The Bruno Effect, le nouveau site de vente en ligne de design, d’antiquités et de vintage, ambitionne de concurrencer 1stDibs, Pamono et Chairish.
"Nous avons aussi dû attendre la sortie de la première Tesla. Et, regardez maintenant!" Carmine Bruno, fondateur de la nouvelle plateforme en ligne The Bruno Effect, ne se soucie plus du fait que le lancement de son site ait été reporté à plusieurs reprises pour être enfin mis en ligne à la mi-novembre.
"Le retard n’était dû ni au Brexit ni à la pandémie, mais au fait que nous réfléchissions non-stop à de nouvelles fonctionnalités, comme notre magazine en ligne ou les 'curator’s choices'. On n’a qu’une seule chance de réussir un lancement: il ne faut pas perdre les premiers clients."
Cependant, une question se pose: si, il y a dix ans, le site web 1stDibs a déjà fait entrer le secteur des antiquités et du design dans le XXIe siècle numérique, que peut apporter un nouvel acteur comme The Bruno Effect? Comment une petite start-up peut-elle rivaliser avec un géant comme 1stDibs, coté au Nasdaq et dont le holding bruxellois Sofina est l’un des principaux actionnaires? Voilà le défi que doit relever The Bruno Effect, dernière venue des plateformes en ligne d’antiquités, de vintage et de design de collection.
Simple relais
Que les choses soient claires: Carmine Bruno n’a aucun lien avec Michael Bruno, fondateur de 1stDibs. Cependant, le Britannique ne connaît que trop bien le fonctionnement de la place de marché en ligne américaine, car il y a travaillé jusqu’en 2019. "Concrètement, j’ai participé au développement de l’activité aux États-Unis", explique-t-il. Comme écrit dans le dernier rapport, 1stDibs est toujours le plus grand acteur de ce marché: en 2020, 58.000 pièces y ont été vendues, dont 81% rien qu’aux États-Unis.
"The Bruno Effect va procéder de manière radicalement différente: ça n’a aucun sens de choisir le même business model que 1stDibs, Pamono ou Chairish. Ces acteurs perçoivent tous un pourcentage sur les transactions (20 à 30%) et demandent une cotisation aux marchands. Ils s’insèrent entre le client et le marchand, ce qui nuit à la transparence des échanges. Chez The Bruno Effect, nous sommes un simple relais, nous ne facturons pas de commission: les vendeurs ne règlent qu’une cotisation de 10.000 euros par an maximum. Nous laissons l’acheteur et le vendeur communiquer directement et librement entre eux."
Transparence de transaction
Ce modèle commercial, qui permet aux vendeurs de ne plus répercuter ni cotisations ni commissions, devrait conduire à des prix plus abordables. Car, en effet, les prix (sur)gonflés ont quelque peu perturbé le marché ces dernières années. Tous les marchands de design en ont fait l’expérience: en se basant sur les prix qu’ils voient sur 1stDibs, les gens pensent qu’ils possèdent un trésor.
Alors, fait-on des affaires sur The Bruno Effect? Actuellement, les prix sont encore relativement similaires. Par exemple, une paire de tabourets de bar de Philippe Starck coûte exactement le même prix sur les deux plateformes. Par contre, la même commode signée par Giò Ponti est 1.000 euros plus chère sur 1stDibs que sur The Bruno Effect. Pour un rare lampadaire seventies de Willy Rizzo, c’est le contraire.
Pour le moment, la différence réside plutôt dans la transparence de la transaction. Quand on achète quelque chose sur 1stDibs, on ne sait pas directement qui est le vendeur; seul le lieu d’expédition de la pièce est connu. Chatter est possible uniquement via le site web et le paiement ne s’effectue pas directement auprès du commerçant. "Avec The Bruno Effect, nous sommes un antidote aux leaders du marché. Nous offrons une plateforme sur laquelle on peut contacter directement le vendeur. Et surtout, nous ne devons pas faire baisser la qualité de notre offre pour soutenir notre croissance."
Convaincus de la première heure ou récalcitrants?
La start-up affirme qu’elle veille à cette qualité en invitant les marchands qu’elle souhaite accueillir sur sa plateforme. À ce jour, 1stDibs rassemble 4.200 marchands, pour plus d’un million de pièces en ligne. The Bruno Effect, de son côté, travaille avec quelques centaines de marchands (le nombre exact ne nous a pas été communiqué), pour environ 30.000 pièces. "À partir d’une liste de 4.000 marchands, nous en avons d’abord sélectionnés 1.200 susceptibles de correspondre à l’ADN de The Bruno Effect avant de les inviter. Postuler aujourd’hui n’a pas beaucoup de sens: il y a déjà une liste d’attente", déclare Bruno.
En Belgique, Alain Hens et Boris Devis (Goldwood Interiors à Anvers) comptent parmi les convaincus de la première heure. "Il s’agit de deux marchands de design au profil unique et au goût très personnel", explique Bruno. Depuis, l’antiquaire Didier Abbeloos (Schellebelle), a également accepté de participer à l'aventure.
"Chaque plateforme a son groupe cible", explique Devis. "Mais The Bruno Effect est actuellement plus sélective que les autres. Je propose les mêmes pièces sur plusieurs plateformes. Et, en principe, les prix sont les mêmes sur toutes ces plateformes." C’est en effet plus ou moins le cas pour Hens: sa table "Metaphora 3" de Massimo Vignelli (1985) est affichée à 5.500 euros sur The Bruno Effect et à 6.000 euros sur VNTG.com, mais certains autres marchands affichent sur leur boutique en ligne des prix nettement plus bas que sur The Bruno Effect.
Pour le moment, d’autres grands marchands belges ayant reçu une invitation ne sont pas prêts à sauter le pas. "Ils m’ont harcelé comme un vendeur d’isolations, mais si tout le monde est satisfait, je m’y affilierai... plus tard", confie un marchand. Un autre exprime ouvertement ses doutes quant aux chances de succès de ce nouvel acteur: "Il est pratiquement impossible de rivaliser avec un géant comme 1stDibs. Depuis qu’elle vend aussi des NFT (jetons non fongibles) et organise des ventes aux enchères, cette société fait boule de neige."
Un autre absent notable parmi les marchands est (pour l’instant) Morentz. Avec son offre gigantesque, le spécialiste néerlandais du design vintage est devenu incontournable dans son domaine, mais, pour le moment, il continue à vendre sur son propre site et surtout via 1stDibs. "Quand nous aurons 700 à 800 marchands sur notre site, nous pourrons peut-être convaincre ces grandes pointures de nous rejoindre", déclare Bruno. "Nous ne pouvons pas imposer l’exclusivité à nos marchands: s’ils choisissent de vendre sur d’autres places de marché en ligne, c’est très bien. Avant, ils devaient s’en remettre aux leaders du marché; maintenant, ils ont une alternative."
Pionnier
Carmine Bruno s’intéresse au monde du design et des arts appliqués depuis presque vingt ans. Il a débuté sa carrière en 2003 en tant que marchand d’art à la Park West Gallery de Sourthfield, dans le Michigan. À peine quatre ans plus tard, il fondait Online Galleries Limited, un pionnier du numérique dans le secteur.
"Le monde du design a été lent à monter dans le train de la révolution numérique. Les meubles et les objets de collection étaient encore principalement des activités hors ligne, dominées par les ventes aux enchères. J’ai continué à réfléchir à de nouvelles manières de faire progresser les acteurs de ce secteur, sans perdre leur atout le plus important: la relation avec leur clientèle. C’est ainsi qu’est née Online Galleries, une plateforme sur laquelle vendeurs et acheteurs pouvaient vendre ou découvrir des pièces absolument uniques."
En 2012, son entreprise est rachetée par, on vous le donne en mille, 1stDibs! Bruno suit le mouvement et devient managing director de 1stDibs au Royaume-Uni. Aujourd’hui, il reprend donc son indépendance en lançant The Bruno Effect, une plateforme qui, selon lui, "répond aux besoins des marchands, des designers et des acheteurs d’aujourd’hui."
Le "Vetting"
Ainsi, The Bruno Effect fonctionne comme une foire d’art: la plateforme loue des espaces sur son site web à des marchands et ne s’implique pas dans les transactions. Et, surtout, elle ne donne absolument aucune garantie en termes d’authenticité et de provenance.
"Ce que l’on appelle le 'vetting', la vérification, se passe au niveau du marchand", explique Bruno. "Nous sélectionnons les marchands en fonction de leur réputation, ce qui devrait déjà éviter 90% des problèmes. S’il devait, malgré tout, y avoir un problème, la discussion se déroulerait entre l’acheteur et le vendeur. Mais nous surveillons de près l’inventaire de nos vendeurs afin de vérifier que tout est correctement décrit. Une erreur peut toujours arriver, surtout dans notre secteur. Par contre, si nous constations que des marchands donnent délibérément des informations incorrectes, nous prendrions des mesures."
La wishlist de Carmine Bruno, fondateur de The Bruno Effect
1. Fauteuil "Arighi" (1986), Umberto Riva pour Poltronova. 3.800 euros chez Compasso à Milan, via The Bruno Effect.
2. Aurora Clock restaurée en aluminium. 1.800 dollars chez Bridges over Time à Palm Springs, via The Bruno Effect.
3. Armoire "Wil Toro" de Mireille Rivier et Paolo Pallucco, de 1982. Prix sur demande
chez Alain Hens à Anvers, via The Bruno Effect.
4. Enfilade "Cansado" de Charlotte Perriand pour Steph Simon. 19.800 euros chez Dada à Barcelone via The Bruno Effect.
5. Pendule Louis XIV en marqueterie Boulle, datant de 1720 environ, mouvement signé "Le Siamois Paris". 53.000 euros chez Frank Partridge via The Bruno Effect.
6. Lampe architecturale avec contrepoids et bras télescopique, datant de 1970 environ. 3.900 euros à la Galerie Martynoff via The Bruno Effect.