Le Blue Deer, un sublime catamaran de quatre cabines, est un exemple parfait de l'art de vivre à l'italienne. Fuyant la grisaille estivale, Sabato hisse les voiles avec son propriétaire, Stefano Barbini.
À Gaeta, une petite ville portuaire médiévale située dans la baie éponyme, à mi-chemin entre Rome et Naples, je dépose mes chaussures dans un panier en osier sur le quai. D'abord motivé par des considérations pratiques, le rituel du déchaussement avant de mettre pied sur un yacht est libérateur. Adieu les soucis et les coutumes du plancher des vaches, vive la liberté et la promesse d'un alizé favorable!
Le Blue Deer, un catamaran de près de 23 mètres en bois blanc étincelant pouvant accueillir huit passagers, surprend par son généreux espace. "Un voilier traditionnel devrait être environ deux fois plus long pour offrir un tel espace de vie", note son propriétaire, Stefano Barbini. Derrière une vitre panoramique, nous portons un toast dans le salon de dix mètres de large, comme un élégant loft sur flotteurs. La belle cuisine ouverte attire les regards. "La note verte est apportée par des plantes aromatiques à portée de la main: thym, sauge, origan... Inhabituel ici, mais 100% italien!", sourit Barbini. "En général, la cuisine est une petite pièce dissimulée quelque part sous le pont, mais ce n'était pas ce dont je rêvais. Pourquoi cacher la cuisine? Manger, c'est important! Et ces bulles ne sont pas les plus prestigieuses du monde, mais elles ont été produites dans le petit vignoble d'un de mes amis, dans le Tyrol du Sud."
Le ton est donné, la table dressée. Chaque ville italienne a ses spécialités. Et, à Gaeta, elles mettent l'eau à la bouche: les olives locales sont réputées, tout comme la 'tiella', une pizza farcie de calamars, poivrons et herbes parfumées. "Goûtez-moi cette mozzarella di bufala!", s'exclame mon hôte. "Fraîche de ce matin! Les habitants de cette petite ville sont tellement gâtés qu'ils considèrent que la mozzarella du matin n'est déjà plus assez fraîche pour eux."
Barbini sert du vin et raconte des anecdotes amusantes: c'est un hôte parfait. Pourtant, cela n'a pas toujours été son rôle. Il y a six ans, il a ouvert avec son épouse, Giorgia Perrone, le San Lorenzo Mountain Lodge dans le Tyrol du Sud, un établissement nommé à plusieurs reprises meilleur chalet de ski d'Italie. "Du jour au lendemain, nous avons décidé d'abandonner la mode", explique Barbini, qui a dirigé pendant 15 ans la maison de couture Escada en Italie et en France. Pourtant, la mode était leur vie. Jeune homme d'affaires, il est, à l'époque (1985-1995), directeur marketing d'Aeffe de San Giovanni in Marignano, producteur et distributeur de labels comme Moschino, Jean Paul Gaultier et Ozbek. C'est dans la boutique de la piazza di Spagna, à Rome, qu'il rencontre Giorgia. "Elle est la petite-fille de Gaetano Savini, fondateur de Brioni. Elle était évidemment destinée à faire carrière dans l'entreprise familiale, mais souhaitait acquérir de l'expérience en dehors de celle-ci. En 1987, elle devient propriétaire du flagshipstore Escada de la piazza di Spagna et, en 2001, retail manager de toutes les boutiques Escada en Italie. En 2009, Escada est vendu au grand industriel indien Lakshmi Mittal et voilà comment nous nous sommes retrouvés sans travail."
De la montagne à la mer
Dans la voiture qui les conduit de Rome à Milan pour signer un nouveau contrat avec une prestigieuse maison de mode, le couple hésite. "Voulons-nous vraiment garder un mode de vie aussi frénétique? Arrivés vers la ville de Modène, nous avions un plan: faire de notre résidence secondaire à la montagne une maison d'hôte. Pas un hôtel, ils sont beaucoup trop impersonnels." Ils ne regrettent pas leur choix. "Au bout de 25 ans dans la mode, je n'avais plus de vie sociale. Aujourd'hui, 80% des clients de notre chalet sont devenus des amis."
Depuis mai 2015, le White Deer San Lorenzo Mountain Lodge a son homologue sur l'eau: le Blue Deer, un catamaran sur mesure issu du célèbre chantier naval Sunreef Yachts. Le bateau peut accueillir huit personnes (et éventuellement deux enfants) plus quatre membres d'équipage. "Vous pouvez naviguer sans équipage, mais ce n'est pas ce que souhaitent nos clients", commente Barbini pendant que l'on hisse les voiles. "Nous ne le considérons pas comme un bateau, mais plutôt comme un lodge sur la mer qui offre la possibilité de découvrir l'Italie autrement. Nous ne sommes pas des passionnés de voile, mais nous aimons les beaux bateaux. Nous y pratiquons la même hospitalité que dans notre chalet. Il n'est évidemment pas question de faire le charter pour Capri ou Positano: aussi belle que soit Capri, ça ne me dit rien de siroter un cocktail hors de prix sur une terrasse bondée. Les meilleures expériences commencent par le choix d'itinéraires spécifiques." Nous mettons le cap vers Ponza et Ventotene, des petites îles dont même beaucoup d'Italiens n'ont jamais entendu parler.
Avec une vue à 360°, le cockpit ouvert offre un panorama imprenable. Pourtant, je préfère m'allonger sur le filet du trampoline tendu à un mètre au-dessus de l'eau qui défile à toute allure. Il y a là suffisamment d'espace pour faire une petite sieste, seulement dérangé par le bond d'un dauphin devant la proue. Quelques cabrioles, puis il disparaît aussi vite qu'il est apparu, et le calme revient.
"Nulle part ailleurs, les lentilles ne sont aussi savoureuses qu'à Ventotene", déclare Barbini pendant que nous accostons au crépuscule pour y passer notre première nuit. Ventotene, qui mesure à peine deux kilomètres de long et quelques centaines de mètres de large, est à 21 miles de la côte et à quelques heures de Rome, mais à des lieues du tourisme de masse. C'est un village de pêcheurs de 600 âmes dans la tranquillité n'a pas été perturbée depuis l'Antiquité.
Nous accostons au port de Ventotene, creusé par les Romains il y a 2.000 ans dans la roche volcanique et toujours en service. "L'Empereur Auguste a été le premier à exiler sa fille dans cet endroit reculé" explique Barbini. On peut encore voir çà et là les vestiges des villas de Pandataria (le nom romain de Ventotene). "Beaucoup d'enfants d'empereurs romains sont passés par ici et, sous la dictature de Mussolini, l'île est devenue un centre de détention politique." Comme l'île voisine de Santo Stefano, un îlot rocheux à un mile nautique, inhabité depuis que la prison a fermé ses portes dans les années 60.
Federico Fellini
Nous montons les rues en escalier jusqu'au village de Ventotene, un ensemble pittoresque de maisons rassemblées autour d'une tranquille petite place. C'est ici que Federico Fellini a tourné 'Satyricon', et Wes Anderson, 'La vie aquatique'. Barbini est surpris de voir que la maison communale est fraîchement repeinte. L'explication ne se fait pas attendre: à la mi-août 2016, c'est ici que l'ancien Premier ministre italien, Matteo Renzi, a reçu Angela Merkel et François Hollande. Un lieu symbolique: c'est dans la prison du village qu'Altiero Spinelli a écrit, en 1941, le 'Manifeste de Ventotene', un texte précurseur qui défend l'idée d'une Europe fédérale libre et unie.
Yacht?
Le Blue Deer, un catamaran de quatre cabines. Idéal avec des amis ou en famille. Deux cabines disposent d'un troisième lit adapté aux enfants. L'équipage de quatre personnes se charge des voiles et de la cuisine.
Quand?
Pendant l'été, le Blue Deer explore les îles italiennes les moins connues. En hiver, il navigue dans les Caraïbes.
Prix?
À partir de 39.500 euros la semaine, à majorer de 20% d'APA (Advanced Provisioning Allowance, une avance sur les frais portuaires, le diesel, la nourriture et la boisson). Chaque jour, le capitaine donne un aperçu des dépenses. Les tarifs des ports de plaisance sont aussi divers que ceux d'une bouteille de vin
Infos et réservations?
Atlas Reizen, Lambermontplaats 12 à 2000 Anvers. Tél. 03/331.33.30 www.atlasreizen.be
Les sujets de conversation ne manquent pas lors du dîner sous les platanes qui bordent la place. En effet, nous ne mangeons pas à bord ce soir. L'équipage célèbre cette soirée de liberté en savourant la traditionnelle soupe de lentilles près du port. Nous nous régalons d'antipasti et de la pêche du jour dans le restaurant sans prétention sur la place, une gargote qui n'a rien du piège à touristes. "L'authenticité est un luxe", philosophe Barbini. "Laissez Capri aux nouveaux riches; ici, c'est l'Italie, la vraie."
Lueur dorée
Le bercement du bateau me réveille plus tôt que je ne l'aurais souhaité. Ou est-ce l'odeur de l'espresso? Je ne regrette pas une seconde ce réveil prématuré: la lueur dorée dans laquelle le Blue Deer trace une ride est réservée aux lève-tôt. Pendant deux heures, nous naviguons de Ventotene à Ponza, la plus grande île de l'archipel. Alors que nous amarrons le bateau dans le port, les premiers restaurants ouvrent leur terrasse. Les joyeuses façades jaunes, rouges et bleues accrochées à la colline me font penser à un tableau de Mondrian en trois dimensions.
Nous déjeunons de croissants à la crème avec un bon café dans un bar sur le quai. En flânant dans les ruelles, nous tombons par hasard sur une minuscule épicerie où Stefano achète la spécialité de l'île, qu'il nous offrira tout à l'heure. Heureux comme un enfant, l'homme d'affaires autrefois si occupé pose avec une caisse de figues de barbarie. En saison, on peut cueillir ces fruits juteux sur la plante même qui prolifère sur toute l'île et, pourtant, Stefano les considère comme des joyaux.
À l'époque romaine, un passage souterrain menait à la plage de Chaia di Luna, une plage de sable fin en demi-lune au pied des falaises. Depuis que quelques-uns de ses adeptes ont été enterrés sous les éboulis, il y a quelques années, l'accès est inaccessible aux piétons, mais pas aux marins! À une distance de sécurité, nous jetons l'ancre dans la magnifique baie en forme de fer à cheval bordée d'une falaise impressionnante.
Deux jet-skis sont mis à l'eau. Comme des gamins, nous faisons la course jusqu'à la côte. En combinaison de plongée, tenant fermement un seabob, je me prends pour James Bond dans 'Thunderball'. Allongé sur le jet-ski sous-marin, je file à 15 km/h sous l'eau toute lisse et plonge dans les profondeurs au gré de mes envies. Un pur délice.
De retour sur la terre ferme, je me rappelle l'adage selon lequel les meilleurs amis sont ceux qui ont un bateau. Le rêve d'une vie de luxe en mer ne doit pas nécessairement rester un rêve, même si ce n'est que pour une semaine. Sur le quai de Gaeta, mes chaussures m'attendent dans un panier en osier. Elles serrent un peu.
www.sanlorenzolodges.com