Il vient de fêter ses 60 ans. Après 35 ans de carrière, Vincent Van Duysen assure n’avoir jamais travaillé autant qu’aujourd’hui. Il signe un projet d’envergure: il vient de créer une collection de vingt pièces pour Zara Home. L’architecte belge apposera ainsi son style épuré dans les salons du monde entier.
Il y a deux semaines, Vincent Van Duysen a présenté à Milan ses nouvelles collections pour Molteni, Flos, Bulo et Kettal. Mais il a gardé secrète la nouvelle la plus importante: le 30 juin, il lance une collection pour Zara Home. Non, ce n’est pas une blague et, nous non plus, nous ne l’avions pas vu venir. Pas plus que le designer belge d’ailleurs.
Comment la rencontre Vincent Van Duysen et Zara Home a-t-elle pu être possible? "Cette demande est tombée du ciel, comme pour fêter mes 60 ans: cette collaboration est un cadeau", sourit-il. La définition d’un beau cadeau? Une merveilleuse rencontre. Est-ce le cas pour Zara Home et Van Duysen? Le projet correspond-il à son profil? "Je laisse des signatures et des traces de mon travail partout dans le monde. Mon esthétique a gagné en visibilité ces dernières années et elle inspire de nombreuses personnes. Cette collection de vingt articles pour Zara Home me permet, pour la première fois, d’entrer dans le salon de monsieur et madame tout le monde. Pour moi, c’est le plus beau des cadeaux. Je voudrais que mon style soit reconnaissable et accessible à tous. Toutes les créations pour Zara Home portent ma signature et sont abordables, sans compromis sur la qualité."
"Tout, des fauteuils aux tables d’appoint, en passant par les lampes, est fabriqué par des artisans en Espagne avec le plus grand souci du détail. Et la qualité de chaque pièce est contrôlée individuellement", poursuit le designer. Les tabourets et les méridiennes sont recouverts du même cuir que celui utilisé par Hermès. Les tissus de coton, lin et même les magnifiques tissus bouclés sont tous produits en Italie. Le chêne que nous avons employé est du bois massif et non du plaqué. Que ce soient les coutures, les housses ou le rembourrage des sièges, tout est de la meilleure qualité. Les chaises, un clin d’œil à l’architecte finlandais Alvar Aalto, sont les plus confortables sur lesquelles je ne me sois jamais assis. La qualité des matériaux et des produits finis est vraiment au-dessus de tout soupçon. Si cette exigence de qualité n’avait pas été respectée, je n’aurais pas accepté cette collaboration."
Grand écart
Le portfolio du Belge était déjà une belle illustration du grand écart qu’il pratique aujourd’hui en collaborant avec Zara Home. Il conçoit autant une poignée de porte et qu’un yacht de luxe. Une auberge de jeunesse en Belgique et des boutiques de marques de luxe en Asie et aux États-Unis. Des maisons privées pour des Belges ou encore une demeure de Kanye West. Cependant, il n’avait pas encore collaboré avec une marque de fast-fashion. "En effet, on est loin de ma zone de confort, mais j’aime les défis et j’aime les gens."
Le contact avec la famille Ortega, propriétaire du label Zara, a été très chaleureux. "En octobre 2020, Marta, fille du fondateur Amancio Ortega et aujourd’hui présidente d’Inditex, la société mère de Zara, est venue chez moi, à Anvers. Non seulement elle a été impressionnée par mon intérieur, mais il s’est avéré qu’elle connaissait bien la Belgique: sa discrète famille travaille avec Axel Vervoordt depuis des années. Sur le plan humain, le courant est tout de suite passé. En prenant congé, elle m’a promis quelque chose. J’ai pensé à une demande pour un projet architectural ou un concept de magasin, mais il s’agissait d’un briefing très détaillé pour une collection à venir, ‘Zara Home by Vincent Van Duysen’. J’étais honoré: c’est la première fois que l’entreprise espagnole fait appel à un designer externe pour une collection de mobilier distincte, vue comme un upgrade de la gamme Zara Home."
Risque d’excès
Vincent Van Duysen n’accepte pas d’emblée, car il laisse décanter cette offre. "Je n’ai pas un panel de personnes que je consulte pour ce genre de décisions: je préfère les prendre moi-même", explique-t-il. "Mon entourage aurait pu me demander pourquoi, à soixante ans, fallait-il que j’accepte cette offre, alors que, pour moi, je la voyais comme le cadeau d’anniversaire parfait. En effet, c’était l’occasion idéale de faire une introspection et de me plonger dans mes archives. Je me suis posé la question suivante: que représente réellement Vincent Van Duysen? À quoi me reconnait-on? Quelle est ma signature? Et comment puis-je la diffuser encore davantage pour toucher encore plus de monde?"
Bien sûr, le risque de saturation est réel, car Zara Home est partout: il y a 462 boutiques disséminées dans le monde. Cela ne menace-t-il pas de démonétiser la marque soigneusement construite par Vincent Van Duysen? "Je n’ai aucune crainte à ce sujet. Tout au long de ce processus, jamais je ne me suis demandé dans quelle aventure je m’étais lancé. Tout était très contrôlé", ajoute-Van Duysen. "Je ne pense pas que la distinction entre ‘low end’ et ‘high end’ soit encore pertinente. Les gens mélangeront des pièces de ma collection Zara Home avec des articles plus onéreux. Tout comme on combine des vêtements Zara avec ceux de créateurs plus coûteux. Voilà bien longtemps que ce n’est plus un problème."
Salon influent
La collection de Vincent Van Duysen ne surprendra pas vraiment ceux qui connaissent: son travail: sa signature est trop aboutie pour cela. Cette collection ne rompt absolument pas avec le passé. Les meubles paraissent d’emblée familiers, avec de subtiles allusions aux architectes (d’intérieur) Alvar Aalto, Jean-Michel Frank et Luis Barragán, et surtout, à son propre travail. "Ce sont mes classiques, mais revisités. Chaque pièce fait référence à mes intérieurs. Ce sont les remaniements des objets avec lesquels je vis depuis des années", explique-t-il.
Et même des décennies, car le Belge est revenu sur son tout premier intérieur personnel de 1993, un appartement serein situé dans la Solvynsstraat à Anvers et dont des photos circulent encore sur Pinterest et Instagram. "Il y a quelques années, le New York Times Style Magazine a choisi ce salon comme l’un des ‘25 rooms that influence the way we design’. J’ai déménagé depuis longtemps, mais nous avons créé des rendus 3D de cet intérieur et nous y avons placé les pièces de la collection créée pour Zara Home. L’harmonie était parfaite. Les installations que nous avons réalisées dans mon habitation actuelle à Anvers et ma maison de vacances au Portugal ont directement semblé très naturelles. J’avais vraiment l’impression de rentrer chez moi."
"Je n’ai pas eu à réinventer l’eau chaude avec cette collection. Je n’ai d’ailleurs jamais eu cette ambition", poursuit l’Anversois. "Mon travail est toujours ancré dans des références historiques, des archétypes et des éléments traditionnels, mais il s’appuie aussi beaucoup sur l’émotion et la poésie. Et il est sensuel et profondément humain."
"Je n’ai pas eu à réinventer l’eau chaude avec cette collection. Je n’ai d’ailleurs jamais eu cette ambition. Mon travail est toujours ancré dans des références historiques, mais il s’appuie aussi beaucoup sur l’émotion, la poésie et l’humain."Vincent Van Duysen
"Je ne conçois jamais d’architecture pour l’architecture. Ni de design pour le design. Dans mon travail, l’architecture ne consiste pas seulement à construire avec des volumes et de la lumière. C’est un ensemble total, que l’on appelle ‘abitare’ en Italie: un art de vivre à la croisée de l’architecture, de la décoration d’intérieur, de l’ameublement et de la mode. Mon travail doit avant tout respirer le bien-être: une osmose intemporelle entre confort, esthétique et qualité. Enraciné dans la tradition et indépendant des tendances."
Stupéfaits par la nouvelle
Curieusement, la nouvelle de la collection Van Duysen x Zara Home est arrivée juste au moment où H&M annonçait le lancement d’une capsule avec India Mahdavi, célèbre architecte d’intérieur franco-iranienne. Notre premier sentiment a été qu’elle volait la vedette à Van Duysen. "La grande différence, c’est que, chez nous, il ne s’agit pas d’une collection capsule: c’est une collaboration à part entière qui se poursuivra après ce premier drop."
La collection sera disponible en ligne dans le monde entier à partir du 30 juin, ainsi que dans certains magasins qui n’ont pas encore été sélectionnés. Et il est même prévu de l’étoffer. Van Duysen serait-il le premier d’une longue lignée de designers invités? Est-ce que Zara va faire appel à David Chipperfield et John Pawson l’année prochaine? "Franchement, je ne sais pas. Mais, personnellement, je pense que je serai le seul designer à collaborer avec Zara Home."
Autre fait marquant: la ligne ‘Zara Home by Vincent Van Duysen’ n’a pas été présentée au Salone del Mobile de Milan, mais deux semaines plus tard, à l’occasion de la Fashion Week de Paris. L’architecte belge a ainsi évité de provoquer un différend avec ses autres clients pour lesquels il présentait des nouveautés, dont Molteni&C, label pour lequel Van Duysen officie en tant que directeur artistique depuis 2016. Ou Flos, la marque italienne avec laquelle il édite habituellement ses luminaires. Ou encore Bulo, qui a présenté le ‘VVD Bistro’ au dernier Salone del Mobile.
Quelle est donc, à son avis, la grande différence entre créer pour Molteni ou pour Zara? "Chez Molteni, je dois me mettre dans la peau d’une marque de design italienne témoignant d’une longue tradition de collaboration avec des grands noms de l’architecture, comme Tobia Scarpa, Luca Meda et Giò Ponti. Le fait que je puisse m’inscrire dans leur sillage en tant qu’architecte belge m’emplit de fierté. Je peux facilement m’identifier à la culture d’entreprise et au goût italiens, car je me sens à moitié italien. Je parle un italien presque parfait et c’est là-bas que j’ai commencé ma carrière."
En effet, diplôme en poche, Vincent Van Duysen s’est rendu à Milan, à la fin des années 80, pour travailler dans l’agence de l’architecte-designer Aldo Cibic, une légende qui travaillait alors avec le groupe Memphis du célèbre Ettore Sottsass. En plein postmodernisme, le Belge a conçu pour lui la collection ‘Standard’, une ligne d’objets d’intérieur ‘humanistes’ épurés, que Cibic a présentés chez lui, dans son loft milanais. On peut dire que, avec la collection Zara Home, il fait la même chose: à une époque de tendances criardes en matière de design d’intérieur, il conçoit des meubles essentiels, greffés sur le style qui anime sa propre habitation.
De Gainsbourg à Lindbergh
Bien que Zara et Zara Home soient des marques accessibles, leurs équipes travaillent avec la crème de la crème, un aspect qui a également convaincu Van Duysen d’accepter cette collaboration. "Ils ont déjà travaillé avec, entre autres, Charlotte Gainsbourg, Fabien Baron (directeur créatif des dernières campagnes Zara Home) et les plus grands noms de la photographie de mode, dont Peter Lindbergh, Steven Meisel et François Halard. Pouvoir faire partie d’une équipe aussi prestigieuse est un honneur pour moi", déclare Van Duysen.
"Peu après leur demande, j’ai été invité dans la ville espagnole de La Corogne, où se trouve leur siège. Zara y organisait une grande exposition consacrée au photographe de mode Peter Lindbergh. Lors du dîner de gala, j’étais assis à la table d’honneur, à côté de Marta Ortega. Ce soir-là, il y avait la foule des grands jours: des mannequins, des créateurs de mode célèbres, des réalisateurs de talent et des make-up artists de classe internationale. Le respect qu’ils m’ont témoigné ce soir-là, tant pour mon travail que pour ma personne, est tout à fait réciproque."
Le monde extérieur manifeste souvent moins de respect pour Zara, car le géant de la mode est aussi l’un des acteurs majeurs de la fast fashion, ce qui soulève de sérieuses questions sur la qualité, l’écologie, les conditions de travail et les droits d’auteur. "C’est vrai, ils sont nombreux à se poser des questions, et c’est leur droit le plus strict. Mais, dans la pratique, chez Zara, les normes de qualité sont incroyablement élevées", commente Vincent Van Duysen.
"Leurs équipes sont aussi extrêmement bien organisées et, ça, je l’ai remarqué lors de ma visite sur place, à La Corogne. Le siège de Zara est subdivisé en différents campus lumineux et ultra clean -on pourrait manger par terre! Le fondateur, Amancio Ortega, travaille parmi ses employés dans un gigantesque open space. Il est là, tout simplement, sans se mettre au-dessus de son personnel; il est l’un des leurs. Et, en tant qu’être humain, c’est une chose que j’apprécie. Malgré les critiques, c’est une belle entreprise, avec une philosophie humaniste et une attitude respectueuse envers la planète et ses habitants. Cet aspect aussi était essentiel pour moi, sans quoi je n’aurais pas accepté de faire cette collaboration."