Plus d'impôts pour les navetteurs? Source d'injustices et (presque) inapplicable
Le constat: Le Belge est accro à l’immobilier, mais aussi à sa voiture. Très souvent, le lieu d’habitation est fort éloigné du lieu de travail, générant des bouchons en pagaille aux entrées de Bruxelles. L’idée: Réduire la fiscalité immobilière (droit d’enregistrement, précompte immobilier) pour ceux qui feront le pas de se rapprocher de leur travail.
Utiliser la fiscalité immobilière pour rapprocher les citoyens de leur lieu de travail semble être une idée alléchante dans sa philosophie. Ceci dit, les mesures telles qu’évoquées semblent impossibles à transposer dans la "vraie" vie et comportent plusieurs écueils, comme nous les avions déjà énoncés.
L'ambassadeur
Bernard Delvaux, CEO de la Sonaca
"La mobilité est un des grands défis du futur en Belgique. Cela mérite un projet multi-régional/fédéral à long terme, dont les objectifs doivent équilibrer trois domaines: réduction du temps de trajet, de l'empreinte environnementale et du nombre d'accidents, dans un contexte budgétaire contraint. Il faudra utiliser tous les axes d'amélioration technologique, l'investissement dans les infrastructures (transports en commun, multi-modalité…) et les bons incitants fiscaux (fiscalité immobilier, voitures de sociétés, accises sur les carburants…). Il est difficile d'imaginer qu'habiter en centre ville, où en tout cas, proche de son travail, ne fasse pas partie de l'arsenal des incitants fiscaux. La taxation au km pourrait être une alternative."
Le constat
Le Belge est accro à l'immobilier, mais aussi à sa voiture. Très souvent, le lieu d'habitation est fort éloigné du lieu de travail, générant des bouchons en pagaille aux entrées de Bruxelles.
L'idée
Réduire la fiscalité immobilière (droit d'enregistrement, précompte immobilier) pour ceux qui feront le pas de se rapprocher de leur travail.
Pour rappel, les entrepreneurs proposaient d’introduire une fiscalité immobilière plus douce (taux des droits d’enregistrement, reportabilité et précompte immobilier) pour ceux qui font le choix de s’installer – et de devenir propriétaire – plus près de leur lieu de travail.
Commençons par le positif. Pour Renaud Grégoire, porte-parole de la Fédération des notaires, le levier de la fiscalité immobilière est judicieux pour adresser les problèmes de mobilité. Cependant, jouer sur les droits d’enregistrement (plus on achète près de son travail, moins on paie de droits) n’est pas la meilleure solution.
"Ceux qui achètent ont le sentiment qu’ils achètent pour longtemps. Fixer un lien de fiscalité par rapport à un lieu de travail qui est par essence évolutif est un élément délicat", explique-t-il. Par ailleurs, les droits d’enregistrement sont un frein important pour un ménage qui envisagerait de déménager pour s’approcher d’un (nouveau) lieu de travail. "Mais le challenge est de trouver un système qui permet de diminuer les droits d’enregistrement de façon ciblée. En effet, certains sont convaincus qu’une réduction, voire une suppression des droits dans le cadre d’une première acquisition conduirait uniquement à augmenter le prix moyen des maisons. Ce n’est évidemment pas le but poursuivi", prévient-il.
Quel avantage fiscal obtiendriez-vous si vous vous rapprochiez de votre lieu de travail?
Combien payeriez-vous en droits d'enregistrement lors de votre prochain achat immobilier s'ils étaient calculés en fonction de la distance entre votre domicile et votre lieu de travail? C'est ce que nous vous proposons de calculer grâce à notre outil:
Alors, que faire? Deux voies pourraient être suivies: agir via le précompte immobilier ou une déduction fiscale à l’impôt des personnes physiques en fonction de la distance travail-domicile. C’est dans la déclaration d’impôts annuelle qu’il sera plus simple de mesurer la réalité de la proximité du lieu de travail. Par ailleurs, un système d’abattement généralisé (cfr Région bruxelloise) ou un système de report des droits d’enregistrement payés permettrait à ceux qui ont déjà acheté un immeuble de répéter l’opération sans les contraindre à de nouveaux frais conséquents.
Taxe kilométrique
Une mesure fiscale doit être justifiée par un objectif. Lorsque plusieurs objectifs sous-tendent la mesure, ils risquent de se neutraliser. C’est l’avis de Marc Bourgeois, professeur de droit fiscal à l’ULg. "Ici, l’objectif n’est pas clair. S’il s’agit de compenser le coût des infrastructures, il faut alors agir sur le prix du train. S’il s’agit d’éviter la congestion, cela n’a pas beaucoup de sens. Être "proche" de son travail, qu’est-ce que cela signifie? Si vous habitez près de la gare de Liège, que vous travaillez près d’une gare bruxelloise et que vous prenez le train, vous êtes souvent en réalité plus "proche" de votre travail que si vous vous y rendez en voiture depuis le Brabant wallon. S’il s’agit d’améliorer les problèmes de mobilité, alors un prélèvement kilométrique est la mesure la plus juste", explique-t-il.
"S’il s’agit d’améliorer la mobilité, un prélèvement kilométrique est la mesure la plus la plus juste."
C’est aussi l’avis de Guy Vanhengel, le ministre bruxellois des Finances (Open VLD) qui cite comme alternatives, hors considérations budgétaires, l’attribution d’une réduction sur le revenu cadastral pour l’ensemble des habitations en milieu urbain (ce qui réduirait le précompte immobilier) et le remplacement des taxes de circulation actuelles par un prélèvement kilométrique.
L'appel des XI
11 entrepreneurs proposent 11 idées pour faire avec avancer Bruxelles et la Wallonie.
Concernant les propositions formulées, "elles sont peu pertinentes sur un petit territoire comme Bruxelles. Si l’on octroie quelque chose à X et pas à Y, Y se sentira pénalisé, même si Y paie la même chose qu’aujourd’hui. Par ailleurs, on peut se poser la question de si l’administration est, le cas échéant, en mesure, pour chaque transaction, de calculer la distance précise entre le domicile et le lieu de travail de(s) l’acheteur(s), avec les questions suivantes: quel lieu de travail est à prendre en considération (tout le monde ne travaille pas derrière un bureau), comment calculer les distances (à vol d’oiseau, par route accessible aux voitures ou aux vélos ou encore aux piétons?)."
De manière générale, Guy Vanhengel rappelle que l’objectif de la récente réforme fiscale bruxelloise (qui a introduit un abattement de 175.000 euros sur les droits d’enregistrement) consiste à rendre la fiscalité "plus juste, plus simple et plus avantageuse" pour les Bruxellois. Dès lors, "nous privilégions des mesures plus générales et aspirons à limiter les niches fiscales", ajoute-t-il encore.
Injustifiable
Son alter ego wallon, Jean-Luc Crucke (MR), reconnaît que les différentes idées envisagées sont, certes, alléchantes, mais qu’elles souffrent toutes de questionnements essentiels en ce qui concerne leur application pratique. Et, en ce qui concerne la responsabilité du monde politique envers le citoyen, la liste est plutôt longue…
- Comment justifier que les mesures n’aideraient que ceux qui peuvent payer le fait de se rapprocher du lieu de travail?
- Comment justifier cela auprès de la personne atteinte de handicap qui ne peut travailler dans un cadre précis éloigné?
- Comment justifier, une large majorité des Belges travaillant vers la capitale, de favoriser la banlieue bénéficiant déjà actuellement des revenus moyens les plus élevés?
- Comment éviter la désertification des zones rurales avec ce type de mesures?
- Comment éviter que les zones économiquement faibles ne deviennent de véritables déserts sociaux, car le peu de personnes obtenant un travail devra se déplacer pour obtenir les avantages fiscaux prévus?
Les mesures fiscales proposées ne trouvent pas davantage de support du côté socialiste. Pour Ahmed Laaouej, chef de groupe PS à la Chambre, elles sont inapplicables: "Les droits d’enregistrement sont régionalisés en sorte que seuls seraient visés les déplacements au sein d’une même région. Un tel système serait aussi d’une complexité et d’une lourdeur administrative intenable."
"Le système pénalise ceux qui n’ont pas forcément les moyens de se payer un logement près de leur lieu de travail."
Mais sur le fond, le système serait injuste. "Il ne ferait qu’augmenter la pression foncière de certains endroits au détriment d’autres, et seuls les ménages les plus riches auraient la possibilité de changer facilement de lieu d’habitation. La périphérie bruxelloise étant déjà parmi les zones les plus chères, cela y ferait augmenter encore la valeur de l’immobilier."
D’autre part, "la personne domiciliée loin de son lieu de travail, mais qui s’y rend en prenant les transports en commun serait pénalisée au même titre que celle qui se rend au travail en voiture… Et le système pénalise ceux qui n’ont pas forcément les moyens de se payer un logement près de leur lieu de travail, sans que cela ne soit une préférence de leur part", poursuit-il avant de conclure sur le fait que ces mesures seraient simplement inutiles. "Les gens n’aiment pas rester bloqué des heures dans les bouchons. De très nombreux citoyens attendent simplement que les pouvoirs publics mettent enfin à leur disposition une alternative publique à la voiture. Il serait préférable de soutenir le télétravail".
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