La crise sanitaire affecte le marché du travail. De nombreuses entreprises risquent de devoir réduire leurs effectifs au cours des prochains mois. Au sein du cabinet d’avocats Loyens & Loeff, Kris De Schutter et Eline De Ryck plaident pourtant pour une approche durable des RH, y compris en cette période difficile. “Montrez-vous intelligent et constructif, même si des licenciements forcés sont inévitables.”
Ces dernières années, la politique de rétention était au cœur des ressources humaines: comment réussir à conserver son personnel? Aujourd’hui, la situation s’est complètement inversée…
Kris De Schutter (partner Employment & Benefits): “La crise sanitaire a fait des ravages dans certains secteurs, de nombreux travailleurs sont déjà heureux de conserver leur emploi. Bien entendu, la politique de rétention jouera à nouveau un rôle à plus long terme. Pour les travailleurs qui bénéficient d’une sécurité de l’emploi, il me semble surtout important de combiner les libertés acquises par beaucoup d’entre eux, par exemple en matière de télétravail et de temps de travail, à une solidarité suffisante. Ce n’est pas facile, c’est vrai, mais cela créera des possibilités inédites pour les employeurs, entre autres en matière de rémunération. Les travailleurs à domicile peuvent être demandeurs d’un écran d’ordinateur supplémentaire ou de quelques outils numériques. En d’autres termes, une nouvelle situation est apparue qui permet par exemple de modifier la composition du package de rémunération. On peut ainsi prendre des mesures gagnant-gagnant.”
Certaines entreprises devront se séparer de collaborateurs. Existe-t-il une alternative aux licenciements forcés?
Eline De Ryck (avocate Employment & Benefits): “Le coup d’envoi des licenciements collectifs a été donné dès le mois de juin. Je m’attends effectivement à une recrudescence des licenciements collectifs, et notamment des faillites, cet automne. Un grand nombre de procédures de faillite ont été mises en veilleuse; or, les faillites provoquent traditionnellement une vague de pertes d’emploi.
Pour éviter un scénario de licenciement collectif mais surtout pour limiter le nombre de licenciements, le moment est venu de mettre en œuvre une transformation plus large dans les entreprises. Les syndicats seront sans doute plus disposés à s’asseoir autour d’une table.
On le remarque au raccourcissement de la durée des procédures d’information et de consultation dans le cas de licenciements collectifs.
Dans le cadre d’un plan de transformation plus large, une politique de rémunération durable est une première option. L’employeur peut également réfléchir à une réduction de la durée du travail. En concertation avec les syndicats, l’entreprise peut introduire une réduction collective du temps de travail ou une semaine de quatre jours avec la baisse des cotisations sociales que cela implique. Les mesures sanitaires favorisent ces solutions avec l’élargissement du système, le crédit-temps corona et le crédit-temps fin de carrière corona.”
Kris De Schutter: “Je vois la possibilité d’écrire une histoire positive. Ne mettez pas vos travailleurs au pied du mur en les obligeant à accepter une telle réduction collective du temps de travail: sondez certains travailleurs plus âgés et demandez-leur s’ils accepteraient de prendre volontairement un crédit-temps à 50%, par exemple, et de conserver ainsi 60% de leur salaire. Vous éviterez peut-être plusieurs licenciements forcés accompagnés d’indemnités de licenciement souvent très élevées. Vous pouvez par ailleurs convenir avec vos travailleurs d’une baisse de salaire de 5% en échange de la sécurité de l’emploi ou d’autres avantages. Mais réfléchissez-y: si vous optez pour des réductions de salaires individuelles, il ne suffira pas d’avoir l’accord des travailleurs concernés. Une telle modification ne peut être contraire à la CCT.”
Un employeur en difficulté peut-il revoir unilatéralement à la baisse les avantages extra-légaux?
Kris De Schutter: “Non, tout ce qui relève de la rémunération est un élément essentiel au contrat de travail, vous ne pouvez donc pas le modifier unilatéralement. Cela ne signifie pas que toutes les modalités de rémunération sont gravées dans le marbre, cependant. Il est possible d’adapter les objectifs et le calcul de la rémunération variable. L’employeur peut opter pour des voitures de société moins chères, rendre les modalités de l’assurance hospitalisation un peu moins généreuses, etc. Beaucoup dépendra de la manière dont les avantages sont fixés. Un élément de rémunération repris dans une CCT n’est pas un élément de rémunération qui découle d’un usage. Il existe donc un peu de marge; j’encourage les employeurs à en profiter de manière intelligente. Si la situation économique vous y contraint, tentez d’inscrire les mesures que vous adoptez dans un plan plus large.”
“Pour éviter un scénario de licenciement collectif mais surtout pour limiter le nombre de licenciements, le moment est venu de mettre en œuvre une transformation plus large dans les entreprises. Les syndicats seront sans doute plus disposés à s’asseoir autour d’une table.”
Imaginons qu’un licenciement soit inévitable. Comment l’entreprise doit-elle s’y prendre? Comment limiter les dégâts causés à vos finances et à votre réputation?
Kris De Schutter: “Dans un premier temps, vous pouvez essayer d’étaler les licenciements afin d’éviter un véritable licenciement collectif et l’attention potentiellement négative de la presse. Impliquez autant que possible les syndicats. Et montrez clairement que, pour vous employeur, il ne s’agit pas uniquement de licencier: d’une part, vous êtes contraint de vous séparer d’un certain nombre de travailleurs; de l’autre, vous continuez à investir pleinement dans ceux que vous pouvez conserver à bord. Il est crucial de mettre en place une approche globale qui comprenne un plan de transformation pour ceux qui restent. Cela peut être vu comme un investissement dans l’avenir. Les syndicats comprennent que nous traversons une période très compliquée et se montrent plus conciliants.”
Eline De Ryck: “Pour limiter le nombre de licenciements, l’entreprise peut également négocier des plans de départs volontaires et des régimes de fin de carrière en prêtant suffisamment attention aux mesures d’accompagnement des travailleurs vers un autre emploi.”