Il a appris à se battre. Pour la qualité et pour sa survie. En 2012, Gianfranco Soldera a fait la une de l'actualité viticole mondiale quand six millésimes de son onéreux Sangiovese ont été vandalisés. Aujourd'hui, à 81 ans, l'Italien revient sur le devant de la scène.
La nouvelle avait fait l'effet d'une bombe dans la petite ville de Montalcino, près de Sienne, en Toscane. En 2012, un vandale avait vidé presque tous les foudres de Gianfranco Soldera à l'Azienda Agricola Case Basse. 80% des millésimes de 2007 à 2012 avaient été perdus, pour une valeur estimée à 12 millions d'euros. Certaines mauvaises langues chuchotèrent que Soldera aurait révélé le scandale des vins de Brunello de 2008, accusant certains producteurs malhonnêtes d'ajouter des cépages illicites à leur cru, ce qu'il réfute tout en refusant d'en dire davantage. Quoi qu'il en soit, son étiquette ne mentionne plus 'Brunello' et il a quitté le Consorzio del Vino Brunello di Montalcino.
Quand on doit faire face à un tel revers, surtout à cet âge (le viticulteur avait 75 ans quand il a vu l'oeuvre de sa vie partir dans les égouts), on pourrait se dire que c'est le clap de fin, mais Soldera n'est pas de ce bois-là. Le lendemain du sabotage, il était au travail dans ses vignes. "Faire du bon vin, c'est la seule chose qui compte pour moi. D'ailleurs, c'est ce qui me passionne depuis toujours. Je me souviens encore très bien qu'à la maison, il n'y avait que du bon vin à table", raconte Soldera. "Bien manger et bien boire, c'est dans la famille ou pas; ça ne s'apprend pas au restaurant. Chez nous, on buvait des grands vins. Et ça m'a servi plus tard quand je suis devenu vigneron, parce que j'avais appris à suivre mon instinct. Il y a tant de vins de mauvaise qualité... (silence). Je n'appelle pas ça du vin! Pour moi, le vin, c'est un grand vin, sinon il n'a pas de raison d'être."
Grands vins
C'est cette quête de l'excellence qui a conduit Soldera (qui a commencé sa carrière dans le secteur des assurances) à Montalcino, en Toscane. "J'avais commencé par chercher au Piémont, dès 1969, dans la région des Langhe. J'étais impatient de trouver un terrain approprié, mais je me suis rendu compte que les vignerons gardaient les meilleurs pour eux. Je ne peux pas leur donner tort, bien sûr!"
Quand un ami lui parle du domaine de Case Basse, au sud-ouest de Montalcino, Soldera se tourne vers la Toscane. Le terrain est situé entre 300 et 350 mètres au-dessus du niveau de la mer et une brise nocturne chasse la chaleur de la journée. Et le terroir y est presque idéal.
"Je suis allé voir le terrain pour la première fois au milieu de l'année 1972 et je l'ai acheté un mois plus tard. Vous savez, à l'époque, la Toscane était la négation absolue de la qualité. Il y avait pas mal de terrains à vendre et, cette même année, j'ai planté deux hectares de vignes. Je voulais un terrain où il n'y avait pas de vignobles."
Il poursuit: "Je refusais de travailler avec le matériel de quelqu'un d'autre: je voulais faire mon truc. Dès le départ, mon intention était de faire un grand vin. Dans ce cas, il faut savoir ce qu'on veut et ce qu'on fait. J'ai donc planté du sangiovese grosso que j'ai acheté dans les environs: je voulais un cépage local, au sens propre du terme."
Soldera Sangiovese Grosso 2013
Couleur: rouge
Cépage: 100% sangiovese
Prix: 405 euros
Ce qui frappe d'emblée dans ce vin, c'est l'harmonie, l'élégance et l'équilibre qui le caractérisent à tous les niveaux. Au nez, arômes d'épices et de feuilles de tabac séchées, avec de fines notes de cerise et de rose. Le vin est souple et soyeux en bouche, avec une présence marquée de fruits rouges, cerise et réglisse. Une longueur extraordinaire et un potentiel de garde tout aussi impressionnant en font un vin authentiquement iconique.
Distribution: Stappato, Sluis 2E2 à 9810 Eke. Tél. 09/216.40.70, www.stappato.be
Gianfranco Soldera est rapidement convaincu de la valeur particulière de son terroir et du sangiovese qu'il y a planté. "Après les premières vendanges, j'ai remarqué que j'étais sur 'una terra grandissima'. C'était un sol pauvre, idéal pour la vigne, et avec un bon équilibre hydrique. Les vignes sont entourées de bois et de jardins, le tout délibérément mêlé. Le vignoble s'étend sur 10 hectares, répartis en deux parcelles de 4 et 6 hectares. L'ensemble devait être parfaitement équilibré."
Au cours de la conversation, je prends peu à peu conscience du niveau d'exigence que s'impose l'Italien, et qu'il impose à son vignoble. Quand je lui demande comment il récolte ses raisins, il me révèle son véritable secret. "À l'automne, vous cueillez une grappe de raisin et vous vous dites: "ça m'a l'air bien", mais ce n'est qu'une fois que vous retirez les raisins qui se trouvent à l'extérieur que vous voyez ce qu'il en est des raisins à l'intérieur. Je cueille chaque grappe moi-même et je cueille raisin par raisin. Et je jette ce qui ne me plaît pas! J'ose affirmer que c'est cette précision qui m'a permis de produire de bons vins, même les années dites très difficiles comme en 2002, une année exceptionnellement pluvieuse. Pourtant, mon vin était excellent."
Alors, pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas pour d'autres? "Parce qu'ils pensent qu'ils sont plus intelligents que la nature; ce n'est pas le cas", répond-il.
Bonne cause
Revenons à 2012, annus horribilis pour Soldera. Après cet acte de vandalisme, il ne lui restait plus que quelques bouteilles du millésime 2010, une grande année. Il aurait facilement pu les vendre à des prix exorbitants, mais il a décidé de consacrer ces 82 litres restants à la bonne cause. Ce sont finalement ses importateurs belges, Jeroen Vandesande et Jens Van Vlem de Stappato, qui ont vendu les bouteilles et fait don du bénéfice de 124.000 euros à quatre ASBL qui s'engagent notamment pour la recherche contre le cancer et l'éducation d'enfants en Belgique. Ce qui en dit long sur Gianfranco Soldera, un homme courageux et généreux. Presque un saint, en somme.