© Jean-Pierre Gabriel

Le Château Cockerill à Seraing restauré

Alors que l'on célèbre le bicentenaire de l'arrivée de John Cockerill en Wallonie, le château de Seraing, ancienne résidence d'été des princes-évêques de Liège et demeure de l'entrepreneur britannique, retrouve son lustre d'antan. Deux historiennes de l'art, Laurence Glorieux et Louise-Marie Hubert, signent la décoration des plus belles salles de ce monument classé à quelques jours de la visite du roi Philippe.

Laurence Glorieux et Louise-Marie Hubert ont plusieurs points communs. Tout d'abord, mère et fille sont titulaires d'un diplôme d'histoire de l'art. Ensuite, elles ont transformé en profession une passion pour tout ce qui touche à la beauté des choses, qu'elles soient antiquités ou oeuvres d'art contemporain. Depuis de long mois, elles ont entrepris leur première collaboration, en l'occurrence l'aménagement des salles d'apparat du château de Seraing, dans le cadre de sa rénovation; une belle aventure qui trouvera son point d'orgue le 11 mai avec la visite du roi Philippe. "Quand nous avons été contactées par le groupe Cockerill Maintenance & Ingénierie, il nous a été demandé d'apporter une pointe de contemporain, tout en respectant l'esprit de ce patrimoine classé, élément important de l'histoire de la région liégeoise", explique Laurence Glorieux. "Nous avons voulu traduire dans notre langage ce qu'a représenté John Cockerill en son temps et ce qu'incarne le groupe CMI, une entreprise résolument tournée vers le futur. Bernard Serin, président du groupe, parle volontiers de deux siècles marqués par l'audace, l'ambition, l'innovation et la continuité."

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Laurence Glorieux et Louise-Marie Hubert, sur un des poufs qu'elles ont dessinés pour la galerie des Princes. Les historiennes de l'art ont eu pour mission de décorer les pièces principales du château de Seraing.
Laurence Glorieux et Louise-Marie Hubert, sur un des poufs qu'elles ont dessinés pour la galerie des Princes. Les historiennes de l'art ont eu pour mission de décorer les pièces principales du château de Seraing.
© Jean-Pierre Gabriel

Passé flamboyant
Sur la cheminée en marbre du 'Salon 1900', aujourd'hui le bureau de Bernard Serin, une lithographie signée Thomas Müller et imprimée par Lemercier à Paris illustre à merveille le choc de civilisations qu'a constitué l'arrivée de John Cockerill sur les bords de la Meuse. Sans doute réalisée peu après l'indépendance de la Belgique, elle montre à l'avant-plan une demi-douzaine de bateaux marchands à voile naviguant le long d'une Meuse aux berges encore sauvages. Ils peuvent accoster au niveau du château, reconnaissable à ses deux frontons triangulaires. À gauche, un parc paysager à l'anglaise dont les murs longent un canal, creusé pour acheminer plus aisément minerai et coke de houille quelques centaines de mètres plus loin. À l'arrière, une forêt de hautes cheminées crachant la fumée et le feu, dont celles des premiers haut-fourneaux.

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Un peu plus loin, des collines qui sont encore des campagnes et des bois comme elles l'étaient jusqu'à la révolution française. En effet, ce château était jusqu'alors la résidence d'été des princes-évêques de Liège. L'allure extérieure actuelle reste celle qui lui a été donnée vers 1770 par le plus flamboyant d'entre eux, François-Charles de Velbrück. Esthète, admirateur de Jean-Jacques Rousseau et de l'école anglaise du paysagisme, il y résidait de mai à septembre C'est à lui que l'on doit, notamment, les deux salles les plus spectaculaires, au premier étage: la grande galerie et la salle des Princes.

À l'époque, pour venir du centre-ville, il fallait une heure de bateau... "Ces deux ensembles ont concentré la plus importante partie de nos apports", expliquent les deux historiennes. Remarquable pour ses magnifiques panneaux lambrissés, la salle des Princes a trouvé une nouvelle destination symbolique. "CMI est une entreprise internationale. À ce titre, le château de Seraing accueille des hôtes de marque venus du monde entier qui peuvent se retrouver ici et s'y ressourcer."

Notre mission était aussi de redonner aux lieux leur lustre d'antan. Il est évident que l'on ne peut les traiter qu'avec respect, sur la pointe des pieds.

À côté de la grande table de réunion dessinée par Maité Goehlen, on voit des petits tapis ronds réalisés par Braquenié sur base des dessins de Louise-Marie Hubert qui représentent un univers de constellations, de planètes, de météorites, de rayons solaires, le tout dans des couleurs espresso et or. "Ce contraste entre le sombre et le clair, entre la terre et le ciel, fait partie de la symbolique qui anime notre projet, grâce auquel nous avons été retenues pour cette mission. John Cockerill fut un innovateur; il a, par exemple, établi le développement de son industrie sur l'emploi de la houille. Aujourd'hui, CMI s'illustre dans les énergies nouvelles, dont les centrales solaires, et dans le domaine de l'environnement. Nous avons interprété cette évolution par deux des quatre éléments: la terre et l'air, mais sans oublier le feu et l'eau."

Une des applications les plus parlantes est représentée par les tapis en laine qui habillent les deux grands escaliers qui mènent au premier étage, de la salle des Princes à la grande galerie. Réalisés également par Braquenié, ils ont été teintés dans la masse de manière à ce qu'au fil des marches, l'on passe insensiblement d'un espresso foncé à un beige clair, comme si l'on passait des entrailles de la terre à la lumière du soleil.

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La salle des Princes où chaque tapis symbolise un ensemble. Les motifs dessinés par Louise-Marie Hubert et réalisés par Braquenié symbolisent les planètes, les rayons solaires et les météorites.
La salle des Princes où chaque tapis symbolise un ensemble. Les motifs dessinés par Louise-Marie Hubert et réalisés par Braquenié symbolisent les planètes, les rayons solaires et les météorites.
© Jean-Pierre Gabriel

Vert d'origine
"Notre mission était aussi de redonner aux lieux leur lustre d'antan. Il est évident que l'on ne peut que les traiter avec respect, sur la pointe des pieds. La grande galerie nous a offert une opportunité unique, en collaboration avec les spécialistes de l'Institut du Patrimoine wallon: nous nous sommes appuyées sur les plans généraux de rénovation du bureau d'architecture Henri Garcia."

Les deux décoratrices gardent en mémoire l'état dans lequel elles ont trouvé cette pièce. "Au cours du XXème siècle, elle avait été cloisonnée en cinq bureaux, tous équipés de faux-plafonds. Ici et là dans le couloir qui les desservait, côté cour d'honneur, on distinguait des fragments de stuc peints en blanc. Comme c'est le cas pour de nombreux éléments décoratifs considérés comme démodés, tout ou presque avait été repeint en blanc ou même décapé par brûlage."

John Cockerill a connu l'époque napoléonienne. C'est le 29 janvier 1817 que Guillaume 1er d'Orange lui cède le château de Seraing pour 45.000 florins.

Des recherches dans les documents historiques et des comparaisons avec d'autres bâtiments de la région liégeoise contemporains (fin XVIIIème) orientent Laurence Glorieux vers la couleur verte, fort appréciée à l'époque. "Pour éviter tout retard dans l'exécution du chantier, il fallait que je commande les tissus des tentures et, donc, choisir leur teinte, dans ce cas des soies de chez Rubelli. Je ne m'étais guère trompée. En effet, au fil de la mise à nu de ces cloisons, on a découvert une bandelette avec la peinture d'origine dont la couleur était très proche des verts que j'avais choisis... Avec l'aide des spécialistes du patrimoine, nous avons affiné avec exactitude les cinq teintes que l'on retrouve dans la grande galerie, y compris dans les passementeries de Houlès et les tissus des poufs que nous avons dessinés. En effet, c'est une salle destinée à faire rimer apparat et hospitalité, à accueillir des réceptions, des cocktails, des dîners assis. Il fallait donc permettre cette dualité. Même les lustres de Jan Pauwels sont conçus comme un murmure lumineux tout en discrétion."

Dans le salon 1900, bureau directorial, deux représentations en miniature de la sculpture monumenale de Bernar Venet (qui se trouve à l’extérieur). Clin d’œil au patrimoine liégeois, Tchantchès n’est jamais bien loin.
Dans le salon 1900, bureau directorial, deux représentations en miniature de la sculpture monumenale de Bernar Venet (qui se trouve à l’extérieur). Clin d’œil au patrimoine liégeois, Tchantchès n’est jamais bien loin.
© Jean-Pierre Gabriel

Les mêmes études de couleur ont été menées pour les autres salles, comme la gamme de roses de la salle du conseil ou les jaunes du salon Cockerill dans lequel trône un grand portrait en pied de John Cockerill, restauré par Patrick Hanappier, comme toutes les peintures. "Un autre aspect de notre travail fut de rassembler les artisans restaurateurs. Pour le mobilier, ce fut Olivier Bragard qui connaît bien les spécificités de cette époque, notamment du Charles X liégeois. Dans le salon Cockerill, deux éléments d'époque Empire sortent du lot: un secrétaire et, surtout, un baromètre surmonté d'un aigle. La restauration de son mécanisme et de la magnifique pendule sont l'oeuvre de l'horloger Gilles van Zeebroeck."

On l'oublie peut-être, mais John Cockerill a connu l'époque napoléonienne. C'est d'ailleurs le 29 janvier 1817, moins de deux ans après la bataille de Waterloo, que Guillaume 1er d'Orange cède à John et à son frère aîné, le château de Seraing et ses dépendances avec pour mission d'y développer l'industrie. Pour 45.000 florins, soit plus ou moins 20.000 euros. Pour ces entrepreneurs, le site est idéal, en bord de Meuse pour le transport et à côté des charbonnages d'Ougrée pour la matière première. La région densément peuplée et l'ancienne tradition du travail des métaux y sont également pour beaucoup. En 1820, ils employent près de 3.000 ouvriers. Excellent entrepreneur mais piètre comptable, John Cockerill fait faillite (son frère ayant revendu ses parts) après le crise financière de 1838.


Réalisée et décorée à l'époque du prince-évêque François-Charles de Velbrück, la grande galerie avant sa restauration était divisée en cinq bureaux. Les éléments du décor, dont les stucs, étaient masqués par des cloisons.
Réalisée et décorée à l'époque du prince-évêque François-Charles de Velbrück, la grande galerie avant sa restauration était divisée en cinq bureaux. Les éléments du décor, dont les stucs, étaient masqués par des cloisons.
© Guy Focant

Passée maître dans l'interprétation des détails, Laurence Glorieux aime souligner leur importance, comme la petite frange en cuir qui habille les tentures en tissu Verel de Belval du bureau de Bernard Serin. "Cette frange rappelle, dans le coloris du bois, la guirlande qui orne les lambris de la pièce."

Au passage on remarquera un dessin et une miniature de la grande sculpture en acier de Bernar Venet qui orne le parc rénové par le paysagiste liégeois Serge Delsemme. Inutile de préciser que celle-ci a été réalisée dans les ateliers de CMI. Quant aux marionnettes Tchantchès assises sur le canapé, elles reflètent leur visage dans l'agate d'une table basse aux rayons solaires signée Paco Rabane chinée à Bruxelles. Encore un symbole.
http://ldecoration.com/

© Jean-Pierre Gabriel
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