"L'importance et la pertinence sont deux réalités très différentes."
La circulation traditionnelle des paiements, caractéristique du secteur bancaire, est rendue de plus en plus opaque par les nouvelles technologies. Pour se distinguer, les banques doivent se montrer plus pertinentes à l’égard de leurs clients.
“Nous vivons l’un des moments les plus fantastiques de l’histoire, nous sommes témoins de changements exceptionnels: c’est une chance incroyable!” Peter Hinssen, auteur, entrepreneur spécialisé en innovation et partenaire chez nexxworks, déborde d’enthousiasme. Son interlocuteur, Michael Anseeuw, n’est pas en reste. “Oubliez la quatrième révolution industrielle: ceci est une seconde naissance!”
Le directeur général de la division Retail Banking de BNP Paribas Fortis est conscient de la nécessité, pour le secteur bancaire, de se réinventer. “Nous nous inscrivons encore dans un modèle où la banque tente d’interagir avec le client, alors que celui-ci veut choisir lui-même le quand et le comment. Quatre clients sur cinq de notre banque préfèrent un modèle hybride qui mêle contacts numériques et physiques. Nous sommes convaincus que cette combinaison représente l’avenir.”
“Le modèle d’interaction a fondamentalement changé”, confirme Peter Hinssen. “Même en disposant d’une agence au coin de la rue, j’entrais peut-être une fois par mois en contact avec ma banque. Aujourd’hui, certains clients contrôlent leur solde chaque jour. C’est la raison pour laquelle une application simple et conviviale recèle tant d’importance: dans cette économie de l’attention, elle doit figurer dans la poignée d’applications qui concentrent 99% de l’attention des consommateurs.”
“Via nos canaux numériques, nous enregistrerons plus de 250 millions d’interactions avec nos clients cette année”, chiffre Michael Anseeuw. “Avec la numérisation, les clients se rendent moins souvent à leur agence, mais lorsqu’ils le font, c’est pour un service spécifique.”
Pertinence
Les banques doivent par conséquent veiller à ne pas se transformer en une ‘dumb pipe commodity’ -un “simple service de tuyaux” qui se contente de transporter des donnéesavec des consommateurs qui se moquent de savoir quelle banque exécute leur transaction, prévient Peter Hinssen. “À l’avenir, l’image d’une banque intermédiaire dans les paiements sera reléguée au second plan. Lorsque vous sortez d’un taxi Uber, l’application liée à votre carte débite automatiquement la course.
"En tant que client, l’idée que ma banque en connaît autant sur mon patrimoine, mes besoins et mes souhaits et, en définitive, si peu, me met parfois en colère."
Pourquoi ne quitterions-nous pas bientôt le supermarché sans sortir notre carte?” Une infrastructure de paiement reste naturellement indispensable, mais elle ne suffit pas, continue le partenaire de nexxworks. “L’importance et la pertinence sont deux réalités extrêmement différentes. Si une banque veut séduire des clients, elle doit se montrer pertinente dans leur vie quotidienne et leur offrir un soutien actif. La mise en oeuvre concrète de cette idée n’en est toutefois qu’à ses balbutiements.”
Michael Anseeuw croit beaucoup dans des plateformes qui, à l’instar de celle d’Amazon, mettent en contact acheteurs et vendeurs. “Elles aident ainsi les consommateurs à faire le bon choix. C’est de l’intermédiation technologique portée par les données.” Qu’est-ce que cela signifie pour la banque? “BNP Paribas Fortis est une plateforme riche de plus de 3 millions de clients, avec des dépôts qui entrent d’un côté pour ressortir de l’autre sous forme de crédits, grâce à notre intervention.
Le souci est que ce processus est moins transparent parce que les clients ne se connaissent pas. L’intégration d’une plateforme de crowdfunding comme Hello bank!, voici un an et demi, permet à nos clients de choisir eux-mêmes où ils placent leur argent. L’étape suivante consiste par exemple à leur donner davantage de vue sur ce que nous faisons de leurs économies. Et pourquoi ne permettrions-nous pas à nos clients de partager leurs impressions sur certains produits et services bancaires, et de s’adresser mutuellement des recommandations?”
Système intelligent
La banque du futur doit être intelligente, ou, mieux encore, travailler de façon plus intelligence avec les connaissances qu’elle possède déjà, estime Peter Hinssen. “En tant que client, l’idée que ma banque en connaît autant sur mon patrimoine, mes besoins et mes souhaits et, en définitive, si peu, me met parfois en colère. Elle sait peut-être que j’ai le mauvais opérateur de télécommunications ou fournisseur d’électricité, mais elle n’utilise pas ses connaissances pour me prévenir.”
"Via nos canaux numériques, nous enregistrerons plus de 250 millions d’interactions avec nos clients cette année."
Michael Anseeuw comprend cette frustration mais rappelle que tout le monde n’apprécierait pas un tel service. “De nombreux clients n’accepteraient pas que nous leur proposions une réservation d’hôtel après leur virement pour un billet d’avion. Pourtant, c’est le type de service vers lequel nous devons tendre même si, en fin de compte, le client décidera toujours de la façon dont nous pourrons utiliser ses données.”
“Si BNP Paribas Fortis fournit un système intelligent qui améliore l’information des clients, beaucoup s’en indigneront”, reconnaît Peter Hinssen. Certes, ces réactions auraient un léger parfum d’hypocrisie: “Si Google lançait exactement le même service, ces mêmes personnes se demanderaient pourquoi les banques n’y ont pas pensé!”
Banquiers ‘volants’
“Le client est désormais à la manoeuvre, c’est pourquoi nous devons inverser le modèle”, estime Michael Anseeuw. “En tant que banque, nous devons aller vers le client.” Une expression à prendre au sens littéral: BNP Paribas Fortis lancera bientôt un projet pilote dans le cadre duquel des banquiers ‘volants’ se rendront chez des clients pour des services qu’ils ne peuvent régler en ligne ou sur un appareil mobile. “Le banquier ‘volant’ idéal est une personne à laquelle vous pouvez vous adresser via une application, quels que soient l’endroit où vous trouvez, le moment, ou le sujet que souhaitez aborder, à midi sur votre lieu de travail ou le matin, chez vous”, précise Michael Anseeuw. “Le banquier est beaucoup plus important que le bâtiment dans lequel il travaille. Je préfère voir des banquiers qui se déplacent pour aider nos clients que des personnes assises à l’agence en train de les attendre.”
Trouvaille géniale
La discussion aborde ainsi un aspect important: les acteurs du secteur technologique marchent de plus en plus souvent sur les plates-bandes des banques. Michael Anseeuw cite l’exemple de la plateforme PayPal, qui utilise l’infrastructure de paiement des banques en y ajoutant une dimension technologique. Parfois, ces acteurs se profilent en authentiques rivaux des banques, voire se concurrencent les uns les autres.
“En Chine, la super application WeChat présente un mécanisme de paiement comparable à PayPal mais il y est greffée, trouvaille géniale, une branche d’assurance”, illustre Peter Hinssen. “Si vous achetez un vélo, par exemple, vous avez immédiatement la possibilité de l’assurer contre le vol. Grâce à ce service, We-Chat est devenue la troisième compagnie d’assurances de Chine et, ce, en étant uniquement active sur le marché mobile!” “Ces entreprises qui ajoutent une dimension bancaire à leur plateforme technologique pourraient, à l’avenir, se poser en concurrentes des banques”, reconnaît Michael Anseeuw.
“Grâce aux Big Data, elles peuvent analyser, classer et recouper des myriades de données. À terme, elles proposeront ainsi une ‘assurance griffes’ aux automobilistes qui habitent dans un quartier où de nombreuses voitures sont vandalisées. Pour affronter cette concurrence, les banques devront ajouter une couche technologique à leurs services, bien que cela s’avère nettement plus compliqué.”
Robots-conseillers
Le call-center de BNP Paribas Fortis compte actuellement 400 collaborateurs hautement qualifiés pour assister ses clients autour de questions souvent simples, et ce, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. À terme, des chatbots appuyés sur de l’intelligence artificielle prendront l’essentiel de ces questions à leur compte, prévoit Peter Hinssen: “Cela libérera des personnes qui pourront se consacrer aux situations dans lesquelles une banque peut vraiment faire la différence.” Ces robots-conseillers participeront également à l’élaboration de la stratégie d’investissement personnalisée optimale. À partir d’algorithmes, ils géreront le patrimoine de chaque client en fonction de ses souhaits et de son profil. Ce qui n’élimine pas le conseiller humain, nuance Michael Anseeuw: “L’homme et la technologie ne s’excluent pas, au contraire! Les banquiers peuvent utiliser les robots-conseillers comme outils. La plupart des clients préfèrent être face à un être humain avec qui ils peuvent discuter et qui les comprend.”