Mourir, c'est tout un art!
Le départ de Christian de Duve, l’un des plus brillants hommes que la Belgique a connus, a été l’occasion pour ce très grand scientifique d’organiser la "mise en scène" de sa propre mort. Et d’envoyer quelques derniers messages puissants dans une interview posthume parue dans le journal "Le Soir". Au-delà de cette disparition dramatique, cette étrange opération de communication est de nature à faire réfléchir tout un chacun sur la meilleure façon de quitter cette vie et, surtout, sur le traitement médiatique dont il espère bénéficier à cette occasion. À ceux qui entendent donc que leur mort ne passe pas inaperçue mais soit au contraire célébrée par la presse (écrite), il convient de rappeler une série de règles à suivre impérativement.
Un, il faut bien choisir le jour de son départ. Le samedi est ainsi à déconseiller car télés et radios risquent de "tartiner" tout le week-end sur le sujet qui aura donc vite un goût de déjà-vu, avec le risque que la nouvelle ne fasse plus l’objet que d’un entrefilet dans le journal du lundi.
Choisir le bon moment c’est aussi éviter les jours d’embouteillages et opter pour une journée durant laquelle aucune autre personnalité célèbre ne passe de vie à trépas. Les journaux n’ayant pas envie de ressembler à une nécrologie géante, ils risquent de faire des choix drastiques et d’ignorer un décès qui serait considéré comme "secondaire". Car c’est bien connu, "trop de morts tue le mort"!
Deux, il faut bien préparer la chose. À cet égard, manifester quelques signes "avant-coureurs" ou laisser se répandre des rumeurs sur son état de santé n’est pas inutile. Cela met les journalistes en alerte et cela leur permet de préparer une bonne "bio", bien documentée, pour le jour où… Les disques durs des journaux sont remplis de ces dossiers déjà tout préparés et prêts à être publiés sur-le-champ en cas d’annonce du décès d’une personnalité. Ne reste plus au journaliste qu’à appuyer sur le "bon bouton" — dans le cas contraire, il enverra dans l’au-delà un individu plus vivant que jamais, ce qui est déjà malheureusement arrivé…
Attention: on peut manifester des signes avant-coureurs mais il ne faut surtout pas en faire trop. Dans ce domaine, les cas de Jean-Paul II ou de Fidel Castro, dont on ne sait plus très bien s’il est mort ou vivant, constituent des contre-exemples à ne pas imiter.
Une autre manière de bien préparer le terrain est d’accorder un dernier entretien à paraître après son décès et qui fera beaucoup de bruit. Le journaliste qui aura recueilli ces dernières confidences en sera particulièrement fier et ne manquera pas de mettre en avant cette belle prise avec une formule choc ("La dernière interview de Untel" ou "Ce que Monsieur Machin voulait vraiment dire avant de mourir"). Le seul hic, évidemment, est que le principal intéressé ne sera pas là pour vérifier que ses propos auront été bien compris et reproduits, tout droit de réponse devenant impossible en l’occurrence.
Trois, il faut songer à l’illustration du futur article d’hommage. À cet égard, il sera intelligent, par exemple, de se faire prendre en photo à l’approche du grand jour dans une posture ou avec une attitude qui sera bien adaptée aux tristes circonstances: un salut de la main, avec un peu d’émotion dans le regard, ou un cliché montrant le futur décédé tournant le dos à l’assistance seront particulièrement appréciés par les metteurs en page pour leur puissance symbolique.
Quatre, enfin, il faut toujours penser à évoluer avec son temps. Demain, sans doute, on annoncera soi-même son décès sur Twitter, Facebook ou LinkedIn via un changement de statut, par exemple. Une manière de rester branché à l’instant même où l’on retire la prise. Morituri te salutant!
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