C’est à la professeure Greet Van Eetvelde qu’a été confiée l’élaboration de la feuille de route de la stratégie climatique, énergétique et d’innovation du groupe chimique INEOS, avec la neutralité carbone en ligne de mire. Elle ne cache pas que le défi d’atteindre le “net zéro” d’ici à 2050 est immense – le dernier rapport de durabilité d’INEOS parle d’investissements de plusieurs milliards d’euros. “C’est propre aux industries très énergivores. Il n’y a pas de solution-miracle. Il faudra combiner les nouvelles technologies, des solutions novatrices et les occasions qui se présenteront.”
La conception d’une feuille de route climatique pour INEOS n’est pas une mince affaire, souligne Greet Van Eetvelde. “L’entreprise peut être comparée à une fédération de plus de 30 divisions réparties sur 200 sites dans près de 30 pays. Chaque division décide en toute autonomie de la façon dont elle compte atteindre les objectifs climatiques pour 2030 et 2050, et à quel rythme. Cette culture bottom-up est très forte au sein d’INEOS. Toutefois, le groupe a fixé un objectif commun à toutes les divisions: d’ici à 2030, tous les sites devront avoir réduit de 33% leurs émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2019, et atteindre le ‘net zéro’ à l’horizon 2050.”
La professeure Greet Van Eetvelde est ingénieure de formation, titulaire d’un doctorat en chimie et associée depuis 25 ans à la faculté d’ingénierie et d’architecture de l’université de Gand. Outre son rôle chez INEOS, elle gère, depuis son domicile en Suisse, le groupe de recherche Energy & Cluster Management de son alma mater. Ses recherches se concentrent sur la symbiose industrielle, un scénario gagnant-gagnant pour les entreprises qui collaborent afin de créer de la valeur ajoutée, par exemple en utilisant des déchets comme matières premières ou en partageant des infrastructures. Greet Van Eetvelde est également professeure invitée à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
“Pour réduire nos émissions de CO2, nous ne nous attaquons pas uniquement aux émissions liées à nos processus de production: nous investissons pour éviter les émissions produites à la source du processus”, reprend Greet Van Eetvelde. INEOS souhaite réduire ces émissions directes (scope 1) en améliorant ses processus et en recourant à des technologies à faible intensité carbone.
“Nous améliorons constamment l’efficacité énergétique de nos installations, et nous investissons dans l’électrification de nos équipements périphériques, comme les chaudières et les compresseurs. Project ONE, le craqueur d’éthylène en construction à Anvers, en est un bon exemple. Ce craqueur n’émettra qu’un tiers de CO2 par rapport à la moyenne européenne. C’est le résultat d’un choix technologique axé sur le futur, d’une efficacité énergétique maximale obtenue grâce à la réutilisation de la chaleur produite par les fours et le refroidissement des matières premières – l’éthylène refroidi –, mais surtout de la réutilisation de l’hydrogène – sous-produit du processus de craquage –, qui est un carburant pauvre en carbone.”
D’ici à 2030, tous les sites devront avoir réduit de 33% leurs émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2019.
Le carbone comme matériau de base
Greet Van Eetvelde apporte ici une nuance qui a son importance: si l’énergie peut être décarbonée, ce n’est pas le cas de la chimie elle-même. “Le carbone est un matériau de base pour le secteur chimique, qui fabrique des produits à grande valeur ajoutée pour la société. On peut comparer cela au chauffage d’une maison, où les matériaux fossiles ne peuvent être que brûlés, ce qui rejette du CO2 dans l’atmosphère. C’est la différence entre le carbone comme carburant et le carbone en tant que matériau de base pour la fabrication de produits chimiques. En outre, on trouve aussi une ‘chaîne courte’ dans l’industrie chimique: les entreprises s’organisent en clusters qui s’échangent des flux résiduels et des matières premières de façon efficace.”
“L’énergie peut être décarbonée, contrairement à la chimie. C’est la différence entre le carbone comme carburant et le carbone en tant que matériau de base pour la fabrication de produits à grande valeur ajoutée.”
Même si l’objectif principal est de réduire les émissions à la source, à court terme le captage du CO2 jouera un rôle considérable dans la politique climatique d’INEOS. “Cela fait longtemps que nous captons le CO2 là où c’est possible, pour le réutiliser ensuite. Nous appliquons cette technique notamment en Allemagne, en France et à Anvers. Nous utilisons et vendons le CO2 sous forme de gaz, nous le développons en tant que matériau de base pour le méthanol, et nous le minéralisons. Début mars, nous avons lancé le projet Greensand au large de la côte danoise. C’est là, dans les profondeurs de la mer du Nord, que nous stockons pour la première fois du CO2 issu de l’usine anversoise INEOS Oxide.”
Recyclage des flux résiduels
INEOS voit également un avenir pour l’hydrogène, à la fois comme carburant et matière première. Il ne doit pas nécessairement s’agir d’hydrogène vert, estime néanmoins Greet Van Eetvelde. “Les processus chimiques comme le craquage et la déshydrogénation libèrent de l’hydrogène, qui devient un sous-produit de grande valeur. Nous réutilisons cet hydrogène dans nos usines ou le fournissons à d’autres entreprises. Ces deux pistes contribuent à une économie pauvre en carbone et circulaire, c’est-à-dire durable.”
Sur le plan des émissions de scope 2 (émissions indirectes de CO2 provenant de l’achat d’énergie), INEOS a franchi le pas vers les énergies propres. Par exemple, l’entreprise a abandonné le gaz et le pétrole au profit de carburants pauvres en carbone comme l’hydrogène, le biogaz, la biovapeur et le biométhane. “Nous achetons par ailleurs de l’électricité verte. Ces dernières années, nous avons conclu trois Power Purchase Agreements (PPA) en Belgique avec les entreprises énergétiques Engie, Eneco et l’allemande RWE. Il s’agit à chaque fois de contrats portant sur l’achat d’électricité produite par des éoliennes offshore pendant une durée de 10 ans.”
Pour fonctionner de la manière la plus durable possible, INEOS pratique l’économie circulaire. “Nous montrons qu’il est possible de récupérer un maximum de matériaux pour les transformer en nouveaux produits exploitables. Nous collaborons avec des partenaires tout au long de la chaîne de valeur. En Flandre, nous sommes ainsi très avancés dans la collecte d’emballages en polystyrène via le sac bleu. Je pense aux pots de yaourt, aux barquettes de beurre et de champignons, etc. Grâce à une technique sophistiquée, la dépolymérisation, nous recyclons ces déchets pour en faire du polystyrène de la même qualité que son équivalent neuf, mais avec une empreinte carbone plus faible et moins de matières premières fossiles.”
Nous avons besoin de plus de recherche
Pour devenir climatiquement neutre, il faut se montrer très novateur, estime Greet Van Eetvelde. À ses yeux, cela représente également un défi majeur pour l’Europe. “Si la Flandre a adopté une stratégie fantastique en matière de recherche, les moyens mis à disposition par les pouvoirs publics ne correspondent pas toujours à ce dont l’industrie a réellement besoin. Prenez la captation du CO2. Un énorme travail de recherche reste nécessaire pour développer des systèmes efficients pleinement utilisables sur les sites industriels. Les installations actuelles sont souvent trop grandes pour être intégrées dans des sites industriels existants, et leur infrastructure est inadéquate pour capter les émissions au vu des nombreux points d’émissions des sites. Seule une percée technologique d’envergure pourrait apporter une solution, ce qui exige une collaboration plus intense entre l’industrie et les universités.”