Pour permettre aux consommateurs de jouer un rôle actif dans le système énergétique du futur, le gestionnaire de réseau Elia collabore de plus en plus avec des acteurs d’autres secteurs. Et celui de la construction a dans ce cadre un rôle de premier plan à jouer, reconnaît le CEO de BESIX, Rik Vandenberghe. Chris Peeters, CEO d’Elia Group, y décèle lui aussi de nombreuses possibilités: “À long terme, l’impact des bâtiments intelligents sur notre système énergétique sera bien plus important que celui des voitures électriques.”
Vous êtes le CEO d’une entreprise de construction internationale qui emploie plus de 13.000 collaborateurs. Comment envisagez-vous le rôle du secteur de la construction dans le Green Deal et dans la transition énergétique?
Rik Vandenberghe: Les bâtiments sont à la fois une partie du problème et de la solution. La construction représente pas moins de 40% de la consommation énergétique mondiale et donc des émissions de CO2. Mais au même moment, j’entrevois des solutions. Nous devons, d’une part, jouer davantage la carte de l’économie circulaire dans les bâtiments existants. Lors de la rénovation du Manhattan à proximité de la gare du Nord à Bruxelles, nous sommes parvenus à réutiliser plus de 28.000 tonnes de béton et ainsi à économiser 4.000 tonnes de CO2. Nous avons drastiquement réduit la consommation énergétique, entre autres grâce à une meilleure isolation et aux technologies de pointe en matière de chauffage. D’autre part, dans le secteur du neuf, nous devons miser sur les bâtiments intelligents: lorsque vous gérez intelligemment votre consommation d’énergie et que vous optimisez l’usage des nouvelles applications numériques, vous pouvez exploiter au maximum le potentiel des énergies vertes et réduire nettement les émissions de CO2.
À partir de quel moment un bâtiment est-il considéré comme “intelligent”? Et dans quelle mesure est-ce réalisable en cas de rénovation?
Rik Vandenberghe: Un bâtiment ancien peut parfaitement être transformé en bâtiment durable et intelligent. À mes yeux, les projets de rénovation représentent un volet essentiel du Green Deal européen. Vous rendez un bâtiment intelligent en traitant les data afin que la technologie moderne puisse les utiliser. Il peut s’agir de capteurs divers et variés, mais tout autant d’une approche BIM (Building Information Management, NDLR). En d’autres termes, nous réalisons une copie ou un clone digital d’un bâtiment, durant la phase de construction et pendant tout son cycle de vie. Cette copie digitale permet d’y greffer une myriade de nouvelles applications numériques fonctionnelles – comme la gestion énergétique – ou qui améliorent le confort des utilisateurs. Nous insistons toujours auprès de nos clients sur l’importance d’une bonne gestion des données afin d’éviter que leurs data ne se retrouvent stockées dans le silo du fournisseur d’applications, car dans ce cas, ils deviennent dépendants du fournisseur et n’en changent que difficilement. Nous investissons massivement dans ce domaine. Et nous collaborons régulièrement avec des start-up qui développent toutes sortes de nouveaux services et applications.
Le cycle de renouvellement dans la construction est certes plus lent, mais l’impact n’en sera que plus impressionnant.
Si nous faisons le lien entre la transition énergétique et l’optimisation des logements et des bâtiments à usage professionnel, où se situe aujourd’hui la plus grande marge de progression?
Chris Peeters: Le potentiel majeur est sans aucun doute à trouver dans l’augmentation de l’efficacité énergétique. Même dans les bâtiments les plus anciens, il est possible de réduire drastiquement la consommation d’énergie grâce aux nouvelles techniques. Sans oublier les pompes à chaleur, les chaudières et les voitures électriques… Au vu de la croissance des volumes dans la production d’énergie renouvelable – dont l’offre et le prix varient considérablement – la gestion énergétique revêt de plus en plus d’importance. Grâce aux applications numériques, les habitants peuvent optimiser leur facture énergétique – qu’ils utilisent ou non le réseau – sans sacrifier leur confort. C’est du gagnant-gagnant! Le secteur de la construction peut offrir des solutions qui assurent de meilleures conditions de vie ou de travail, tandis que ces bâtiments émettent moins de CO2 et consomment moins d’énergie. En tant que gestionnaire du réseau, Elia peut intégrer davantage d’énergie renouvelable grâce à la gestion énergétique flexible des bâtiments intelligents.
Rik Vandenberghe: Bien entendu, la pression des pouvoirs publics s’accroît, mais nous remarquons aussi que nos clients sont demandeurs de bâtiments durables. Si nous leur offrons en même temps un meilleur confort et que nous accélérons la transition énergétique, notre secteur pourra miser à fond sur cette tendance. Le sujet passionne tous nos collaborateurs, et notamment les jeunes ingénieurs qui nous rejoignent. Chez BESIX, nous sommes donc intrinsèquement motivés à jouer le rôle de leader dans ce domaine.
Les projets de rénovation représentent un volet essentiel du Green Deal européen.
De nombreux autres secteurs, de la banque à l’automobile, ont pris depuis bien plus longtemps le train de la numérisation en marche et peuvent déjà en récolter les fruits. Comment convaincre un secteur de la construction souvent très fragmenté de la valeur ajoutée de la digitalisation?
Rik Vandenberghe: Dans certains pays, les pouvoirs publics poussent dans cette direction, par exemple en reprenant la durabilité dans les critères d’adjudication des bâtiments publics. Nous aimerions que ce soit plus souvent le cas en Belgique. Je suis convaincu que, grâce à ce type de politique, les bâtiments pourraient devenir les batteries du futur. Aujourd’hui, il s’agit surtout de chercher des concepts aussi bon marché et efficaces que possible. Un exemple? Prenez l’utilisation, pour le stockage d’énergie, des réservoirs d’eau employés pour les sprinklers dans de nombreux bâtiments. Cette eau est disponible, alors pourquoi ne pas la chauffer lorsque l’énergie verte est abondante et bon marché? Cette eau chaude pourrait ensuite servir à chauffer le bâtiment.
À quel horizon voyez-vous le secteur de la construction jouer un rôle significatif dans la transition énergétique?
Chris Peeters: À court terme, nous nous concentrons sur la mobilité électrique. L’interaction entre les batteries automobiles et notre système électrique augmente très vite et dans des volumes importants. L’étape suivante concernera l’intégration des bâtiments intelligents. Certes, le cycle de renouvellement dans la construction est plus lent, mais l’impact n’en sera que plus impressionnant. Les grands bâtiments actuels affichent une taille suffisante pour investir dans la numérisation et les innovations technologiques comme les pompes à chaleur, les chaudières et la ventilation contrôlée. C’est pourquoi j’estime que l’Europe a raison de miser sur les bâtiments. Pour préparer l’avenir, Elia compte analyser et tester plusieurs applications avec BESIX. En apportant chacun notre expertise spécifique, nous pouvons tester des applications susceptibles d’être implémentées ultérieurement dans les logements.
Rik Vandenberghe: La percée de l’Internet des objets (Internet of Things ou IoT, NDLR) simplifie nettement le travail avec des data. Grâce à l’IoT, les facility managers des grands bâtiments disposent déjà des instruments nécessaires pour traiter toutes ces données et les traduire en nouvelles applications.