Prada, Gucci, Louis Vuitton, Burberry... Quand Claudio Marenzi a pris la tête de l'entreprise familiale d'imperméables, il résilie tous les contrats passés avec les maisons de luxe pour tout miser sur sa propre collection, Herno.
Mais qui peut bien associer la pluie et les imperméables à l'Italie? Claudio Marenzi éclate de rire quand je lui confie que je trouve étrange qu'un pays aussi ensoleillé soit la patrie de l'un des plus célèbres fabricants d'imperméables du monde. "C'est vrai, il fait un temps superbe aujourd'hui", me répond le patron de Herno. "Mais regardez comme la nature est luxuriante (et verte): c'est bien la preuve qu'il pleut beaucoup, bien plus que vous le pensez. Comme nous sommes entourés de montagnes, nous avons un climat humide, toute l'année."
Nous sommes à Lesa, un village près du Lac Majeur, à une petite heure de route de Milan. Depuis 70 ans, c'est ici que la marque outerwear italienne Herno fabrique les prototypes de ses imperméables -la production proprement dite a lieu en Sicile et en Roumanie.
Par la fenêtre de l'atelier, des collines verdoyantes s'étendent à perte de vue et donnent sur les rives de l'Erno. La charmante rivière, plus un ruisseau qu'autre chose à cet endroit précis, a donné son nom au label. "Comment vous sentiriez-vous si vous pouviez travailler chaque jour dans un aussi bel environnement? Mon père était dévoué à sa région et à la rivière au point de lui donner le nom de sa marque", se souvient Marenzi. "Il a juste ajouté la lettre H pour l'équilibrer: comme Erno n'a que quatre lettres, il n'y a pas de centre alors que c'est le cas avec un H. Au début, sous du logo était écrit "In flumina est vita", il y a de la vie dans la rivière. Voilà qui en dit long sur ce qui l'unissait à l'Erno. Hormis les quelques modifications mineures que j'ai apportées, le logo n'a pas changé depuis 70 ans."
Ceo et philosophe
Le moins que l'on puisse dire c'est qu'Herno est un étalon italien doublé d'une saga familiale. Marenzi père, qui était également bourgmestre du village, dirigeait l'entreprise; son épouse était responsable de la production qui s'est diversifiée à partir des années 70 dans la confection de costumes et de chemises pour homme. Claudio Marenzi, le plus jeune des trois fils, a choisi de faire des études de philosophie. "Mon père était contrarié", reconnaît-il. "Il faut savoir que mon frère aîné avait choisi l'économie et mon autre frère, le droit. Mon père n'a accepté mon choix que quand, contrairement à mes deux frères, je lui ai promis de travailler pour l'entreprise. "Avec la philosophie, tu auras la tête dans les nuages. Dans notre entreprise, tu garderas les pieds sur terre", m'a-t-il déclaré. Donc, après la philo, j'ai suivi une formation de modéliste et d'analyste de production. Je n'avais rien contre, bien au contraire: pour moi, c'était la préparation parfaite à ma fonction actuelle."
À sa grande surprise, l'option du travail forcé s'est révélée payante. Il n'a pas seulement continué à travailler dans l'entreprise familiale: il a surtout repris le flambeau en tant que CEO en 2005. Il est également le seul actionnaire.
Tom Ford et Marc Jacobs
À la fin des années 80, le savoir-faire de Herno dans le domaine des techniques et des tissus novateurs était tel qu'on lui a demandé de produire pour d'autres. "J'ai travaillé avec Patrizio Bertelli chez Prada, Tom Ford chez Gucci, Marc Jacobs chez Louis Vuitton et, plus tard, Christopher Bailey chez Burberry. C'était extraordinaire. Cela m'a beaucoup appris."
Ce succès a pourtant son revers: en travaillant pour ces grands noms, l'entreprise néglige le sien. Marenzi me confie que les années 90 ont été quelque peu chaotiques. À l'époque, Herno produit des imperméables, des vêtements élégants et du sportswear. Conséquence: une image de marque floue et un chiffre d'affaires qui chute sur la plupart de ses marchés. Cet état des choses le désole. "Nous faisions des choses superbes; cependant, nous ne les vendions pas pour Herno, mais avec d'autres marques. Je me suis demandé: "Pourquoi laisser ces possibilités inexploitées?""
Risky business
Ainsi, quand Claudio Marenzi prend la tête de l'entreprise, il décide de mettre un terme à toutes ces collaborations. Était-ce une prise de risques? "Certainement, parce que ces grandes entreprises de mode représentaient une grande partie de notre chiffre d'affaires. Mais l'expérience que nous avions acquise avec eux, ils ne pouvaient plus nous la reprendre. Depuis, je n'ai jamais regretté cette décision."
Le produit doit s'exprimer seul; c'est à nos clients de faire son story telling.
Mais la famille est frileuse au changement de cap. "C'était nécessaire, il fallait changer de stratégie, j'ai alors entrepris de reprendre les parts de mes frères. Ils n'étaient pas convaincus par ma nouvelle approche. Je reconnais qu'entre 2007 et 2012, un tiers des actions était détenu par un fonds de capital-investissement. Mais il y a six ans, je suis devenu le seul actionnaire." Depuis, il envisage de l'introduire en Bourse. Pas pour le cash, m'assure-t-il, mais parce que cela permettrait à l'entreprise de poursuivre son développement. "Dans ce secteur, si on reste immobile, on est mort."
La nouvelle perspective signe surtout un retour aux sources, délaissées par son père plusieurs décennies auparavant. Marenzi est conscient des limites -des imperméables pour homme et femme-, mais c'est justement la raison pour laquelle il voulait faire la différence dans ce segment de niche. "Regardez: ce duvet, appelé Stiky, vient du cou et de la partie qui se trouve à l'arrière des ouïes de l'oie. Nous l'utilisons depuis dix ans déjà pour nos vestes ultra légères", explique Marenzi.
Nous passons devant des machines qui produisent des vêtements sans coutures, une technique issue du sportswear que Herno a été la première à utiliser dans le prêt-à-porter. "Le gène de l'innovation fait partie de notre ADN", ajoute Marenzi.
Après avoir résilié les contrats avec les maisons de luxe, il décide d'intégrer des tissus sportswear dans les produits de luxe et épure la communication et le logo: les campagnes publicitaires ne présentent plus des photos de familles italiennes vêtues d'élégants imperméables, mais des vestes sur un portemanteau. Et basta. "Notre produit doit s'exprimer seul; c'est à nos clients de faire son story telling." Du sur mesure encore une fois.
Des copies? Pas de problème!
Une clientèle plutôt internationale aussi. Si l'Italie reste le plus grand marché de Herno, la marque est également bien implantée aux États-Unis, au Japon (où son père l'a implantée il y a cinquante ans exactement), en Allemagne, en Russie et en Espagne. Et en Belgique, m'assure-t-il. "Croyez-moi, pour nous, vous êtes un marché plus important que le marché français. C'est comme le foot: la Belgique est un petit pays avec un grand impact!" (rires)
Si la clientèle se diversifie, les copies sont plus fréquentes aussi. La rançon du succès certainement. Quand j'aborde le sujet, Claudio Marenzi éclate de rire: "Le fait que nous soyons copiés signifie que nous faisons du bon travail! Je serais inquiet si on ne nous copiait plus. Du reste, savez-vous ce qui est étonnant? Nous sommes copiés par des marques moins qualitatives, mais aussi par des marques de luxe. Cela nous permet de rester vigilants..."
Enfin, comme son père, Claudio Marenzi est 'Cavaliere del Lavoro', une distinction italienne comparable à la Légion d'Honneur française. "Il est rare qu'elle soit attribuée à deux générations successives", sourit-il. "C'est un honneur, mais aussi une mission: vous ne recevez cette distinction que si vous créez des emplois. Cela génère une pression: je dois constamment créer des emplois. Mais j'ai confiance."
Pour la collection anniversaire, les collaborateurs ont été invités à communiquer le mot qu'ils associent à Herno: chaud, changement, coloré, innovation... Tous ces mots ont d'ailleurs été imprimés sur cette veste (deux modèles pour femme et deux pour hommes, disponibles en octobre). www.herno.it