Avec son Academy, Jan De Nul Group professionnalise la création et le transfert de connaissances. " Dans une petite entreprise, cela va de soi ; dans un mastodonte, il faut l’organiser. "
" La plupart des gens pensent que la Méditerranée est une espèce de grande étendue d'eau étale, avec de belles plages où l’on peut soigner son bronzage ", grimace Jan Pieter De Nul, administrateur délégué du groupe de dragage et de construction du même nom. " Mais quiconque y a travaillé sait qu’une tempête peut y prendre des proportions dantesques en quelques heures. Nos hommes en poste dans la mer glacée de Sakhaline doivent transmettre les connaissances qu’ils y ont accumulées à leurs collègues qui commencent à travailler dans des conditions similaires sur la péninsule de Yamal, dans le nord de la Russie. Ce ne sont que deux exemples de partage de connaissances rapide et naturel dans une petite entreprise, mais qu’il faut organiser dans un grand groupe. "
" Nous pouvons faire plus pour partager en interne des connaissances qui sont très abondantes dans notre entreprise ", reconnaît Yves Bosteels, directeur du nouveau département Connaissances, Processus et Innovation chez Jan De Nul. " Lorsque nous étions plus petits, tout était effectivement plus aisé. Les gars de la finance connaissaient le directeur du service technique, par exemple. Aujourd’hui, ces départements sont devenus si importants qu’ils sont davantage tournés sur eux-mêmes et qu’ils se parlent trop peu. "
C’est précisément la raison pour laquelle Jan De Nul a mis sur pied une Academy officielle. " Avec la Jan De Nul Academy, nous essayons de rassembler toutes ces connaissances sous un même toit ", explique Yves Bosteels. " Pourquoi par exemple organiser des Finance Days, puis des Project Manager Days quelques jours plus tard ? Tous ces gens ne doivent-ils pas travailler ensemble ? À partir de l’an prochain, nous organiserons ces journées de formation au même moment. "
Il faut savoir que le chef de chantier d’un projet à l’étranger est assimilable à un patron de PME
" Il est important que des membres de différents services comprennent le travail des uns des autres ", confirme Mieke Fordeyn, Director International Division. " Naturellement, nous organisons beaucoup de formations depuis longtemps, mais aujourd’hui, nous essayons de les regrouper davantage. "
Inaugurée officiellement début août, l’Academy a déjà accueilli quatre-vingts participants au cours des deux premiers mois. L’objectif est que chaque travailleur suive au moins une formation tous les trois ans. étonnamment, ils ne peuvent le faire que pendant leurs vacances. N’est-ce pas beaucoup leur demander ? Pas pour Julie De Nul. " C’est un investissement pour eux-mêmes. Il est donc logique qu’ils y sacrifient une petite partie de leur temps libre. "
" Il faut savoir que dans notre système, ceux qui sont envoyés à l’étranger travaillent pendant deux mois, puis ont un mois de congé ", complète Mieke Fordeyn. " Cela facilite grandement les choses. "
Chien battu
" Avec l’Academy, nous pouvons mieux aider nos collaborateurs à développer leur carrière ", explique Yves Bosteels. " Nous ne voulons pas proposer quelques jours de formation ici et là, mais une trajectoire structurelle. C’est ce que nous faisons déjà avec les ingénieurs qui ont l’ambition de devenir chefs de chantier, par exemple. Nous cherchons davantage à donner une base solide à leur carrière. "
Tout peut aller très vite, c’est la culture de l’entreprise. " Il est ingénieur civil, vient en droite ligne de son village, et a un regard de chien battu ", a écrit un jour Yves Bosteels sur le formulaire d’évaluation d’un jeune que le dragueur venait de recruter. Quelques semaines plus tard, après une brève formation au sein de la Jan De Nul Academy, il était déjà envoyé vers son premier chantier à l’étranger.
Cela ne signifie pas que les collaborateurs soient abandonnés à leur sort. Les ingénieurs débutants commencent par suivre une formation à la Jan De Nul Academy avant de pouvoir déployer leurs ailes. " Les connaissances académiques des diplômés universitaires que nous recrutons sont sans doute excellentes, mais elles ne se suffisent pas pour travailler sur un chantier ", explique Yves Bosteels. " C’est pourquoi nous leur donnons quelques semaines de formation supplémentaires. Une fois sur place, ils seront ainsi mieux à même de gérer les clients, les syndicats, les fournisseurs locaux et parfois une culture de la sécurité et de l’environnement strictement liée au projet. Naturellement, ils sont accompagnés et aidés par des locaux. Et pour leur première fois, nous ne les envoyons jamais sur les projets les plus difficiles. "
Cette formation pour starters dure environ quatre semaines. " Auparavant, c’était six, et elle abordait également des domaines plus lourds comme les assurances et la gestion de contrats ", explique Yves Bosteels. " Mais nous nous sommes rendu compte que c’était trop long et que cela comportait trop d’informations. Désormais, nous nous concentrons sur le métier de base comme les processus de dragage, le reste viendra plus tard quand la position l’exigera. Jusqu’à ce moment, le premier réflexe doit être de faire appel aux experts de l’entreprise en cas de problème. "
" Ils reçoivent un package de base que nous développons par la suite ", reprend l’administrateur délégué Jan Pieter De Nul. " Un jeune ingénieur sur un chantier peut par exemple être confronté à une garantie bancaire et n’avoir aucune idée de la manière dont elle fonctionne. Au début, il devra s’adresser à la bonne personne au siège et lui demander ce qu’il doit faire. Avec le temps, il apprendra des réponses obtenues comment fonctionne la garantie et pourra s’approprier ce processus. Cela aussi, c’est de l’apprentissage continu. "
Plus petites missions
Jan De Nul emploie aujourd’hui plus de 7 000 personnes dans le monde et veut continuer à recruter malgré des conditions économiques pas si florissantes. Pourquoi ? " En partie parce qu’il n’y a plus beaucoup de grands projets, ce qui nous oblige à investir dans de plus petites missions ", explique Julie De Nul. " Cela signifie que nous avons besoin de plus de gens. En outre, les grands projets offshore exigent énormément de préparation. "
Pour leur première fois, nous n’envoyons jamais les jeunes ingénieurs sur les projets les plus difficiles
Les jeunes recrues suivent la majorité des formations à Alost, les plus expérimentés sont principalement envoyés au siège au Luxembourg. Là, ils trouvent des formations continuées et des exercices destinés au personnel navigant, comme les pilotes et les opérateurs. Soit sur la terre ferme, à l’aide de simulateurs high-tech. " Il y a quelques années, nous avons aménagé une deuxième piste d’atterrissage pour l’aéroport de Brisbane en Australie : le sable devait être pompé sur une distance de sept kilomètres ", illustre Yves Bosteels. " D’un point de vue technique, c’était très compliqué. À l’époque, nous avons convoqué tout l’équipage pour réaliser une première fois le projet en simulateur. Nous leur avons ainsi soumis des problèmes avant qu’ils ne les rencontrent et ne doivent les résoudre. "
À quel point l’expérience fournie par les simulateurs se rapproche-t-elle de celle d’une drague suceuse ou à désagrégateur " réelle " ? " Les deux sont assez proches ", sourit Yves Bosteels. " Dans notre dernier simulateur au Luxembourg, vous pouvez par exemple parcourir virtuellement l’ensemble du navire à pied, et vous voyez les boutons de la salle des contrôles. "
" Ce simulateur est à la pointe de la technologie ", approuve Jan Pieter De Nul. " Il nous a coûté 2,5 millions d’euros, mais en vaut le moindre centime. Lorsque vous vous interrogez sur les prix des formations, vous devez également vous arrêter sur le prix d’une absence de formation. Les navires sont aujourd’hui si complexes qu’il est impossible d’y poster des gens pour qu’ils apprennent sur le tas. Ce serait beaucoup plus cher. "
Retours
Jan De Nul va enfin organiser jusqu’à trois retours qui seront l’occasion de proposer des formations. " Comme ces collaborateurs passeront par l’Academy, il nous sera plus facile, au siège, de consolider les liens ", explique Yves Bosteels. " Certains collègues travaillent depuis vingt ans pour Jan De Nul, mais n’ont pas mis les pieds au siège plus de deux ou trois fois pendant tout ce temps. C’est regrettable. Nous voulons profiter de ces retours pour renouer la communication interne. Le service du personnel pourra ainsi intensifier le suivi avec des entretiens personnels. "
Ces moments contribueront aussi à intégrer ceux qui voudraient revenir de manière permanente au siège par la suite. " Il faut savoir que le chef de chantier d’un projet à l’étranger est une espèce de patron de PME ", poursuit Yves Bosteels. " Dans ce biotope, ils peuvent tous diriger eux-mêmes. Quand ils reviennent au siège, ils sont subitement confrontés à une organisation mastodonte avec des chefs de département et des cultures et procédures différentes. Ils éprouvent parfois des difficultés à y trouver leur place. "
« Vous ne pouvez pas jurer que par votre propre mode de pensée »
Une brève formation de qualité pour commencer, suivie par des formations sur le terrain et de suivi. Telle est la recette du succès de l’entreprise de dragage et de construction Jan De Nul Group.
À peine sorti des bancs de l’école, Rutger Kox a eu droit à six semaines de cours au siège de Jan De Nul il y a deux ans. « À l’université, on accumule des connaissances théoriques, on apprend à mettre en place un raisonnement logique et à traiter de grandes quantités d’informations », explique l’ingénieur qui travaille depuis avril comme conducteur de travaux au Nigéria, où des dragues sont en train de remblayer une gigantesque zone marécageuse. « Mais on n’y apprend pas à mettre en pratique ces connaissances théoriques ou, dans ce cas spécifique, à draguer. Cela nécessite une formation supplémentaire destinée à acquérir les bases du métier. »
Au cours des deux années durant lesquelles il a travaillé pour l’entreprise de dragage, Rutger Kox s’est déjà rendu au Koweït, à Dubaï et en Égypte où, en tant que conducteur de travaux, il a eu la direction opérationnelle des dragues à désagrégateur. Ce sont des dragues équipées d’une tête de désagrégation tournante qui fragmentent les sols durs, aspirent les terres et les refoulent jusqu’au rivage via des tuyaux en acier. Au Nigéria, le job consiste à assurer la planification opérationnelle quotidienne des travaux de remblayage, à surveiller si les exigences de production sont respectées à résoudre les grands et petits problèmes liés à l’organisation quotidienne. À l’étranger, il faut souvent faire appel à son sens inné de l’inventivité, compte tenu des différences culturelles et des législations locales différentes.
Dans ce domaine, les soft skills accumulés dans la formation de départ lui sont donc très utiles. « Lors de projets à l’étranger, on entre en contact avec une culture locale qui peut être très différente de ce à quoi on est habitué », explique Rutger Kox. « L’entreprise et l’équipe de chantier aussi comptent de nombreuses nationalités avec lesquelles il faut collaborer. Pendant les cours, on aborde des situations qui se sont présentées par le passé et la manière dont on peut les gérer, soit des études de cas socioculturelles. »
Quelles sagesses apprises sur le terrain communiquerait-il lui-même à de nouvelles recrues ? « Il ne faut pas jurer uniquement par sa propre méthode de pensée, mais il est très important de rester ouvert aux idées des autres, quels que soient leur background et leur culture. La meilleure solution et les meilleurs résultats s’obtiennent en prenant une décision sur la base de différents points de vue. De plus, cela améliore aussi l’atmosphère au travail. On favorise la qualité de la collaboration. »
Bref, mais intense
Rutger Kox est un grand partisan de la méthode de travail de Jan De Nul : une formation de départ brève, mais intense, suivie de formations complémentaires dès qu’on est sur le terrain. « Finalement, on apprend beaucoup sur le projet lui-même. Par exemple, il est difficile d’assimiler les aspects juridiques quand on ne connaît pas encore le côté pratique. C’est pourquoi le passage au bureau des gestionnaires de projets pendant leurs vacances pour partager leurs expériences avec les nouveaux est si enrichissant. »
Le fait que les formations continuées aient lieu pendant le temps libre ne dérange pas Rutger Kox. « Après deux mois à l’étranger, ceux qui occupent ma fonction ont un mois de vacances pour recharger les batteries. Pour moi, il n’y a rien de bien terrible à investir une ou deux fois par an quelques jours de vacances dans le développement de sa carrière au sein de la société. S’arrêter, c’est reculer. Quand on a la possibilité de progresser dans la vie, il faut la saisir à deux mains. »
Rutger Kox a aujourd’hui deux ans d’expérience et aimerait passer à la gestion de projets. « Dès que j’aurai l’opportunité de suivre une formation dans ce domaine, je la saisirai. »
« Même une très bonne formation ne procure aucune expérience »
« Un équipage inexpérimenté voit chaque problème pour la première fois », explique Paul Eggen. C’est pourquoi cet ancien de chez Jan De Nul Group dispense des formations dans le monde entier.
Paul Eggen a à son actif de longues années de capitanat de la barge à désagrégateur J.F.J. De Nul, le plus grand navire de son type au monde. « Sur une telle barge, on dirige une soixantaine de personnes qui dorment également à bord. Une telle fonction touche à de nombreux aspects. Outre la responsabilité du dragage proprement dit, il faut également commander l’équipage et assurer l’administration. »
Aujourd’hui, ces jours de capitanat sont derrière lui (« J’ai commencé en 1976 et je m’en suis un peu lassé »). Depuis le 1er août, il donne des formations à la Jan De Nul Academy en qualité de Marine Advisor. Celles-ci ont rarement lieu dans un local de classe au bureau. « Généralement, je suis en déplacement. Je donne principalement des formations à l’étranger, où j’aide à résoudre des problèmes. L’entreprise a grandi très rapidement, de nombreux jeunes conducteurs de travaux travaillent chez nous. Ils ont bénéficié d’une bonne formation technique, mais cela n’équivaut pas à une expérience pratique. »
Récemment, Paul Eggen se trouvait ainsi au Nigéria, au projet où travaille Rutger Kox. On y a déployé les deux plus grandes dragues suceuses autoporteuses au monde. « Elles aspirent le sable sur une longue distance à l’aide d’un siphon, une canalisation posée sur le fond marin jusqu’au littoral », explique-t-il. « Là, il passe dans une conduite terrestre par laquelle le sable est pompé jusqu’à la décharge, alors que l’eau excédentaire reflue vers la mer. »
L’exécution de ce travail confronte l’équipage des navires à de nombreux défis, souligne-t-il. « Il n’y a pas seulement le mauvais temps, mais aussi le fait que nous utilisons une conduite immergée de 2,4 kilomètres de long. C’est un véritable tour de force que de la laisser tomber sur le fond et puis de la remonter intacte. »
Paul Eggen ne se contente pas de donner des formations pratiques : il passe aussi sur les projets pour évaluer comment se déroulent les travaux. Il apporte son aide dans les choix des méthodes à adopter et des matériaux les plus adaptés. « Récemment, j’étais par exemple à Calais, où nous devions ancrer de grands navires qui venaient décharger des pierres pour l’extension du port. Jan De Nul devait décharger les pierres, alors que le navire était ancré à faible profondeur. Dans ce cas de figure, il est essentiel de disposer du matériel adéquat, et donc de le commander à temps… »
« Il y a moins de grands projets, ce qui nous oblige à investir dans des missions de plus petite envergure », remarquait l’administrateur général Jan Pieter De Nul. Dans ce processus, une tâche est réservée à Paul Eggen. « Sur de grands navires, les règles et les obligations administratives sont bien suivies. Mais sur les plus petits bateaux, on y attache moins d’importance, on a moins de temps à y consacrer et on est parfois moins strict. Je passe pour voir comment nous pouvons améliorer les choses. »
Trois mois plus tard, il est enthousiasmé par son nouveau job. « C’est un travail beaucoup plus varié que celui de capitaine, où l’on reste toujours à bord. Je suis à présent beaucoup plus impliqué dans l’exécution opérationnelle. C’est une nouvelle fonction, et elle doit parfois encore être acceptée. C’est à présent à moi de la développer, et simultanément de m’y développer. »