© Wouter Maeckelberghe

CarréCouture, le Farfetch belge?

CarréCouture, la start-up de mode belge la plus passionnante de ces dernières années, a été lancée ce week-end. L'avenir des plateformes de mode se trouve-t-il entre les mains de Jeroen et Nathalie Pompen? "Dans l'e-commerce, on n'a pas le choix: soit on voit les choses en grand soit on ne se lance jamais."

Jeroen et Nathalie. Frère et soeur. L'esprit rationnel et la fine connaisseuse. L'entrepreneur en gaming et la consultante mode. L'early tech-adopter et la fashion lover de la première heure. Les Pompen (45 et 47 ans) sont une fusée à deux étages aux commandes de leur boutique de mode en ligne, CarréCouture. Et comme pour les fusées, celle-ci demande beaucoup de recherche, coûte cher et son lancement peut être retardé. La start-up d'e-commerce CarréCouture sera enfin mise en ligne ce week-end, au terme de deux ans et demi de préparation (et plusieurs reports de launch).

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Nathalie Pompen et son frère, Jeroen, sont les fondateurs de CarréCouture, un site où sont déjà mises en vente 1.200 pièces de mode provenant de 16 belles boutiques d'Europe.
Nathalie Pompen et son frère, Jeroen, sont les fondateurs de CarréCouture, un site où sont déjà mises en vente 1.200 pièces de mode provenant de 16 belles boutiques d'Europe.
© Wouter Maeckelberghe

Dans l'ancienne ferme-château de Rameyen, à Gestel, une équipe de 34 personnes travaille fébrilement à ce qui devrait être la start-up de mode la plus excitante de Belgique, un pays où l'e-commerce accuse un peu de retard. Elle ambitionne d'être une variante du modèle Farfetch, la plateforme en ligne qui vend à l'international les collections de boutiques de mode de luxe, même si les entrepreneurs préfèrent les termes de 'consultant stylistique en ligne, facilitator ou prestataire de services de mode'.

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Actuellement, le site compte pas moins de 1.200 articles provenant de 16 boutiques de mode indépendantes haut de gamme disséminées aux quatre coins de l'Europe, dont Sketch (Knokke), Ygreque (Liège), L'héroïne (Bruges), Van Ravenstein (Amsterdam), Michel Ruc (Lille), Capsule (Lyon) et L'Espionne (Paris). Kiki Niesten (Maastricht) et Smets (Luxembourg) travailleront également avec CarréCouture et, plus précisément, à partir de la collection automne-hiver 2017. "Nous voulons arriver à 8.000 unités par saison. À la fin de cette année, nous voulons avoir cinquante boutiques", explique Nathalie Pompen. "Pour commencer, nous nous en tenons à la mode femme -accessoires, bijoux et vêtements. La lingerie et la mode homme ne sont pas encore à l'ordre du jour, mais nous n'excluons rien. Au démarrage, nous préférons nous axer sur notre objectif."

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"CarréCouture est un prestataire de services ou un 'facilitator', pas une boutique de mode."
"CarréCouture est un prestataire de services ou un 'facilitator', pas une boutique de mode."
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De Berlin à Rio
"Nos vêtements seront joliment emballés dans une boîte-cadeau, avec du papier de soie, un ruban et une petite carte de remerciements. Une boîte que l'on aurait envie de la ranger dans sa garde-robe. On n'expédie tout de même pas une pièce de 4.000 euros dans une simple boîte en carton!" affirme Nathalie Pompen. "Ce sont les commerçants qui travaillent avec nous qui réaliseront cet emballage. En plus de préparer le colis, ils seront responsables de son expédition, par DHL. Quand la boutique réelle ouvre à 10 heures, il est possible que quelques commandes aient déjà été passées via CarréCouture. Un colis pour Rio de Janeiro, un pour Berlin, un pour Paris. Ainsi, la boutique a déjà gagné quelques centaines d'euros avant même d'avoir accueilli un seul client!"

Jeroen et Nathalie Pompen sont convaincus que les boutiques multimarques indépendantes devront également vendre via internet. "C'est une attente des clients. Seulement, ces boutiques ne pourront jamais construire un webshop de cette envergure, ni offrir le même service en ligne qu'en boutique. Et c'est là que nous intervenons: CarréCouture est un prestataire de services ou un 'facilitator', pas une boutique de mode", déclare Jeroen Pompen. "Nous n'avons pas de stock. Nos partenaires business-to-business sont les boutiques. Nous vendons leurs collections sur notre plateforme, au même prix qu'en boutique. Nous créons pour elles un nouveau canal de vente à l'échelle mondiale avec photographie, marketing, identité visuelle et service à la clientèle: nous nous occupons de tout."

Lentement mais sûrement
CarréCouture est une idée de Nathalie Pompen qui, après des études en marketing, a bâti sa carrière dans le monde de la mode. Elle a dirigé sa propre agence de style, été consultante en marketing pour diverses marques de cosmétiques et de mode. "Ma soeur est une bonne cliente dans le segment de la mode haut de gamme", explique Jeroen Pompen. "C'est vrai, je suis une heavy user. Il faut bien que je fasse un peu de recherche sur le terrain, non?", s'amuse-t-elle.

Cette recherche approfondie, Nathalie Pompen l'a menée chez des concurrents: Farfetch, Yoox, Neiman Marcus et Net-a-Porter avec, chaque fois, le même sentiment: "Les boutiques en ligne actuelles ne s'intéressent pas vraiment à qui je suis, ce que j'achète ou ce que je veux. Elles ne s'inquiètent même pas de savoir si je suis satisfaite ou non de mon achat. Ce qu'elles veulent, c'est me faire passer à la caisse le plus rapidement possible! Elles me suggèrent parfois même des vêtements que j'ai déjà renvoyés. C'est une occasion manquée. Je voulais m'y prendre autrement."

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Après un an et demi d'études de marché, Jeroen Pompen est entré dans le projet. En tant que CEO, il suit le day-to-day, tandis que sa soeur se consacre à la planification à long terme. Elle est propriétaire à 75% de CarréCouture et la société d'investissement De Raekt, à 25%. "Comme nous sommes financés par des fonds privés, nous pouvons nous développer lentement mais sûrement, notre objectif commun est la croissance à long terme. Bien sûr, elle veut un retour sur investissement, mais pas après deux ou trois ans: "nous prévoyons d'atteindre le break-even au bout de six ans." Ce qui est assez ambitieux: en comparaison, après neuf ans Farfetch n'est toujours pas bénéficiaire malgré un chiffre d'affaires d'environ 800 millions de dollars.

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Dernière touche
Au bout de deux ans, fin 2016, l'architecture de base du site était prête, mais il manquait encore une touche de luxe féminin et exclusif. Ils ont donc contacté Wednesday Agency, une agence de création à Londres et à New York qui compte 120 collaborateurs et est spécialisée dans la mode, le luxe et le lifestyle. Cette agence a, par exemple, conçu des campagnes ou un (re)branding pour H&M, Theory, Calvin Klein et les Galeries Lafayette. "Wednesday est aussi l'agence qui a suggéré à Net-a-Porter le concept de Mr. Porter, un succès", ajoute Jeroen Pompen.

"Pour CarréCouture, l'agence a surtout travaillé sur l'attrait de la façade." Comment? Il faudra attendre ce week-end, quand cette façade sera enfin dévoilée au grand public. Néanmoins, on peut se demander si ce n'est pas un peu tard pour se lancer: la période des soldes approche. "En effet, les boutiques étaient impatientes de voir le résultat, mais nous ne voulions pas lancer de 'version beta'", explique Nathalie Pompen. "On n'a qu'une seule première chance."

CarréCouture prévoit d'atteindre le break-even en six ans, ce qui est ambitieux, d'autant plus quand on sait que son principal concurrent, Farfetch n'est toujours pas bénéficiaire après neuf ans d'existence et un investissement de 800 millions de dollars.

Jeroen, qui a travaillé chez le japonais Nintendo et l'américain THQ entre autres, nous conduit à l'étage supérieur de la ferme. C'est là que se trouve le département photo et styling et un studio 360° pour photographier les vêtements de la boutique sous tous les angles. L'un des cinq modèles pose justement dans un 'total look' provenant de la boutique de mode Labels. "Nous amenons ici toutes les collections sélectionnées dans chaque boutique pour les rephotographier pour le site, sur modèle vivant et sur mannequin. Nous en profitons aussi pour faire des product shots et des compositions. Les marques de luxe ont leurs propres packshots, mais leur qualité n'est pas uniforme. Si vous voulez communiquer une ambiance de luxe, tout doit être parfait. La cliente doit pouvoir zoomer sur tous les détails, mais elle doit aussi voir comment le vêtement est coupé ou comment il tombe. Si les photos sont meilleures, il y aura moins de retours."

"Pour chaque article, nous décrivons également la forme, la coupe, mais aussi les possibilités de combinaison pour différentes saisons", ajoute Nathalie Pompen. "Il n'y a rien de plus frustrant que de constater que son nouvel achat ne va avec rien." Chaque article, chaque silhouette et chaque boutique est assortie d'une appréciation dans les neuf styles définis par CarréCouture: classique, rock'n'roll, bohème, minimaliste, féminin, office friendly, etc. Sur CarréCouture, la cliente indique dans quels styles elle s'habille. "Parce que les femmes ont plus qu'un seul style", affirme Nathalie. "Un chemisier classique devient rock s'il est porté avec un pantalon en cuir, par exemple."

Rude concurrence
Au cours de ces deux ans et demi, CarréCouture a tout de même investi 6,1 millions d'euros dans la start-up. La plateforme, le branding, le personnel: tout cela a déjà coûté énormément d'argent, alors que le site n'est pas encore mis en ligne. "Dans l'e-commerce, on a pas le choix: soit on voit les choses en grand, soit on ne lance rien du tout", affirme Nathalie Pompen. "Je ne crois pas au petit webshop de quartier. Grâce à nous, les boutiques de mode ne se limiteront plus à leur clientèle locale. Nous allons bientôt associer une 'influencer' d'un autre continent à chacune des boutiques. Si, par exemple, une Instagrameuse de Corée du Sud porte des vêtements de la boutique gantoise Rio et en parle, cette boutique pourrait avoir du succès jusqu'en Asie. Pour élaborer ce genre de stratégies numériques dans le segment du luxe, nous nous faisons accompagner par Havas LuxHub, la référence en Europe."

Les boutiques qui collaboreront avec CarréCouture verront leur clientèle s'internationaliser, notamment grâce à un traitement personnalisé: photos, marketing, signature et service clientèle.

Cela ne fait aucun doute: CarréCouture utilise les grands moyens pour rivaliser avec Farfetch, une plateforme qui a été créée en 2008 et qui propose des vêtements piochés dans l'inventaire de quelque 500 boutiques de luxe du monde entier, mais aussi des pièces négociées en direct avec les marques de luxe. Farfetch a lancé à la mi-avril ses 'plans beta' pour le 'Store of the Future', entièrement axé sur la collecte des informations nécessaires pour offrir une aide personnalisée à la clientèle aussi bien hors ligne qu'en ligne, avec les bonnes tailles, couleurs, coupes et suggestions, ce que l'on appelle l'augmented retail dans le jargon e-commerce. Autre concurrence, cette fois venue du groupe de luxe LVMH, qui possède Louis Vuitton, Loewe, Fendi, Céline (pour ne citer que quelques noms): il a annoncé il y a deux semaines le lancement de 24 Sèvres, un site de vente de toutes ses marques.

Ces initiatives n'effraient pas Jeroen et Nathalie Pompen. "Notre concept n'est pas tout à fait comparable à Farfetch. Par exemple, nous donnons beaucoup plus d'airplay aux boutiques participantes qui, ainsi, ont leurs pages personnelles avec des informations et des interviews de leurs propriétaires. Via l'outil My Wardrobe, nous suggérerons de nouvelles combinaisons avec les pièces que la cliente a déjà achetées pour qu'elle en profite le mieux possible. Et notre page boutique présentera également des suggestions personnalisées de produits, liées au profil de la cliente en matière de goût. Ce genre de choses, ce n'est pas du tout dans les cordes de Farfetch."

© Wouter Maeckelberghe

Big data
"Nous gagnons un pourcentage sur les ventes, mais notre modèle d'affaires est différent. Nous recueillons également des données sur le comportement de navigation des visiteurs. Nous voyons quel modèle de pull a du succès, quel type de cliente achète Saint Laurent, si une taille 34 Chloé ne serait pas plutôt une taille 36. Ces informations sont compilées dans une base de données qui nous rendra de plus en plus 'smart' et affinera le profil des clientes: c'est le 'machine learning'. "Ces informations, nous pourrons les utiliser nous-mêmes, les vendre ou les partager avec des marques, boutiques, groupes de distribution, designers,... tout cela, bien sûr, sans porter atteinte à la vie privée de la clientèle. Ce 'big data' constituera notre business model de revenus supplémentaires, en plus de l'espace publicitaire que nous vendrons à nos partenaires."

"Plus nous affinons le profil d'une cliente, plus nous pouvons anticiper ses goûts", souligne Nathalie Pompen. "Dans un premier temps en termes de mode et d'accessoires, mais, plus tard, pourquoi pas pour des lunettes, du design, des gadgets ou du maquillage? Mon plus grand plaisir serait de voir le goût d'une cliente évoluer grâce à notre offre. En expliquant comment elle peut combiner certaines pièces avec des achats plus anciens. En d'autres termes, des suggestions très ciblées, mais pas intrusives."

Cette méthode devrait permettre à CarréCouture de couper définitivement court à cette phobie du dressing qui, même rempli, fait dire à sa propriétaire 'Je n'ai rien à me mettre!'
www.carrecouture.com

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