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La sculptrice et les astrophysiciens

©Antoine Doyen

Alors que l'homme va faire de la Lune son pied-à-terre, Anilore Banon rassemble les forces de l'art et de la science pour envoyer une sculpture sur notre satellite naturel.

Csomme socle, la croûte lunaire. Comme éclairage, les rayons du Soleil. Pour l'installer, il faudra une navette spatiale et des astronautes. La sculpture de Vitae Project est hors cadre, hors norme, hors-champ. Une oeuvre d'art - mouvante - sur la Lune. Le projet est intriguant. Œuvre mégalo d'un artiste à l'ego surdimensionné? Commande d'un mécène qui veut en jeter plein la vue? Dernière toquade d'Elon Musk, le CEO de SpaceX? Ou véritable projet artistique? Il fallait en avoir le coeur net. Un matin, nous avons donc pris la simili fusée rouge, posée sur rails, qui mène à grande vitesse sur la planète parisienne. Le ciel est d'un bleu stratosphérique et la peuplade locale s'aménage des plages sur les berges de la Seine. Dans le 19e arrondissement, une porte en bois sans numéro s'ouvre sur Anilore Banon. Chevelure vaporeuse d'un doux roux, visage lumineux, poignée de main franche. La sculptrice française est une spécialiste des pièces monumentales, en métal. On lui doit notamment "Les Braves", un hommage au courage installé sur la plage d'Omaha Beach en Normandie (15 tonnes, 9 mètres de hauteur).

Globe-trotteuse, elle s'est posée à New York, pendant une dizaine d'années, mais elle a pris ses quartiers à Paris depuis bientôt 15 ans, dans une ancienne chaudronnerie cédée par le chaudronnier en retraite. Un passage de témoin qui n'est pas pour déplaire à cette chercheuse de liens. L'endroit est grand, les murs de pierres ou de briques, des plaques de toit transparentes conduisent la lumière du jour. C'est coloré, vivant, chaleureux. Des dessins, des sculptures - petites et grandes -, des meubles personnalisés, un masque de soudeur ici, de la ferraille là et, dans la pièce du fond, la "clean room". Une tente, gonflée à l'air filtré, qui permet de travailler dans les conditions réelles d'une expédition en navette spatiale, c'est-à-dire sans germes, poussières ou autres particules indésirables. Comme un petit bout de Nasa, une bulle de science soufflée dans l'antre de l'art. L'image résume, à elle seule, toute la nature du projet combinant art et science.

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La graine

L'idée a d'ailleurs germé d'une discussion entre l'artiste et un membre de la Nasa, lors d'une fête chez un journaliste (comme quoi, tant les fêtes que les journalistes peuvent avoir une utilité). "Il me disait qu'ils étudiaient la possibilité de bâtir une vraie vie sur la Lune. Comme je lui répondais que ce ne pourrait pas être une vraie vie, la discussion s'est enclenchée. Que manquerait-il? Au moins l'art, lui ai-je répondu", relate, sans forfanterie, Anilore Banon. Cette poussière de Lune vient se poser dans l'esprit de la sculptrice. "Chaque travail m'amène à l'autre. 'Les Braves', qui célébraient le courage, les événements (tours qui tombent, tsunami, etc.) m'ont amenée vers la notion de fraternité. Mais une fraternité qui naît toujours autour de choses négatives, tragiques. Je voulais essayer de donner à voir la fraternité autour de choses positives. Il fallait un lien puissant pour que les humains aient envie de se retrouver, quelque chose d'assez fort pour rassembler. Et la Lune est un lien qui réunit l'humanité depuis la nuit des temps. On vit à son rythme, elle fait partie de la mythologie de toutes les cultures, elle est universelle", enchaîne-t-elle.

Poser une oeuvre d'art sur la Lune. Si ce n'est pas nouveau (voir encadré), Anilore Banon a sa vision, bien à elle, d'envisager la chose. Elle la voit comme une trace - positive - de l'humanité rassemblée dans un projet commun, tournée vers l'avenir. "Je voulais que cette sculpture parle de la vie, et donc qu'elle soit 'vivante', 'respirante', qu'elle bouge. Et qu'elle contienne des traces de l'humanité. Là, le symbole de la main s'est imposé: la main comme ces premières empreintes sur les parois des grottes, la main comme lignes de vie, et comme lien avec l'autre", explique l'artiste.

Les tuteurs

Ses critères sont clairs: il faut un nombre de mains important, il faut que la sculpture soit 'vivante', qu'elle soit visible d'ici et qu'elle puisse rentrer dans une fusée. C'est donc ce qu'on appelle un projet fou. Enfin, fou pour un individu lambda. La première réaction de l'astrophysicien Jean Audouze a été: "Et où, sur la Lune, voulez-vous la mettre?" Non pas: "Comment?" "Mais vous n'y pensez pas!" "C'est irréalisable!" Au lieu du "mais..." qui bloque, il pense la suite "et...". C'est là qu'art et science se rejoignent, dans cette même vision: avancer, en laissant de côté les impossibles et les contraintes. C'est pour cela que le courant est tout de suite passé entre l'astrophysicien et la sculptrice. "On partage le même avis. L'art et la science sont des démarches extrêmement voisines: elles vont vers la création. C'est la même famille intellectuelle", nous dit, de sa voix bienveillante, Jean Audouze. L'homme a été un maillon important de l'entame du projet, par son soutien, son carnet d'adresses, son aura scientifique. Une autre impulsion capitale est venue de Philippe Forestier, l'un des fondateurs de Dassault Systèmes. "Elle m'a appelé un jour. Je ne la connaissais pas. Et elle me dit qu'elle rêve de poser une structure de métal sur la Lune. C'est le genre de challenges techniques qui nous happent", nous raconte-t-il au sortir d'un conseil d'administration.

La serre

Sur son impulsion, Dassault Systèmes, spécialiste des solutions logicielles 3D, met sur pied une équipe pour les études de faisabilité. Une grosse douzaine d'ingénieurs et d'experts s'attaque à la gageure. Enfin, le singulier est réducteur. "Vous travaillez en tonnes, nous en grammes", signalent à Anilore Banon les ingénieurs spatiaux. Ce sont donc des matériaux ultra légers qui sont choisis: le Nitinol (un alliage de nickel et de titane) ainsi que le Kapton et le Mylar, des films qui ressemblent aux couvertures de survie. Il faut aussi prendre en compte les immenses écarts de températures sur la Lune: de -170°C à + 120°C entre la nuit et le jour lunaire. Pour rendre visible la sculpture depuis la Terre, les rayons du Soleil doivent être capturés afin d'être renvoyés en un faisceau lumineux. Comment faire, aussi, pour que la sculpture soit mobile, sans mécanisme? Là, ce sont des matériaux à mémoire de forme qui répondent aux attentes. "On les éduque, dans des fours, à avoir certaines formes et ils y reviennent à une température donnée", résume Anilore Banon. La liste est longue. L'artiste et l'équipe scientifique y travaillent pendant trois ans, en contact régulier grâce aux communications vidéo deux fois par semaine.

Un premier test est effectué en octobre 2012, via un ballon stratosphérique. La prochaine grande étape, c'est le test en microgravité, dans la Station spatiale internationale. Une version réduite de la sculpture est actuellement en attente du prochain vol SpaceX 10, prévu normalement pour novembre prochain. Sachant qu'avec les missions spatiales, les échéances fluctuent beaucoup. Quant à l'alunissage de la sculpture définitive, il aura lieu d'ici deux ans, au mieux. "Il en va toujours ainsi des projets spatiaux, signale Jean Audouze, c'est long. Au minimum dix ans." Les mois qui viennent, Anilore Banon les met à profit pour récolter les empreintes de mains qui orneront la sculpture. Les ingénieurs ont calculé qu'il pouvait y en avoir un million. Un travail de fourmi, puisqu'il faut récolter, une à une, les photos de mains qui seront ensuite numérisées. Tout un chacun peut envoyer la sienne via le site du projet, moyennant une participation financière. Et Anilore Banon ne se départit jamais de sa tablette numérique: rencontres, écoles, projets sociaux sont autant d'occasions. Une exposition itinérante parcourra une partie du monde: dans un container, les visiteurs auront, à leur disposition, une dizaine de tablettes pour laisser leur empreinte.

L'arrosage

La progression, étape par étape, du projet laisse aussi le temps pour trouver des solutions au problème principal: le financement. Anilore Banon est une artiste installée, elle a des collectionneurs privés qui la suivent et qui l'ont aidée pour le démarrage du projet. Elle a aussi un carnet d'adresses. Son père, Gabriel Banon, est un homme d'affaires et un consultant international. Il a conseillé, notamment, Georges Pompidou et Yasser Arafat. Ex-épouse de l'homme politique Pierre Lellouche, elle est la soeur de Patrick (écrivain) et Bruno Banon (metteur en scène) et la demi-soeur de Tristane Banon. Dans le comité d'honneur de "Vitae Project", on trouve notamment Jean-Pierre Raffarin et le Baron David de Rothschild. Elle a du soutien et ses entrées, néanmoins la tâche est ardue. Ce sont des millions qu'il faut trouver. Rien que le transport pour faire alunir la sculpture coûte 1 à 1,5 million le kilo. "Vitae fera 1,5 kg pour 2 mètres de diamètre. Le coût est l'équivalent d'une dizaine de spots publicitaires de 30 secondes", formule l'artiste. Et il faudra à peu près la même chose pour la fabrication de l'oeuvre finale. Le mécénat, le crowdfunding, le sponsoring et la vente de ses sculptures permettent d'avancer, par étapes.

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L'épanouissement

Mais, dans le fond, pourquoi tant d'énergie pour une sculpture que personne ne pourra voir? "Parce que l'oeuvre, c'est le chemin, répond l'artiste dans un sourire baigné d'évidence. C'est une oeuvre participative pour montrer qu'on peut se réunir sur un projet commun, en regardant l'avenir de façon positive. Aujourd'hui, les gens ont peur. C'est le pire. Ici, on montre qu'ensemble on peut faire des choses belles. Ce n'est pas du tout Bisounours. Pour lutter contre ceux qui veulent séparer, il faut se battre pour préserver l'unité, en faisant le choix de s'engager dans une énergie positive. Et ne pas avoir peur de demain. Il faut aussi montrer ce que l'humanité a de bien. C'est un choix. C'est aussi ça, l'humanité, ce n'est pas que la barbarie."

Certains pourraient y voir une forme de violence de l'homme à vouloir ainsi marquer son territoire jusque sur cette pauvre Lune... Pour Anilore Banon, de tout temps, l'homme a laissé sa trace. C'est humain. Et là, c'est une trace positive, celle d'une humanité rassemblée. "Il faut arrêter d'opposer la nature et l'homme. Penser l'harmonie des deux permettrait d'avancer. Vivre en harmonie avec la nature ne veut pas dire que l'homme n'existe pas. C'est une harmonie, c'est-à-dire une alliance", fait-elle valoir.

La relation entre la Lune et les hommes est, de toute façon, en passe de devenir intime. L'homme a touché le satellite en 1969 et va s'y installer "dans 10 à 20 ans", estime l'astrophysicien Jean Audouze. "Dans la mesure où la Lune va bientôt être la zone avancée de l'humanité, la première marche en dehors de la Terre, que des gens iront la visiter et d'autres y travailleront, je trouve ça important que l'oeuvre d'un artiste accompagne ces activités", enchaîne-t-il.

Après avoir posé le pied sur la Lune, on va donc y poser une fleur, dans un geste extraordinairement banal d'agrémenter un nouveau chez-soi.

L'art de décrocher la Lune

Mission: impossible? Une idée qui ne fait pas partie de l'univers des artistes, ni de celui des ingénieurs. Alors, quand les deux unissent leurs forces, on assiste à l'incroyable. Poser une sculpture mouvante sur la Lune et la rendre visible de la Terre. "Vitae Project", c'est une artiste, des ingénieurs à la douzaine et des années d'élaboration. Mais pourquoi?

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