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"Un échec peut mener à un succès, à condition d'en tirer les leçons"

Eddy Debrulle, directeur des RH et Bart De Smet, CEO d’Ageas ©Studio Dann

“Si vous attendez d’avoir toutes les certitudes, vous arrivez trop tard.” Il est surprenant d’entendre un tel commentaire dans la bouche d’un assureur, mais c’est la réponse logique à la période de grands changements à laquelle nous faisons face. “Car la réalité d’aujourd’hui peut être totalement différente de celle de demain.”

“Nous pourrions – façon de parler, bien sûr – envoyer un homme sur la Lune, mais ne l’écrivez pas en ces termes: la Sûreté de l’État débarquerait chez nous en moins temps qu’il n’en faut pour le dire!”, avance Bart De Smet, CEO d’Ageas, avec un clin d’œil. Le message est clair: le groupe d’assurance belge dispose d’une expertise technique de haut vol, y compris des spécialistes en physique nucléaire. Toutefois, ces connaissances ne suffisent pas, nuance le CEO. “Bien entendu, nous avons besoin de profils spécialisés – ingénieurs, actuaires et statisticiens, notamment. Dans des domaines tels que la gestion des risques, ils sont incontournables. Mais nous devons aussi veiller à ce que ces spécialistes ne demeurent pas dans leur tour d’ivoire et comprennent clairement ce que les clients nous demandent et ce dont ils ont besoin.”

Pour tirer le meilleur parti de vos spécialistes, vous devez disposer aussi de généralistes, résume Bart De Smet. “Voici 35 ans, quand j’ai commencé ma carrière dans le monde financier, tout le monde ou presque était spécialiste. Nous ne disposions que de très peu de généralistes. Les chefs de service étaient pour la plupart des ‘techniciens’. À cette époque, on n’attachait pas beaucoup d’importance à leurs qualités de leadership et à leur intelligence émotionnelle.”

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Les choses ont bien changé. “Nous avons besoin de leaders qui ont vécu des situations diverses et qui sont capables d’utiliser cette expérience pour piloter une entreprise. Ils ne doivent pas nécessairement tout connaître de A à Z dans leur domaine de responsabilité. Les experts sont là pour ça! Ce qui compte avant tout, c’est leur capacité de créer une bonne alchimie au sein de leur équipe.”

Eddy Debrulle, directeur des RH, renchérit: “Le défi consiste à permettre aux collaborateurs de se développer dans les domaines où ils excellent. Certains préfèrent travailler en profondeur et avec des modèles complexes; d’autres, s’investir dans les applications commerciales de ces modèles et œuvrer en équipe à leur développement.”

Tout ceci se passe dans un monde financier en pleine mutation. Le secteur des assurances n’échappe pas à l’influence de la numérisation, de l’automatisation et de l’intelligence artificielle. Pensez aux domiciles connectés, où la machine à laver indique la présence d’une fuite alors que personne n’est à la maison, ou encore aux assurances auto dont la prime dépend du comportement des assurés au volant.

Quel est l’impact de ces changements sur les emplois dans le secteur des assurances?

Eddy Debrulle: “Ces dernières années, nous avons vu évoluer les fonctions, mais progressivement, sans choc important. Il est clair que les technologies se développent de manière exponentielle. Cependant, leur intégration – en particulier dans un contexte professionnel – prend plus de temps. Il y a quelques semaines, lors de notre séminaire RH à Édimbourg, j’ai demandé, en introduction, qui connaissait l’application Slack (un outil en ligne pour échanger des informations et des documents, NDLR). Résultat: peu de participants semblaient en avoir entendu parler. Il n’est pas question ici de suivre tous les hypes, mais de réaliser que tout change en permanence, et de plus en plus vite. Si nous en sommes conscients, nous pouvons identifier à temps les opportunités et pas uniquement les menaces potentielles.”

"Les leaders ne doivent pas nécessairement tout connaître de A à Z dans leur domaine de responsabilité. Les experts sont là pour ça! Ce qui compte avant tout, c’est leur capacité de créer une bonne alchimie au sein de leur équipe.” Bart De Smet, CEO d'Ageas
"Les leaders ne doivent pas nécessairement tout connaître de A à Z dans leur domaine de responsabilité. Les experts sont là pour ça! Ce qui compte avant tout, c’est leur capacité de créer une bonne alchimie au sein de leur équipe.” Bart De Smet, CEO d'Ageas ©Studio Dann
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Bart De Smet: “Une récente enquête de la société d’intérim Randstad révèle que le package salarial, l’atmosphère de travail et la sécurité de l’emploi sont les principaux éléments qui motivent un candidat à opter pour telle ou telle entreprise. Les ‘nouvelles technologies’ se trouvent tout en bas de la liste. Ne commettons pas l’erreur de penser que tous les travailleurs dans notre pays ont un profil de starter.”

“La majorité des collaborateurs se contentent d’un emploi ‘normal’, où ils peuvent tout simplement faire du bon travail. Tout le monde n’est pas prêt à se lancer dans les nouvelles technologies. C’est le principal défi des ressources humaines: faire en sorte que le fossé en matière de connaissances et d’expérience, entre la tête de l’entreprise et les autres collaborateurs, ne se creuse pas.”

Pouvez-vous citer un exemple de la manière dont Ageas aborde cette problématique?

Debrulle: “Il est frappant de constater que les collaborateurs adoptent plus vite les nouvelles technologies dans leur vie privée. Nous misons sur ce phénomène. Par exemple, lors de la ‘Digital Week’ de notre assureur belge, AG Insurance, les jeunes employés ont appris à leurs collègues plus âgés à utiliser l’application de navigation Waze. Cela les aide à éviter les embouteillages, bien sûr, mais cela modifie aussi leur façon d’utiliser leur smartphone. L’avantage est qu’ils voient d’un autre œil les applications que nous mettons à leur disposition dans le cadre professionnel.”

“Il est logique que les jeunes soient plus à l’aise avec la numérisation. Ils ont grandi avec les apps et les smartphones, devenus quasiment une extension d’eux-mêmes. Les entreprises doivent miser sur ce phénomène. Par exemple, une jeune collaboratrice du département RH a participé au développement d’une application destinée à accueillir les nouveaux collaborateurs. Nous avons beaucoup à apprendre de la facilité avec laquelle elle l’a réalisée.”

Existe-t-il, en matière de politique RH, des points d’attention particuliers envers les Millennials?

Debrulle: “Je n’aime pas classer les gens en catégories ou générations, comme le font volontiers les sociologues. Je considère que la réalité est un mélange de toutes les catégories. Parmi nos jeunes diplômés, certains sont très conservateurs. Et nous avons des quinquas qui aiment changer régulièrement. Leurs attentes sont donc différentes et nous devons en tenir compte dans nos réflexions. Les gens veulent surtout une bonne  ‘expérience employé’. Ils apprécient de relever des défis dans leur travail, de préférence d’une façon qui leur convienne.”

De Smet: “Nous ne pouvons pas avoir les mêmes attentes de chacun au même moment, car dans ce cas, certains décrocheront. Ceux qui le souhaitent doivent pouvoir saisir les opportunités. À l’inverse, il y aura peut-être un moment où un collaborateur préférera lever un peu le pied, ou aura envie de changer d’air pendant quelques mois. Notre entreprise doit être prête à accueillir ce type de demande.”

“Par ailleurs, nous voyons de plus en plus de changements horizontaux. Les collaborateurs refusent d’accomplir le même travail pendant 40 ans. Il n’est donc pas anormal qu’un employé passe par exemple du département sinistres aux RH.”

Ces changements n’induisent-ils pas des pertes en termes d’expertise?

De Smet: “Auparavant, pour être capable d’assurer un risque, il fallait suivre plusieurs mois de formation. Et l’on rencontrait souvent un chef de département qui faisait le job depuis trois décennies, qui connaissait tout par cœur et qui pouvait trouver sans problème l’information correcte. Aujourd’hui, les travailleurs ne restent plus aussi longtemps au même poste. Le grand défi – et c’est aussi un défi pour l’enseignement – consiste à apprendre aux gens où trouver les informations et comment les utiliser de manière créative. Nous pourrions par exemple résoudre cette question en créant une sorte de Wikipedia interne.”

Le monde est devenu plus complexe, avec davantage d’informations disponibles mais moins de temps pour prendre des décisions. Quelles sont les implications de ce changement?

Debrulle: “Les responsables doivent prendre rapidement des décisions sur la base d’informations très limitées. La ‘réalité’ peut être totalement différente d’un jour à l’autre.”

De Smet: “Il vaut mieux prendre une mauvaise décision que pas de décision du tout, et ce n’est qu’a posteriori que vous saurez si vous vous êtes trompé. Mais si vous attendez d’être certain à 100% pour agir, vous arriverez trop tard! C’est pourquoi il est capital de recevoir de l’input de plusieurs collaborateurs pendant la période d’analyse, pour arriver à la meilleure synthèse possible.”

Debrulle: “Nous adaptons nos méthodes de travail à ces changements de plus en plus rapides. Par exemple, nous passons plus vite à des mockups et testons certaines hypothèses pour évaluer leur pertinence et leur efficacité.”

De Smet: “Autrefois, en effet, nous ne lancions de nouvelles activités qu’après un long processus préparatoire. Parfois, notre business plan nous faisait miroiter des gains substantiels, alors que la réalité était tout autre. Aujourd’hui, nous nous contentons souvent d’une étude préliminaire sommaire, nous réalisons rapidement des tests pour effectuer ensuite des ajustements si nécessaire.”

Pouvez-vous donner un exemple?

De Smet: Back Me Up est une assurance en ligne qu’Ageas propose au Royaume-Uni et qui s’adresse aux Millennials, c’est-à-dire aux 18-34 ans. Moyennant une prime mensuelle fixe, ils peuvent assurer des objets auxquels ils tiennent, par exemple en prenant une photo et en nous l’envoyant. Nous avons décidé de lancer ce service après que des enquêtes auprès des jeunes eurent révélé leur intérêt pour ce type de produit. Hélas, dans la pratique, les ventes se sont révélées inférieures aux attentes. Le concept a donc été revu à plusieurs reprises, nous avons adapté l’offre, changé le site internet, les primes, et nous avons fait appel à une agence de communication disposant de plus d’expertise avec ce groupe-cible. Les lancements suivants ont donné de bien meilleurs résultats.” 

“Pendant notre ’Digital Week’, le leader du projet Back Me Up est venu présenter les 10 leçons qu’il avait tirées de ce projet. Ce collaborateur n’a pas été considéré comme un ‘loser’ mais comme quelqu’un qui avait appris énormément de choses dont l’entreprise allait pouvoir profiter. L’échec peut mener à un succès, à condition d’en tirer les leçons.”

Le groupe Ageas se compose de plusieurs entreprises. Comment réussissez-vous, à partir du siège social, à connaître le niveau de bien-être des collaborateurs dans les différentes entités?

Debrulle: “Nous organisons régulièrement des enquêtes de satisfaction et nous évaluons l’engagement de nos collaborateurs, afin d’obtenir une image globale. Nous n’y associons aucun plan d’action centralisé. Nous laissons aux entreprises du groupe le soin de prendre les initiatives. Car le contexte et les priorités des collaborateurs peuvent largement différer d’un pays à l’autre.”

Eddy Debrulle, directeur des RH : “Le défi consiste à permettre aux collaborateurs de se développer dans les domaines où ils excellent."
Eddy Debrulle, directeur des RH : “Le défi consiste à permettre aux collaborateurs de se développer dans les domaines où ils excellent." ©Studio Dann

De Smet: “Dans tout ce que nous réalisons, nous tentons autant que possible de déléguer la responsabilité au niveau local. Par exemple, nous n’imposerons jamais aux départements RH locaux la manière dont ils doivent recruter et former leur personnel.”

Dans quels domaines pourriez-vous améliorer encore la politique RH du groupe?

Debrulle: “Nous devons élargir notre définition du mot ‘talent’. Il ne s’agit pas uniquement des personnes qui ont un CDI, mais aussi des consultants et des collaborateurs temporaires de start-up qui viennent travailler chez nous. Nous évoluons en effet vers un mélange de collaborateurs internes et externes. C’est comme la réalisation d’un film, où vous rassemblez les meilleurs acteurs autour d’un projet spécifique. Pour le département RH, c’est parfois plus contraignant, car il est évident que nous connaissons mieux nos propres équipes. Il est parfois difficile de savoir avec précision combien d’externes travaillent pour nous! C’est un vrai défi de faire évoluer notre entreprise et le fonctionnement des RH en ce sens.”

Vous pourriez résoudre ce problème en les recrutant…

De Smet: “Ce n’est pas notre intention. Notre regard sur le monde extérieur de la fintech et de l’insurtech (les start-up qui, au moyen des nouvelles technologies, remettent en question la manière de travailler traditionnelle du monde financier et des assurances, NDLR) est une affaire de collaboration, pas de rachat ou d’investissements lourds. Car dans ce cas, vous courez le risque d’introduire dans votre entreprise des façons de penser et des modèles rigides, alors que nous avons précisément besoin de flexibilité et de nouvelles idées. Il est donc primordial de les laisser écrire leur propre histoire.”

“Nous croyons à un dialogue permanent”

Recevoir davantage de candidatures spontanées qu’il n’y a de postes à pourvoir est un luxe. Bart De Smet, CEO d’Ageas, trouve bien entendu positif que son entreprise soit aussi bien perçue sur le marché. Car il n’en a pas toujours été ainsi. “Après la chute de Fortis en 2008, il n’était pas évident d’attirer de nouveaux collaborateurs à cause des incertitudes planant sur notre avenir”, explique-t-il.

Peu après, les activités d’assurance ont été séparées du groupe Fortis et transférées au sein de Fortis Holding, rebaptisé Ageas deux ans plus tard. “Même si beaucoup de choses ont évolué en 10 ans, notre politique en matière de RH n’a pas fondamentalement changé”, poursuit Bart De Smet. “Nous entretenons toujours un dialogue constructif avec les partenaires sociaux, nous sommes toujours proches de nos collaborateurs, et nous continuons à leur offrir des opportunités. Nous n’avons jamais prôné les relations ‘patron-subalterne’. À l’inverse, nous avons constamment recherché un équilibre entre les intérêts de la société et ceux des personnes. La force d’une organisation, c’est le plaisir qu’ont les collaborateurs à travailler ensemble. Car on ne réussit jamais seul.”

“Il est important de bien communiquer”, confirme Eddy Debrulle, directeur des ressources humaines chez Ageas. “Nous croyons fermement dans le feedback permanent. Nous n’admettons pas qu’un employé se trouve face à une mauvaise surprise en fin d’année, au moment de son évaluation. Dans ce cas, c’est qu’il y a un problème, tant du côté de l’employé que du manager.”

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