Avec les 28 entreprises de haute technologie que compte son “IncubaThor”, Thor Park, le siège d’EnergyVille à Genk (Limbourg), est devenu l’un des principaux sites de recherche et d’innovation de notre pays dans le domaine de l’énergie verte et intelligente. Ce n’est donc pas un hasard si le gestionnaire de réseau Elia est venu frapper à la porte d’EnergyVille dans le but de développer ensemble des applications innovantes susceptibles de soutenir et d’accélérer la transition énergétique.
Qu’est-ce qui différencie les défis liés à la transition énergétique des autres challenges auxquels une société technologique comme Elia est habituellement confrontée?
Loïc Tilman (Head of Innovation & Digitech chez Elia): Quelle est traditionnellement notre principale mission? Assurer jour et nuit la fourniture d’électricité à tous les consommateurs du pays. Jusque tout récemment, cette énergie était surtout produite à partir de charbon et de gaz ainsi que par les centrales nucléaires. L’offre était donc relativement constante et prévisible. La transition énergétique qui nous attend révolutionnera totalement cette façon de travailler. En termes de production, d’infrastructure et de gestion des systèmes, nous devrons penser les choses différemment. Et la vitesse à laquelle ces changements vont se produire sera sans précédent. Au cours des prochaines années, la part des énergies renouvelables dans notre consommation totale ne cessera d’augmenter. Toutefois, cette offre décentralisée fluctue énormément – c’est sa particularité. Si nous voulons offrir la même sécurité d’approvisionnement à nos clients, nous devrons veiller à faire coïncider parfaitement la demande et la production.
Daan Six (Research Program Manager chez VITO / EnergyVille): L’écosystème énergétique s’est élargi et complexifié en un temps très bref. Il ne s’agit plus uniquement d’une simple chaîne de valeurs “top-down”, avec la production, le transport, la distribution et la fourniture d’électricité, mais d’un “réseau de valeurs” dispersé. On peut le comparer à une toile d’araignée, dont chaque fil est nécessaire pour maintenir la stabilité de la toile. La transition énergétique implique en outre des acteurs issus d’autres secteurs: constructeurs automobiles (électriques), producteurs d’appareils électriques (intelligents), start-up qui offrent de nouveaux services énergétiques… Les besoins d’innovation sont à ce point immenses qu’aucun acteur ne peut relever seul ce défi. Cela explique la collaboration entre des gestionnaires de réseau comme Elia et des centres de recherche comme EnergyVille.
Pouvez-vous citer un exemple concret de cette collaboration?
Loïc Tilman: Nous avons étudié dans quelle mesure Elia est capable de mettre en place des batteries géantes offrant une très grande capacité de stockage, en réponse aux changements majeurs sur notre infrastructure de réseau qui ont pour but de faire face aux importantes fluctuations dans la production d’électricité. EnergyVille dispose d’une vaste expertise dans ce domaine. Nos recherches nous ont appris que les batteries pouvaient certes aider temporairement à maintenir cet équilibre, mais qu’elles ne pouvaient pas encore remplacer le développement d’infrastructures à haute tension.
EnergyVille mène depuis des années des recherches en matière de technologies innovantes pour soutenir la transition énergétique. Où en sommes-nous aujourd’hui?
Daan Six: Ces derniers temps, nous nous sommes notamment concentrés sur des solutions susceptibles d’apporter suffisamment de flexibilité pour faire mieux coïncider l’offre et la demande. Nous nous intéressons également aux processus industriels que nous pouvons rendre flexibles, mais aussi aux consommateurs individuels qui, grâce à leurs panneaux solaires, sont, en quelque sorte, devenus des producteurs. Et nous étudions comment les batteries à domicile, les voitures électriques et autres appareils intelligents pourront à terme s’adapter de manière quasi automatique à l’énergie disponible et aux besoins du système énergétique. Nous pouvons faire correspondre de plus en plus étroitement l’offre et la demande d’énergie grâce aux nouvelles technologies.
“L’énergie se transforme en un service où les technologies sous-jacentes non seulement libéreront les utilisateurs de tout souci, mais leur offriront de participer activement au marché de l’énergie.”
Pourquoi la numérisation joue-t-elle un rôle aussi crucial dans la transition énergétique?
Loïc Tilman: Notre système énergétique ne fera que se complexifier, c’est vrai, mais nous ne voulons pas que les utilisateurs le remarquent. Nous aurons donc besoin de l’intelligence artificielle pour nous aider à optimiser la consommation d’énergie. Les données locales et les informations sur les consommateurs pourront être utilisées afin d’adapter automatiquement la consommation d’un maximum d’appareils à la production totale d’électricité. Cela commencera par l’installation de compteurs intelligents, mais devrait aussi se traduire ces prochaines années par la mise sur le marché d’appareils connectés qui décideront, grâce à l’intelligence artificielle, du meilleur moment pour s’allumer et s’éteindre. Cela nous permettra d’éviter les pics de consommation et donc de provoquer une surcharge du réseau. Le consommateur verra sa facture baisser et bénéficiera d’une meilleure compréhension de son comportement en tant qu’utilisateur.
L’innovation technologique semble être le fil rouge de cette transformation. Elle ne suffira pas, cependant. Comment convaincre le consommateur final de participer à ce changement de paradigme?
Daan Six: C’est en effet un aspect particulièrement important. Le consommateur lambda ne se préoccupe pas de la manière dont il est approvisionné en énergie. Il souhaite avant tout une garantie d’approvisionnement, et son confort. C’est pourquoi je suis convaincu par le concept d’"energy as a service": l’énergie se transforme en un service où les technologies sous-jacentes non seulement libéreront les utilisateurs de tout souci, mais leur offriront de participer activement au marché de l’énergie. La seule chose qu’ils devront faire sera de spécifier un certain nombre de préférences et de paramètres. Ainsi, vous ne devrez plus allumer ou éteindre vous-même votre machine à laver, mais simplement indiquer le moment où vous aimeriez disposer de linge propre. Le système décidera alors de la période la plus adaptée pour lancer la machine. Un système identique pourra être employé pour les voitures électriques et les pompes à chaleur avec stockage de chaleur. La digitalisation s’étendra jusqu’à l’utilisateur final et mènera à une consommation d’énergie intelligente, doublée d’une plus grande facilité d’utilisation.
Pour placer toutes ces tendances dans une perspective plus large, quelle est actuellement la part des énergies renouvelables dans notre pays?
“La transition énergétique n’est pas qu’une question de technologie: c’est une combinaison d’évolutions économiques et réglementaires, avec une importante dimension sociale et environnementale.”
Loïc Tilman: L’an dernier, sur l’ensemble de l’électricité produite, le renouvelable représentait en moyenne environ 18%. Ceci dit, cette production varie fortement en fonction des conditions météorologiques. Certains jours, les énergies vertes atteignent 50%! L’innovation technologique est incontournable si nous voulons être en mesure d’affronter cette imprévisibilité. Nous misons aussi beaucoup sur des collaborations internationales. Par exemple, nous investissons massivement dans un réseau européen d’interconnexions. Ces dernières doivent permettre aux pays de transporter facilement leurs surplus d’électricité verte vers des pays en demande. Dans ce cadre, le renforcement du réseau de haute tension prend tout son sens. Il est clair que, si nous voulons atteindre les objectifs du Green Deal européen et augmenter encore la production d’électricité verte, nous devrons progresser sur tous les fronts. L’innovation sera au cœur de ces changements. Mais il est clair que ce n’est pas seulement une question de technologie: c’est une combinaison d’évolutions économiques et réglementaires, avec une importante dimension sociale et environnementale.