique Devent en pointant la Heldenplein, où se trouvait autrefois le casino. Le Kursaal, qui signifie littéralement 'salle de cure' était le lieu par excellence où l'on se rassemblait pour se divertir dans une station balnéaire. À Heist, le Kursaal, situé sur l'actuelle Heldenplein, constituait le coeur de la vie mondaine avec un salon de thé et un dancing. La digue, qui s'étend jusqu'à Duinbergen, était l'un des lieux de rencontre les plus prisés.
En 1850, à Heist, des cabines de plage sont à louer pour 1 franc. Costume de bain ultra pudique inclus.
Une belle digue, des grands hôtels, la mer et un Kursaal: Heist n'a pas besoin de plus pour se vendre. Aux alentours de 1900, la digue de Heist se compose d'un sentier, d'une route pavée et d'une promenade de onze mètres recouverte de dalles en céramique. Cette promenade est bordée par une rangée de villas et d'hôtels de styles (néo) variés. La plupart des villas disposent de terrasses ouvertes sur le bel-étage qui sur-plombe la digue. Un endroit idéal pour regarder passer la foule de touristes. Le maître ou la maîtresse de maison pouvaient observer les différents groupes sur la digue. "Sur la promenade, les gens dansaient sur de l'orgue de barbarie ou bien passaient la soirée au Kursaal" explique Devent. "Certains louaient un âne pour traverser les dunes vers Knokke. À l'époque, les touristes bruxellois envoyaient des cartes postales depuis 'Heist Sur Mer', mais des touristes anglais et allemands venaient aussi à Heist: ces derniers réservaient dans des hôtels qui s'appelaient Germania ou Kölner Hof."
Ces mêmes touristes vont jusqu'à Knokke (à dos d'âne ou en calèche), mais jusqu'à la fin du XIXème siècle, ce quartier reste quelque peu en retard. Vers 1900, la station balnéaire opère une manoeuvre de rattrapage, notamment grâce une nouveauté: un club de golf, un sport importé (et pratiqué) par les Anglais. Au tournant du siècle, à la demande de la Compagnie Het Zoute de la famille Lippens, l'urbaniste allemand Hermann Josef Stübben conçoit dans le polder du Zoute une cité-jardin, avec des villas et des terrains de sport destinés à un public nanti.
Mais la guerre vient rompre l'idylle. Heist subit de nombreux dommages causés par les bombardements. Ainsi, un grand nombre bâtiments sont détruits, tout comme les écluses du canal Léopold. L'entre-deux-guerres est une brève période de reprise qui permet à certains bâtiments d'être restaurés, mais la plupart sont remplacés par de nouvelles constructions style Art Déco ou moderniste, dont il ne reste pas grand chose aujourd'hui, conséquence de la Seconde Guerre mondiale cette fois.
Ensuite, c'en est fini de Heist. Le Kursaal est incendié, les écluses des canaux et la ligne de tramway menant à Blankenberge sont détruites. La relocalisation de la gare en 1951, qui passe de la Heldenplein, sur la digue, au sud de Heist, où elle se trouve encore actuellement, n'améliore pas la situation. Et Knokke? Cette station est en plein essor et, grâce à la route côtière, sa gare et même un champ d'aviation, elle attire un public de plus en plus mondain. Les bateaux de pêcheurs de la plage de Heist disparaissent. "Après la gueurre, les touristes allemands ne sont plus venus", poursuit Devent. "Heist Sur Mer passe à la trappe."
Botox et lifting
En 1971, avec Knokke, Duinbergen, Ramskapelle et Westkapelle, Heist devient une section de la commune de Knokke-Heist. Alors que Knokke prospère, Heist s'enlise. C'est ce qu'estime également Anthony Wittesaele, échevin du tourisme, de la plage et des concessions de Knokke-Heist. Il est issu d'une famille heistoise. "Heist doit être réinscrite sur la carte en tant que station balnéaire touristique", déclare-t-il. "Nous voulons le faire par le biais de grands projets, financés par des partenariats public-privé."
Grâce à un agréable boulevard que l'on qualifie déjà de Rambla, Heist pourrait devenir le Barcelone de la mer du Nord. Deux autres projets d'envergure sont encore planifiés simultanément. "Et en attendant que ces grands projets soient réalisés, quelques interventions mineures sont prévues ici et là. Comme le réaménagement de l'ancienne piscine. À la limite entre Heist et Duinbergen, il y aura également deux sculptures, dont un impressionnant totem de Thomas Lerooy et une chaise haute de maîtres nageurs d'Aurora Canero." Ce dernier doit devenir une nouvelle attraction à 'selfies'.
Si ces mesures sont de petites injections de Botox, ce qui est prévu pour le centre est, par contre, un solide lifting. La première étape est un tout nouveau Community Center sur la Maes en Boereboomplein, qui est aujourd'hui un parking. Le bâtiment polyvalent a été conçu par le bureau d'architectes parisien Jakob & MacFarlane. "Le bâtiment accueillera un hôtel de ville, un bureau de police, des appartements, une bibliothèque et une salle polyvalente pour des événements: il doit devenir le nouveau coeur de la station. Les premiers travaux de démolition ont commencé autour de la place et nous espérons commencer les travaux de construction dans les prochaines années."
La deuxième étape du plan ambitieux, donc. La Heldenplein, autrefois lieu d'excursion pour les touristes et, grâce au Kursaal, centre du Heist touristique, doit redevenir un endroit agréable. L'Elizabetlaan adjacente, où passaient autrefois les lignes de tramway et de train et dans laquelle filent aujourd'hui le tram et les voitures, sera convertie en une agréable promenade pour les voitures, les cyclistes et les piétons. L'échevin Wittesaele la compare à la Rambla, le célèbre boulevard de promenade de la ville espagnole de Barcelone.
"Aujourd'hui, l'Elizabetlaan est une autoroute urbaine", affirme-t-il. "L'avenue doit relier Heist, Knokke, Duinbergen et le centre-ville de Heist avec la digue. L'aménagement d'espaces verts et d'un rond-point doit donner le même sentiment que lorsqu'on entre à Knokke: ici, il y a place pour tout le monde, y compris les cyclistes et les piétons."
Dans quelques années, un grand immeuble à appartements s'élèvera sur la Heldenplein. La tour de 21 étages a été conçue par Neutelings Riedijk, à qui l'on doit aussi le MAS à Anvers. Le bâtiment proposera 1.000 mètres carrés d'espace commercial, un pavillon et un café. Le parking sera souterrain. Néanmoins, la construction ne commencera pas immédiatement. Aujourd'hui, seule la maquette est prête.
À Heist, il serait exagéré de dire qu'il n'y a que désolation et bâtiments horeca vides. Ainsi, des restaurants comme L'Abbiocco et La Guera y ont récemment ouvert leurs portes. C'est également là que se trouve le seul restaurant doublement étoilé et l'établissement le plus célèbre de la région: le Bartholomeus. Sur la digue où il est situé, presque toutes les traces de la Belle Époque ont été remplacées par des immeubles anonymes qui, eux aussi, feront prochainement l'objet d'une métamorphose. "Nous voulons élargir la digue de six mètres pour les prochaines vacances de Pâques", explique Whitetesaele. "Nos immeubles ont plongé la digue dans l'ombre. En l'élargissant, cette nouvelle partie sera au soleil." Sont également prévus une salle des fêtes et des immeubles plus démocratiques, mais il n'y a pas encore de projet concret.
Entre le rêve et la réalité, il y a le pragmatisme (financier et pratique). D'où la question: Heist n'est-il pas dépassée? Cela fait déjà une petite décennie qu'il est question du "Heist de l'avenir". "Nous devons faire preuve de plus d'ambition", lance Wittesaele. "Nous ne pouvons pas perdre notre position. Qui n'avance pas recule: Marbella et Saint-Tropez ne sont plus non plus ce qu'elles étaient. Heist doit redevenir Heist Sur Mer."